Qu’attendre de contributions citoyennes sur une plateforme internet au regard de la demande d’expertise que requiert le développement urbain ?
Vox populi, vox dei ? Mercredi 10 mars 2021, Emmanuel Grégoire, adjoint à l’urbanisme et l’architecture de la mairie de Paris et premier adjoint, via une vidéo publiée sur le compte Youtube de la mairie et un entretien dans Le Parisien*, a lancé une consultation publique pour « la nouvelle esthétique parisienne » ; une démarche globale qui mènera à la publication à l’automne d’un « manifeste pour une nouvelle esthétique parisienne ».
La consultation, sur le site idee.paris.fr, est ouverte jusqu’en octobre 2021 à tous ceux qui souhaitent laisser leur avis sur cette « nouvelle esthétique ». Parallèlement à cette consultation, une exposition est prévue au printemps 2021 au Pavillon de l’Arsenal. Des marches exploratoires seront menées entre avril et mai, le CAUE consultera les enfants dans les écoles, un ouvrage historique sur l’histoire de l’esthétique parisienne sera publié.
Un marché de design urbain sera lancé dans les prochaines semaines qui devraient permettre à des équipes pluridisciplinaires de mener des « réflexions sur les usages de la ville et l’évolution de l’espace public ». L’équipe gagnante devra réaliser un catalogue de propositions (code couleur, matériaux, harmonisation des normes, lignes directrices esthétiques…) qui viendra compléter le Manifeste. Lequel se doit évidemment d’être ambitieux puisque, outre de donner une « banque de référentiels avec une typologie différente en fonction des quartiers », doit influer jusqu’au PLU parisien, bientôt revu.
En attendant que toutes ces démarches soient lancées, seule la plateforme de consultation est en ligne et le questionnaire d’ouverture donne une idée des quelques fils à retordre qui attendent le contributeur. En effet, pour contribuer, il faut passer par quatre séries de questions : assises, couleurs, revêtements au sol, et végétalisation.
Le premier problème survient lorsqu’il s’agit de se prononcer sur l’esthétique des assises. Une assise est certes esthétique mais aussi pratique ; sur ce point aucune note n’est demandée. Idem pour le revêtement au sol, qui peut être bien joli mais parfois inconfortable tant pour les piétons que pour les usagers. Le pavage devant Montmartre – question c – n’est pas inesthétique mais pour les vélos, ça vibre un peu, et pour les femmes en talon, le risque d’entorse est réel. Il paraît par ailleurs un peu risqué de se prononcer à la vue d’une rue inachevée où les joints ne sont pas posés entre les longs pavés, sauf qu’il n’y a pas le choix : pour valider le questionnaire, une réponse est exigée.
Une fois le questionnaire validé, la partie contribution amène son lot de débats entre végétalisation, pacification, propreté et le respect de ce patrimoine du passé que l’on ne cesse de détruire… A celui qui dit que le style nouille de Guimard est le style Parisien à réactualiser, il est facile de rétorquer que Guimard fut conspué et son œuvre largement détruite car l’art nouveau n’était pas aimé**. La redécouverte de Guimard, dans les années 70, a permis de sauver ce qui put l’être dont quelques édicules métropolitains.
Les questions d’esthétiques entraînent souvent des relents de vision du passé. Il faut « un mobilier urbain cohérent et unique pour tout Paris et respectant l’ancienne esthétique serait le bienvenu », dit une contribution. L’esthétique ancienne est-elle adaptée aux nouveaux usages de l’espace public ? Là se situerait plutôt la question.
Mais là n’est pas le point de cette contribution qui demande de faire du neuf avec de l’ancien, sans pour autant définir ce qu’est l’ancienne esthétique. Les pistes cyclistes signalées en jaune et avec leur gros morceau de béton donnent lieu à quelques contributions ; ces Parisiens ont perdu leur temps. Code de la route oblige, les équipements éphémères doivent être signalés en jaune… En attendant la pérennisation des équipements.
Demander aux habitants de donner leur avis peut être intéressant mais l’expression directe a ceci de fastidieux qu’elle est nécessairement disparate, souvent peu informée, et donne lieu à des expressions malheureuses qui se projettent peu vers l’avenir.
A l’inverse, elle peut être également captée par des associations organisées. D’ici quelques semaines, le risque demeure par exemple que les adhérents d’association du patrimoine débarquent avec leurs contributions sur la préservation du passé ancestral, sans pour autant réfléchir sur le fait que la ville n’est qu’une succession de constructions/destructions et qu’elle s’adapte aussi aux usages et aux besoins de la population.
Ces dernières semaines, les batailles livrées contre la construction de logements sociaux et d’un programme de promotion en bas de la Butte Montmartre rappellent qu’édifier est toujours contesté***. Dans les prochaines semaines, peut-être que ce sera la livraison du parvis de la Bourse des frères Bouroullec qui subira au choix, voire les deux, la foudre des patrimoniaux pour son mobilier urbain contemporain ou les défenseurs de la végétalisation qui râleront contre cette place trop minérale.
La parole citoyenne, dès lors qu’elle est informée, peut se révéler précieuse. L’expérience de la convention citoyenne est intéressante et serait certainement vivifiante pour construire ce nouvel esthétisme parisien. Les 150 citoyens tirés au sort ont reçu des informations et connaissances de la part de professionnels divers (universitaires, associations, opérateurs publics, etc.) afin de pouvoir formuler des propositions concrètes sur le climat.
Loin de constituer un corpus disparate, ces propositions sont issues de groupes de travail impliqués et formés au sujet proposé. Ce nouveau type d’intervention directe – sans revenir sur ses origines et ses suites – devient, face à la perte d’intermédiation entre politiques et citoyens, une forme nouvelle de réimpliquer ceux qui se sentent à juste titre peu ou pas écoutés.
Or une plateforme, comme celle imaginée par la mairie de Paris, a le défaut de ne pas intermédier du tout mais de se contenter de délivrer la vox populi. Cela alors même que des groupements de professionnels seront bientôt désignés via des marchés publics. Comment arbitrer entre les demandes citoyennes et les conceptions des professionnels ?
L’exercice aurait pu être vertueux s’il renouvelait le dialogue public entre une approche collective nécessaire et la somme des attentes des habitants. Plutôt qu’offrir une parole libératoire – la liberté, c’est aussi la liberté de dire n’importe quoi, pour paraphraser Coluche – qui sera synthétisée sans transparence****, une confrontation citoyenne avec des professionnels aurait renouvelé l’exercice. Surtout lorsqu’il est aussi périlleux que de définir un nouvel esthétisme public.
Julie Arnault
* Interview d’Emmanuel Grégoire dans Le Parisien : https://www.leparisien.fr/paris-75/quel-visage-pour-la-capitale-demain-nous-consultons-les-parisiens-annonce-emmanuel-gregoire-10-03-2021-8427883.php
** A retrouver sur France culture, 4 émissions de La compagnie des œuvres de Matthieu consacré à l’art nouveau, et dont le 2e épisode consacré à Hector Guimard revient sur ce désamour : https://www.franceculture.fr/emissions/series/lart-nouveau-et-au-dela
*** https://www.lefigaro.fr/actualite-france/a-montmartre-les-riverains-vent-debout-contre-un-futur-bloc-de-beton-de-logements-sociaux-20210301
**** ou comme les cahiers de doléances mis en place dans le cadre du Grand Débat dont le gouvernement promettait de les publier mais qui dorment dans les réserves de la BNF ou des archives départementales parce que les mettre en ligne « coûte trop cher » : https://www.francetvinfo.fr/politique/gouvernement-d-edouard-philippe/grand-debat-national-le-contenu-introuvable-des-cahiers-de-doleances_3784843.html