
23 octobre 2025. Une conversation d’escalier. Aurélia, consœur, ce matin à Paris visitait la nouvelle Fondation Cartier. Ces quelques mots partagés donnent envie de découvrir ce lieu et de relire l’article de l’avant-veille, écrit par Tina Bloch.*
D’abord mondaine, sa chronique nous invite dans l’assemblée des ‘’happy few’’ conviés à parcourir l’œuvre de Jean et Alain Dominique, malheureusement absents. Elle nous ouvre le cercle des VIP dont nous percevons, sans être certains de toujours les bien comprendre, les potins et ragots, fausses nouvelles et vraies indiscrétions, antagonismes feutrés que les revues nous taisent et dont nous sommes pourtant friands.
Après ces plaisantes lignes de portraits, et quelques mots rapportés de Chris et Dominique, la visite débute sous les auspices de Mathieu et ses citations de Maître Jean. Au fil des phrases, Tina nous transmet le désir sincère d’aller jouir de « l’extase d’un grand vide continu » et d’éprouver « la stupéfaction et l’émerveillement devant le dispositif titanesque mis en place ».
La fin de la chronique est moins aimable pour « l’Exposition générale », la première à habiter cette nouvelle fondation, tant pour certaines œuvres mises en scène que pour la scénographie et les scénographes eux-mêmes. Il y a dans cette critique la même surprise qu’à la livraison d’un projet, lorsque se découvre ce qu’en font les usagers : souvent un moment de joie. Parfois non.
Dans sa déception, Tina ne nous a rien dit de petits fours et des verrines qui suivirent les discours. « Tôt le matin le 20 octobre 2025, au numéro 2 place du Palais Royal à Paris » il devait n’y avoir que café et viennoiseries.
Les photos du projet confirment qu’aller sur place mesurer le « bras de fer » sera un must des prochains week-ends parisiens.
En attendant cette visite, et faute de mieux (si ce n’est au travers de l’ouvrage « La Fondation Cartier pour l’Art Contemporain par Jean Nouvel » déjà paru chez Acte Sud, qu’il faudra peut-être se résoudre à acquérir et aussi par la vidéo aux yeux volants,** visible sur le site de la Fondation), les abords du projet, via Google Maps, en quelques photos, racontent une autre histoire : celle d’une base vie, implantée sur la place du Palais Royal, étrangement habillée puis rhabillée.
Merveille que cet outil dont les images remontent le temps !
Puisque les derniers passages (2022 – 2024) de la voiture qui photographie à 360° ne montrent rien de significatif de l’îlot Saint-Honoré, dans lequel se déploie le dernier projet en date d’AJN, reste l’installation de chantier qui ne fait preuve, elle, d’aucune pudeur.
Toutes les photos sont des captures d’écran de Google Maps.
Aucune information n’est issue d’une autre source que leur observation.
Début août 2020 : investir le territoire
Place du Palais Royal, les abords du chantier de la Fondation Cartier. Sur l’espace public réquisitionné un premier niveau d’Algeco (marque sous toute réserve) est installé, prémices de la base vie. Les camions-grues stationnés face à la cour du Conseil d’État s’apprêtent à monter les niveaux supérieurs.
Adossée à la façade, la structure métallique du futur accès de chantier est érigée, revêtue d’une peinture bleue « Patrouille de France ».
Sur les colonnes de pierre sont affichés deux permis de construire et, déjà aussi, deux permis modificatifs.

Fin août 2020 : le volume est achevé
La base vie compte désormais cinq niveaux, deux escaliers, un garde-corps sur la terrasse ; le site est clos. Le CSPS a été vigilant.
L’îlot Saint-Honoré est encore nommé Le Louvre des Antiquaires.
En pleine crise Covid, les touristes sont absents, les riverains confinés, la place du Palais Royal est déserte.
La petite galerie du Louvre accueille l’exposition « Figure d’artiste ».

Avril 2021 : Les premiers habillages
La structure de l’accès chantier est revêtue d’une toile imprimée du motif des arcades et de la corniche qui caractérisent le rez-de-chaussée de l’îlot Saint-Honoré. La porte sectionnelle déroge aimablement au rythme des piles : de la difficulté à calepiner un accès chantier du XXIe siècle sur un pastiche d’ouvrages du XIXe.
La crise Covid, toujours active, vide les rues et les places.

Mai 2022 : mise en œuvre du ‘’dress code’’
La base vie est totalement habillée de la toile au motif d’arcades, découpée en pied par un socle résistant, et surélevée d’un niveau d’étage courant qui englobe les cinq hauteurs de préfas. Le vitrage des fenêtres, aspect miroir, reflète le ciel et les façades environnantes.
Une pancarte format A0 calée en pied de la façade nord, d’une grande discrétion, indique « Ici nous restructurons l’immeuble Louvre Saint Honoré pour y accueillir des programmes d’activités tertiaires et culturelles ».
L’enseigne Le Louvre des Antiquaires est toujours présente.
La Bourse du Commerce expose les œuvres du sculpteur américain Charles Ray.

Mai 2022 : douleur de la confrontation
Depuis la rue de Rivoli, coincé entre deux pastiches, le Conseil d’État fait pâle figure.
L’entrée sud de l’accès de chantier fait lui aussi des acrobaties structurelles. L’accès est du chantier, sur la rue de Marengo, reprend le même dispositif, « « dress code » » et portes sectionnelles.
À une autre échelle, il est vrai, LVMH sur les Champs-Élysées, en 2023, a mis en cases les mannequins blancs de Dior sur toute la façade de l’Hôtel Louis Vuitton. La malle monogramme géante d’aujourd’hui semble n’avoir rien d’éphémère.
Pourquoi, dans cette course à l’affichage, Cartier n’a pas fait le choix d’habiller son chantier de pierres précieuses annonçant le joyau de sa Fondation ? Discrétion et secret.

Mai 2022 : à deux sur le vélo
À la hauteur du 166 rue de Rivoli, six panneaux de permis de construire, dont un permis modificatif, sont affichés sur les piliers de la galerie. Le PC modificatif, au profit de la Société Foncière Lyonnaise, porte sur un local vélo de 29 m², pour une surface de plancher globale de 48 880 m². Le nom des architectes : B. Architecte / Ateliers Jean Nouvel.

Mai 2022 : un peu d’information
Une fresque, intégrée aux panneaux de la fermeture provisoire de la galerie sur la rue de Rivoli évoque en quatre dates l’histoire de l’îlot Saint-Honoré. Le texte du dernier « 2020… 2024 Un nouveau départ » mentionne les deux architectes et la Fondation Cartier.

Juin 2022 : on va tout changer
Prototype d’un nouvel habillage des arcades de la base vie.

Novembre 2022 : ne rien révéler trop tôt !
Un panneau de chantier disposé entre deux piles sur la place du Palais Royal présente les acteurs de la « Restructuration des niveaux inférieurs du Louvre Saint Honoré ». Le même maître d’ouvrage, le même couple d’architecte.
Pour en savoir davantage de ce projet confidentiel, il faudra aller en mairie consulter le PC !

Novembre 2022 : rhabillage express
Un nouveau manteau pour l’hiver. Le ‘’dress code’’ est plus sobre, beaucoup plus sobre. La base vie est habillée sur trois faces d’un carroyage de panneaux d’aspect verre réfléchissant.
Six mois ont suffi pour condamner le vêtement initial en fausses arcades. Le nouveau dispositif le remplace par les reflets simplistes et élogieux des façades alentour.
Qui a eu la peau de la base vie ?

Juillet 2024 : l’ourlet tardif
Face à l’Hôtel du Louvre, les panneaux Larson® FR, « produit composite aluminium constitué de deux tôles d’alu et d’un noyau minéral FR » forme un revêtement intégral.
Les soubassements jaunes initiaux ont également disparu mais tardent à faire leur mue.
Mais qui a eu la peau de la base vie ?

Juillet 2024 : place à l’immatériel
Le miroir nord de la base vie renvoie l’image de la façade du Conseil d’État.
La toile appliquée sur l’accès chantier a, elle aussi, disparu laissant visibles les simples panneaux de bois bakélisés qui en assurent la fermeture.
Mais qui a eu la peau de la base vie ?

Juillet 2024 : tenir le budget des travaux supplémentaires
Sur la façade est de la base vie, face à l’îlot Saint-Honoré, la toile pastiche a été remplacée par une autre, uniformément grise. Elle se voit peu. Il n’y a pas de petites économies.
Unique marque visible extérieure d’une intervention sur l’îlot : la verrière de la rue Saint-Honoré.

Juillet 2024 : circulez, il n’y a rien à voir
Sur la rue Saint-Honoré, la pose de la verrière s’achève dans un vis-à-vis étonnant avec la façade du ministère de la Culture. Avec la base vie, c’est le seul ouvrage visible d’un projet qui se crée secrètement derrière ses façades.

Octobre 2025 : triste destin d’une base vie
La voiture Google 2025 n’est pas encore passée par la place du Palais Royal.
La base vie a été démontée.
La question reste entière : qui a eu la peau de la base vie ?
Jean-Philippe Charon
Architecte
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* Fondation Cartier, bras de fer. Chroniques d’architecture, 21 octobre 2025
** « Voir » la Fondation Cartier pour l’art contemporain