Nature des traces dans l’n-spaces. A l’intersection de mille lieux, et avec aujourd’hui notre smartphone comme outil pour les arpenter (sans doute un autre demain), nous sommes en permanence connectés, aux autres et à tous les espaces informationnels. Sixième volet de la série La trace.
L’hyper-connectivité du cyber espace
Ce n’est parfois même plus nous qui allons dans le lieu. C’est, à travers les notifications, le lieu virtuel, ou plutôt la multiplicité simultanée des lieux qui vient à nous dans notre immobilité. L’ubiquité ! Mais démultiplier le présent, c’est aussi estomper la présence. Comme à cette terrasse de café d’une cour arborée, cet interlocuteur (toi, moi) absorbé par sa machine, manquant une partie du fil de discussion de son interlocuteur et pour qui le gazouillement de l’oiseau disparaît absorbé par un brouhaha de tweets numériques.
La multiplication des bruits (ou des traces) appelle un ré-apprentissage de l’écoute, associé parfois au silence… numérique.
Je suis partout, avec tous et tout du bout de mes doigts, de ma langue. Ok Google ? Quelle place alors pour ce lieu physique. Pourquoi se voir ? Se retrouver ? Où se situe donc le véritable théâtre de la vie ?
Des lieux hybrides
Loin d’apporter une ou des réponses, il s’agit déjà de se ré-interroger, au moment où l’hybridation numérique et physique produit de nouvelles émergences. Lesquelles, bien anticipées et comprises, permettront de profiler des utilisations aux finalités plus écologiques, plus logiques mais aussi de nourrir de nouvelles étrangetés, de l’inattendu pour stimuler nos pensées, et nous interroger. Beaucoup d’expérimentations se mettront en place à travers le smart-building, beaucoup resteront vaines et d’autres scintilleront, enrichissant nos lieux et les transformant peut-être, pour certains, en de nouveaux environnements magiques.
La synergie entre traces (espaces) physiques et traces (espaces) numériques peut permettre de préciser et circonscrire ces dernières. Elle aide à les re-contextualiser. Parallèlement, elle accroît les dimensions spatiales et modifie l’essence de l’espace, l’augmente en y superposant de nouvelles strates. Cette hybridation invite à s’interroger sur la nature de l’n-spaces, sur sa destination et ses fins. Pour qui ? Pourquoi ? Une réalité augmentée, oui mais de quoi ? D’un ensemble de couches de sens à organiser.
Tapisser l’espace de strates malléables
Des couches qui apparaissent ou disparaissent : le numérique permet et facilite la gestion de niveaux de porosités, d’accessibilité, de confidentialité. Selon que je suis habitant permanent d’un lieu, occupant temporaire ou visiteur, selon mon humeur, mes goûts, ou mes intérêts, je n’accède pas aux mêmes types d’informations. Elles peuvent se personnaliser avec des propriétés de natures diverses. Elles s’agrègent, se superposent et s’entremêlent parfois. Sans chercher à les répertorier. Voici quelques familles :
– les couches ou strates informationnelles sur la propriété temps réel de l’n-spaces (usages, climat : température, humidité, qualité de l’air, disponibilité, spécificités, CO2, dépenses énergétiques, mode d’emploi, liens, présence, affluence, accessibilité),
– les couches relationnelles,
– les couches prédictives,
– les couches ludiques,
– les couches mémorielles,
– les couches artistiques (sensorielles, musicales, visuelles…),
– les couches éducatives (scientifiques, historiques, culturelles…),
– les couches corporelles ou sportives,
– les couches réservées,
– les couches événementielles,
– les couches servicielles ou applicatives,
– les couches commerciales
– les couches techniques (maintenance),
– les couches de sérendipité,
– etc.
Enrichi de ces multiples strates organisables en surfaces numériques imbriquées, l’n-spaces laisse apparaître de nouveaux supports d’écriture. Les empreintes qui s’y inscrivent sont digitales : à celles laissées par nos doigts s’ajoutent aussi celles paradoxalement moins volatiles laissées par un champ plus large de nos activités dans/sur l’espace. Ces traces, corporelles, climatiques, psychiques, etc. s’accumulent, enrichissent l’n-spaces avant de disparaître pour certaines (nous en reparlerons).
Sculpter l’n-spaces
Ces lieux augmentés d’informations à organiser et à bien exploiter permettent aussi d’affiner des prédictions d’usages, de consommations énergétiques, d’affluences, de maintenance etc.
Les traces combinées ou divisées en couches vont se superposer, se masquer et à l’instar des palimpsestes colorier invisiblement l’espace. Elles nuanceront son caractère, possiblement merveilleux, capable de surprendre mais aussi de mieux répondre à nos besoins et attentes, facilitant le partage des lieux à l’ère de la préciosité des ressources et des espaces naturels.
Ces strates, supports à usages multiples, peuvent aussi s’interconnecter et à l’image des hyperliens, amener vers d’autres informations, d’autres lieux physiques ou virtuels, d’autres liens. Travailler sur leurs propriétés, c’est sculpter l’n-spaces, donner une couleur, architecturer ! Un champ immense émerge. Il demande d’abord une vision unifiée pour élaborer de premiers algorithmes performants autour de protocoles efficaces. L’hybridation entre le physique et le numérique, (ou la conception de l’n-spaces), ouvre des possibles que notre imagination, notre éthique devront apprendre à refermer, permettant aussi selon les cas (et parmi d’autres) de configurer (et/ou dérégler) l’ordre d’arrivée des informations, leurs accès, leur masquage ou leur apparition.
Ainsi l’espace devient actif et peut, sous certaines conditions, se mettre à agir. Il peut «s’éclairer» mais aussi édifier tour à tour des murs transparents ou opaques, des fenêtres ou des portes vers d’autres lieux, vers de nouvelles rencontres.
Eric Cassar
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