Comme tous les matins, les usagers parisiens du tramway passent devant une tour verte chlorophylesque en titane. Il paraît que l’immeuble devait être une tour végétale. L’architecte ne devait pas avoir la main verte ! Si seulement la M6B2 était le seul loupé du genre… Comme Edouard François, tous les architectes sont-ils tous de bien piètres jardiniers ou la ville est-elle un bien mauvais terreau ?
Depuis quelques années, les perspectives des concours de tours et d’immeubles n’ont d’égales en couleurs que le costume d’un Hulk chafouin. Le temps passe, le concours devient chantier, le chantier est livré avec moult parutions de presse se félicitant tout en finesse du retour de l’agriculture en circuits courts dans les grandes villes (les citadins mangent peu, c’est bien connu) et puis… un constat : les arbres tant attendus se font attendre, même pas un petit arbrisseau sur un treillis séparatif. Une pâquerette dans un joint au moins ?
Les pignons sont plantés, les façades végétalisées, les toits terrassés, les sous-sols bientôt fongiques… Les échecs se multiplient à tout va dans les jardinières de la France entière. Pourtant, rien n’y fait, les consultations pour des ‘tours végétales’ fleurissent dans toutes les villes. Parmi les dernières grosses opérations très en vue La Tour Occitanie, que Daniel Libeskind élèvera à Montpellier pour la Compagnie de Phalsbourg.
Les canopées ne supportent pas bien de pousser à la verticale, au-dessus du béton. Si la tour verte de l’avenue de France en est devenue un triste symbole, elle n’est pas la seule. A Paris, ça capote pas mal. Le bateau-mouche qui passe chaque jour devant le mur végétal du Musée du Quai Branly s’en rend bien compte : après avoir coûté un bras à la construction, il aura coûté l’autre dans dix ans.
La théorie est séduisante. Le biotope utopique permettrait de lutter contre le trop-plein de béton et ainsi de contrecarrer le phénomène des îlots de chaleur urbains l’été. La ventilation des villes s’en trouverait facilitée, offrant un rempart écologique aux particules fines et augmentant le taux d’humidité en période de canicule. Planter de la verdure, c’est aussi espérer recréer des biotopes complets pour améliorer la qualité de l’air, les végétaux filtrant à bon escient l’air que nous respirons. Aussi, l’augmentation des surfaces plantées en zone urbaine dense promet un recyclage des eaux grises, filtrée et nettoyée dans l’exercice de la photosynthèse. Sans parler de la biodiversité.
La face B de la théorie est un peu nunuche aussi. La végétalisation de l’architecture s’aventure sur le terrain un tant soit peu utopique de l’agriculture urbaine, qui nourrirait les habitants en production de patates en circuits courts, produits choyés par le gentil monsieur du 2ème étage, friand d’un retour aux plaisirs simples. Evidemment, il n’y en aura pas pour tout le monde et les autres iront au marché, voire au supermarché. La production parisienne risque d’être un peu ridicule si elle n’est pas déjà une aberration. La production locale métropolitaine, incluant les terres fertiles situées sous les décors du futur Europaparc, ne nourrit déjà pas toute l’IdF. Alors imaginer une autosuffisance en carottes plantées sur quelques toits des grandes villes…
C’est vrai, à Milan, la tour végétale, ça marche. Le Bosco Verticale imaginé par l’architecte italien Stefano Boeri, avec un discours moins pompeux en prime, sert de Graal à atteindre à en juger par les projets lauréats du concours Réinventer la Métropole qui ont cette fois encore multiplié les arbres et les salades sur les parois végétales. La machine à fantasmes est lancée sur le nombre de champignonnières qui éliront domicile dans les sous-sols de Lutèce dans le second volume d’Inventer Paris.
A Milan, dans un milieu hybride comme la ville, si l’expérience a pu réussir, c’est que les moyens financiers ad hoc avaient été débloqués. La structure porte des bacs de pleine terre d’environ un mètre de hauteur, elle est donc extrêmement renforcée. C’est le surcoût numéro 1. Les végétaux plantés ont été soigneusement choisis et choyés pendant des mois durant avant leur installation verticale et en altitude, ce qui constitue le surcoût numéro 2, mais sans doute aussi une des raisons évidentes de la réussite du projet. Enfin, le Bosco Verticale est une copropriété haut de gamme dans laquelle les charges sont importantes. Les acquéreurs étaient aussi prévenus que les bons soins prodigués aux essences parfois exotiques leurs seraient interdits.
A Paris en revanche, les promoteurs s’entêtent à proposer des plantations à plus de 100 mètres de haut, là où même les insectes pollinisateurs ont le vertige. La Maison Edouard François peut toujours trouver quelques raisons à ses tours sèches comme une année sans eau, en annonçant par exemple que les plantations ont été faites au mauvais moment, ou que la tour avenue de France est une commande publique pour un bailleur social qui ne l’entretient pas. Nous verrons dans quelques années ce qu’il en est du promoteur de la place Vendôme, spécialisé en logements haut de gamme au prix défiant largement les cimes des arbres qu’il compte planter. De même, bientôt à Arcueil, où devrait voir le jour le programme Ecotone conçu par Triptyque + Duncan Lewis Scape architecture + OXO architectes + Parc architectes.
Les Français sont d’ailleurs invités à étendre leur vocabulaire. Désormais, il faudra faire avec le Biomimétisme, c’est-à-dire une architecture qui s’inspire des solutions proposées par la nature, en milieu naturel. Parce qu’à Arcueil, la nature est en passe de reprendre ses droits, surtout autour des lignes du métro du Grand-Paris. Le concept propose même un système d’habitations fondé sur un écosystème biologique, technologique et social. Les fourmis, ça compte dans le modèle ? Pendant ce temps, à Lyon, Art & Build vient de remporter le projet de conception du Centre international de recherche sur le cancer fondé sur ce même concept de biomimétisme.
Mur végétal, jardinière, façade végétalisée, agriculture urbaine ou biomimétisme, à moins d’avoir des actions chez Gamme Vert ou Truffaut, végétaliser coûte un rein (heureusement, comme pour les bras, il y en a deux, au cas où ça ne marche pas), en études, en construction et en charges de copropriété : en bref, avant, pendant et après le projet. Surtout qu’entre les usagers qui s’en moquent et ceux qui n’ont décidément pas la main verte, le concept du bâtiment qui pousse serait avisé de ne pas essentiellement s’en remettre à des pots (même géants) sur les balcons.
Cela n’empêche pas les architectes de proposer des solutions aux habitants. Quitte à faire des bilans d’étapes, la réussite et l’innovation sont souvent à chercher dans des projets plus modestes dont les usagers/habitants sont libres de faire ou de ne pas faire. En témoigne par exemple l’accessoirisation des balcons avec des étagères des logements du boulevard Davout par Naud et Poux. Pour la verdure, le locataire peut rester en chausson. Il n’a qu’à monter au 9ème étage.
Les lauréats de ces concours d’immeubles qui sauvent l’humanité sont d’importantes agences internationales d’architecture. L’architecture en France, est-elle à ce point en crise qu’on ne veuille plus voir le moindre balcon conçu par un architecte local ? Si nous souhaitons des légumes produits et distribués en circuit court avec un salaire digne pour l’agriculteur, pourquoi ne pas appliquer ces bonnes résolutions à nos lieux de vie ?
Alice Delaleu