La formule s’apparente à un code en partie ouvert, en partie caché. Elle instruit à la fois l’habitant sur la manière d’utiliser l’instrument et l’instrument par amélioration de son autofonctionnement. Elle regroupe des énoncés divers aux typologies identifiées. A tout lieu sa formule ? Deuxième volet.*
Typologie d’énoncé n° 1 : un mode d’emploi qui explicite fonctionnement, adaptabilité climatique et usage
Le manuel d’utilisation de l’architecture (instrument d’environnements) est une sorte de mode d’emploi de l’instrument à destination de l’habitant, usager régulier. Il dévoile des astuces, indique des moyens et manières, par exemple :
– Actions pour transformer le lieu en fonction des usages et besoins
Le manuel décrit : les aménagements possibles (une salle de réunion qui devient un espace de travail ou de jeu pour enfant, un amphithéâtre qui s’ouvre au public, un réfectoire qui accueille des conférences, etc.), les moyens (déplacement de cloisons, usage des portes, etc.) et l’utilisation des outils de transformabilité des espaces-temps (espaces servants en relation avec les espaces servis, application numérique, etc.).
– Actions à finalité « climatiques » pour une meilleure régulation thermique (notamment naturelle) de l’atmosphère à travers une écologie d’action
Le mode d’emploi oriente l’usage, donne des consignes pour améliorer le climat intérieur ou mieux utiliser le lieu. Il décrit des actions rapides à mettre en place pour réduire ou augmenter les apports calorifiques solaires, utiliser des espaces en fonction de leurs propriétés sensibles, assurer une bonne ventilation, etc.
Par exemple, pour un meilleur confort d’été en zone chaude, il peut proposer d’actionner certains systèmes ou tout simplement d’indiquer les portes, fenêtres ou orifices à laisser ouverts de manière à produire une surventilation nocturne efficace et rafraîchir l’atmosphère. L’architecture aurait, dans ce cas, préalablement conçu les ouvertures en fonction des vents dominants et de la circulation de l’air intérieur, tout en intégrant d’éventuels systèmes antieffraction selon le contexte.
– Actions pour un ajustement saisonnier du lieu
La formule décrit des transformations plus conséquentes pensées en amont pour mieux adapter un bâtiment au climat en fonction des saisons. Il s’agit d’expliquer le mode de fonctionnement de mécanismes architecturaux divers conçus et mis en place de manière à transformer le bâti ou le lieu, via des interventions trimestrielles ou semestrielles, afin qu’il réagisse mieux avec l’environnement extérieur.
Dans Phoenix Palace**, un projet de renouvellement de quartier autour d’une infrastructure ferroviaire, nous avions conçu un complexe à base de containers recyclés qui, grâce à un système de toiles amovibles, se transformait complètement entre hiver et été de manière à répondre aux problématiques climatiques.
Typologie d’énoncé n° 2 : des clés de compréhensions et de sensations du lieu
A destination des habitants mais aussi des visiteurs, ces énoncés instruisent et donnent à voir, à la manière d’un guide sans parcours. Ils orientent le regard et invitent à des expériences sensibles ou simplement à mieux écouter l’autour. La formule sert ici à décrire des effets de l’instrument, de la magie de l’architecture, pour mieux les observer.
Elle cartographie des séries non exhaustives d’événements, principalement sensoriels, qui peuvent avoir lieu en fonction de différents paramètres issus de conséquences climatiques, biologiques ou humaines à court ou long terme. Elle explique des dispositifs de résonance autonomes ou en relation avec l’environnement extérieur. Elle livre des clés pour découvrir certaines situations ou mystères cachés comme l’écriture et l’apparition d’événements en fonction du temps, à la manière dont par exemple Stonehenge peut réagir et « s’illuminer » aux solstices.
La formule décrit les atmosphères spécifiques de certains lieux : niveau de réverbération sonore, luminosité, effets divers qui peuvent varier à différentes fréquences. Par exemple un espace qui s’ouvrirait sur un extérieur recevant des événements temporaires réguliers (un marché, un concert) aurait une atmosphère différente selon les jours, les moments avec une incidence possible sur l’usage des espaces. L’énoncé aide à mieux tirer profit de toutes ces spécificités contextuelles intégrées au projet d’architecture.
Typologie d’énoncé n° 3 : descriptifs d’actions possibles à finalité sensible
Il s’agit des propositions ou des compositions qui (se) jouent (dans) l’espace. Cette typologie d’énoncés à destination d’habitants « créatifs », désirant « faire chanter » l’instrument ou interagir avec lui, concerne principalement la description d’actions physiques et se décline en deux modes d’incidences décrivant des schémas de « mise en musique » de l’environnement.
La transformation d’ambiance
La formule décrit les moyens pour faire vibrer et varier l’atmosphère sensible. Par exemple agir sur l’ambiance à travers la régulation de la lumière (naturelle et artificielle) qui transforme les couleurs, la résonance (paramètres acoustiques), l’humidité, la chaleur ou le sentiment de chaleur (feu), etc.
Il s’agit de décrire, de donner des exemples d’actions sur l’environnement rendues possible par l’architecture : jouer de l’environnement comme on jouerait de la musique ; présenter les modulations ou actions (ex : orienter un miroir) susceptibles de produire et dessiner un ou des événements (ex : ajouter une tache de lumière dans une zone d’ombre ou observer une partie invisible de l’espace) en fonction de paramètres naturels et/ou artificiels (ex : la position du soleil ou de l’observateur).
La production de compositions
La formule contient aussi des partitions ou récits que peut jouer l’instrument. Par la description de ces compositions ou scénarii, elle met en relation l’observation (l’habitant invité à observer tel phénomène) avec des actions induisant à leur tour de possibles réactions (l’habitant invité à agir pour produire tel phénomène : orienter un panneau réfléchissant, positionner un volet coulissant, etc., ou plus simplement se déplacer dans l’espace).
Si l’observation est plus passive, seules les actions extérieures (climatiques ou autres) produisent des réactions et entrent en résonance avec l’environnement perçu. L’appréciation d’un effet architectural demande souvent d’une part la création de cet effet (production, génération) et d’autre part le bon positionnement du regard de l’observateur pour apprécier cet effet. Un peu comme une séquence cinématographique qui dépend à la fois de la scène qui se joue et de l’angle de vue d’où elle est filmée (l’œil de la caméra ou le cadrage).
Ces énoncés explicitent des subtilités physiques. Elles peuvent entrer en lien avec des algorithmes qui régissent les esthétiques immatérielles, autres énoncés de la formule.
(A suivre)*
Eric Cassar
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* Cet épisode est le second volet (lire le précédent : Ecriture composite et complexe, à tout lieu sa formule) du troisième texte d’un triptyque « Mouvement dans l’immobilité » :
– Du champ de traces au chant des traces
– L’ar(t)chitecture est un instrument d’environnement
** Phoenix Palace, Fengshan, Taïwan, 2014 par Arkhenspaces