Chacun sait désormais que selon Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, il faut se préparer à la France + 4°. Chacun a également compris que si Béchu parle de +4°, cela veut dire +6° quand les petits enfants d’aujourd’hui auront l’âge d’aller à l’université.
La preuve, il y a quelques mois à peine, et ce pendant des années, depuis même la COP 21 à Paris, le gouvernement et le sommet de l’État nous invitaient à lutter en notre âme et conscience pour ne pas dépasser le cap « irréversible » de 1,5°. Souvenez-vous de ces ministres qui annonçaient ne pas laisser couler l’eau en se lavant les dents !
La réalité est que depuis Al Gore, pour ceux qui se souviennent du candidat à la présidence américaine battu de justesse en 2000 par Georges Bush junior et prix Nobel de la Paix en 2007, tous les dirigeants de tous les pays savent sans illusion que la catastrophe est devant nous. Il était minuit moins cinq au tournant de l’an 2000, il est moins une aujourd’hui, comme on dit en français. Et il a fallu que le GIEC mette les pieds dans le plat pour que le dérèglement climatique devienne un sujet politique, et encore, avec des grincements de dents.
La preuve, depuis huit ans que Vulcain ex-Jupiter est au pouvoir, il a fallu un ministre de l’Écologie aux abois pour commencer, à demi-mots, de prévenir les Français ! Et encore… À + 4°, il faut « regarder les conséquences sur les investissements, sur les normes, sur les sols, sur l’eau », dit-il, dans cet ordre. Les investissements ça va être chaud, le « quoi qu’il en coûte » étant de l’histoire ancienne ; les normes ? tous les gouvernements appellent à une « pause » ; les sols – pas question de toucher à l’artificialisation des sols issue de l’agriculture intensive, aux bons vœux de la FNSEA – et l’eau donc, dont le ministre découvre qu’on en manque. Si ne nous voilà pas adaptés, sinon sauvés…
D’ailleurs, nous savons désormais que l’Europe se réchauffe à une vitesse supérieure à celle de la moyenne mondiale. Quand cela ne concernait que les éleveurs de rennes sans carte d’électeur, nos sociétés ne s’en préoccupaient guère. Mais les éleveurs de rennes voient leurs forêts partir littéralement en fumée tandis que nous autres puisons de l’eau dans les nappes phréatiques pour la faire sécher au soleil dans de grandes bassines. Système D dont les Français sont si fiers ? D comme Destroy ?
De fait, l’État et les industriels poursuivent leur course insensée aux profits de court terme. Il faut en effet qu’ils se dépêchent car, d’ici quelques-années, qui dans Paris +6° en aura encore quelque chose à faire de la note de S&P ? Ou des émois de Bruno le Maire, sensuel ministre de l’Économie ? Comme d’aucuns ironisent déjà dans les banlieues, pour paraphraser Spike Lee : tous les étés seront chauds.
Il faut « préparer notre pays à 4 °C » a donc prévenu le 22 février Christophe Béchu, expliquant vouloir « sortir du déni ». Le déni de qui ? Quand sortent les secrets de polichinelle, est-ce le moment de s’inquiéter ? Sans doute puisque, souligne le ministre, « à +4°, les deux tiers des stations de ski manqueront de neige dans les Alpes ». En voilà un qui a le sens des priorités !
+ 6° donc. Qu’en est-il de l’architecture, de ces bâtiments censés nous survivre ? Après la déclaration du ministre, il va falloir reconsidérer fissa la doxa actuelle et les habitudes paresseuses prises dans l’éventualité optimiste de Paris et la France à +1,5°, allez +2° pour se donner de la marge… la réalité est que ce qui marche à +1,5° risque de violemment surchauffer à + 6° ! Bonjour les étincelles !
Il faut s’adapter dit le ministre, certes, mais comprendre en ce cas que presque tout ce que l’on fait aujourd’hui semble bien court face à l’apocalypse à venir. Hormis la rénovation énergétique du bâti, et encore gérée méchamment, il propose quoi le ministre pour les 50 et 100 prochaines années ? Même pas des moustiquaires contre le moustique tigre !
Les murs et toitures végétalisés ? S’il ne pleut plus et que l’eau est devenue rare et chère, ou que le plus souvent l’entretien laisse à désirer, bonjour la broussaille. Qui sait, d’ici quelques années nous aurons peut-être des feux de forêts urbaines. Levez les yeux et regardez : un été 2022 chaud et sec, une sécheresse d’importance et nombre des toits végétalisés des villes sont déjà cramés sans retour. Comme pour les méga bassines, il est peut-être temps d’arrêter le bricolage sinon il faudra des Canadairs à Paris !
Heureusement, pour Vulcain ex-Jupiter, qui à défaut d’anticipation manque à l’évidence d’imagination, Chroniques d’architecture est là pour lui soumettre quelques idées bon marché pour l’Etat impécunieux.
Idée 1 : Paris + 6°, ce n’est pas Barcelone, c’est Casablanca.
Ne plus créer en ville que des voies étroites qui protègent du soleil et qui peuvent être facilement ombragées par des toiles photovoltaïques, ou simplement du linge à sécher. Tiens par exemple, interdire les sèche-linge aux particuliers. Le soleil va darder ? Qu’il sèche le linge ! (lequel, soit dit en passant, ne sera plus ainsi seulement lavé en famille, ce dont se féliciteront les services sociaux !)
Des rues étroites, cela oblige à gérer des prospects, des vis-à-vis, mais rien qu’un/e architecte ne sache résoudre. D’ailleurs, tous, des politiques aux grands de ce monde, n’en peuvent plus de louer Venise. Les eaux montent, il faut donc dès aujourd’hui rétrécir les rues. Qui sait, l’homo urbanus va peut-être rapprendre la marche. C’est possible, nous l’avons vu et vérifié lors des grandes grèves de décembre 2019 et janvier 2020. C’était déjà une autre de ces occasions quand Vulcain ex-Jupiter mettait le feu au pays mais ces grandes grèves ont eu le mérite de mettre les Parisiens à pied d’œuvre en quelque sorte. À la fin des grèves, ils ne s’en portaient pas plus mal et s’en souviennent encore avec bonheur.
Maintenant, au sujet de ces bâtiment « bioclimatiques » aux grandes baies vitrées sans protection solaire, il convient peut-être de refaire les calculs à + 6° ! Voir alors comment ça se passe la nuit dans la chambre de 9 m². Pourra-t-on y laisser dormir bébé ? Y cuire le poisson rouge ?
Idée 2 : la mitoyenneté
Corolaire de rues étroites, il faut revenir à la mitoyenneté. Je ne suis pas certain des raisons qui ont fait perdre tout crédit à la mitoyenneté mais son utilité tombe sous le sens, sauf à penser que l’homme est un imbécile depuis deux millions d’années avant la naissance de Le Corbusier (pour simplifier). Quand ça va chauffer comme dans le Sahara, où fera-t-il meilleur : dans les ruelles du marais ou avenue de France à Paris ? Certes, est-il argué, des rues larges permettent la végétalisation et de créer des îlots de fraîcheur. Les enjeux du Boulevard Richard Lenoir à Paris résument assez bien cette problématique.*
Mais ces aménagement sont possibles parce qu’ils s’inscrivent dans des fronts de rue parfaitement définis, mitoyens pour l’essentiel, le boulevard devenant ainsi un gigantesque cœur d’îlot. Auparavant, l’autonomie de l’œuvre architecturale était réservée aux monuments et aux représentations du pouvoir. Un palais de justice, une prison, un panthéon n’ont pas de mitoyen. Non plus que les villas Palladio ou les villas des ultra-riches du jour. Aujourd’hui, la moindre ZAC est une collection de bâtiments plus ou moins bien réussis aux quatre façades fonctionnalistes : un bâtiment sur une pelouse. Bonjour le monument !
Difficile alors d’affirmer vouloir promouvoir le « vivre-ensemble ». Leon Battista Alberti, constructeur, ingénieur, théoricien et écrivain de la Renaissance italienne expliquait que l’architecture « divise puis rassemble ». Apparemment, avec la mitoyenneté disparue, symbole pourtant du partage, il semble que l’idée de rassembler soit oubliée. Et je ne parle même pas des avantages écologiques, financiers – deux façades à payer au lieu de quatre ; et qu’est-ce qui coûte cher dans un bâtiment m’as-tu vu ? – et de confort de bâtiments mitoyens et traversants. À Paris ou Montpellier + 6° en 2029, quand la clim ou les ventilos ne marcheront plus faute d’électricité, ouvrir les fenêtres dans un appartement traversant dont les façades sont à l’ombre sauvera des vies !
Accessoirement, il est temps de prévoir les pièces de vie, et leurs terrasses, au nord ; bientôt un plus pour les agents immobiliers.
Idée 3 : les thermes
J’ai eu l’occasion de visiter les nouveaux thermes de Nancy signés Anne Démians, cela après d’autres équipements construits ou rénovés selon un thème similaire, notoirement dans l’est de la France. Au-delà de la symétrie quasi mycénienne retrouvée de ce bâtiment longtemps inachevé, ce qui m’a frappé est la qualité d’accueil de ces thermes publics. Jean Nouvel en avait esquissé l’idée avec les thermes du Havre sauf que la réalisation, comme toujours avec lui, laissait à désirer, et que la culture des thermes ne s’est pas maintenue en France, encore moins au Havre, sauf en ces régions loin de la mer.
L’idée est quand même d’un accès pour tous à la santé physique et mentale – i.e. l’hygiène – ce que les Romains avaient déjà bien compris. Et s’ils avaient inventé l’eau chaude et l’eau courante pour les plus bénis d’entre eux, les autres, esclaves y compris, avaient un accès, convivial disons, aux thermes de la ville. Qui veut d’un esclave qui pue la sueur et le barbecue ?
À l’heure aujourd’hui où l’eau va très vite se révéler rare, et donc très chère, est-il concevable de dépenser tout seul/toute seule toute cette eau potable pour se nettoyer quand, à peine la douche terminée, c’est pour se couvrir le corps de chimie aromatique, celle qui plait tant aux moustiques tigres ? Question onanisme, c’est ceinture et bretelle…
Je comprends aisément que l’État hygiéniste n’ait pas les moyens comme les Romains d’antan d’installer des thermes à tous les coins de rue, ni même les bains-douches chers à Robert Doisneau. Mais pourquoi ne pas imposer des logements avec pour seule salle de bains un lavabo pour les affaires courantes, l’immeuble disposant en rez-de-chaussée, ou en sous-sol, ou en entresol avec vue sur la tour Eiffel ou le Vieux-Port, d’un spa commun aux habitants de l’immeuble ?
Quiconque a fréquenté un vestiaire sait qu’il n’est pas si compliqué de partager un espace hygiénique et convivial. Si n’importe quelle salle de sport dispose de ses propres aménités, un immeuble de logements pourrait offrir à ses habitants locataires ou propriétaires des prestations dont ils n’auraient jamais rêvé pour ce prix-là, sauna et hammam compris. Il faut certes partager un peu de son intimité mais pas plus que dans le vestiaire que pratiquent nombre de citadins.
Je ne suis pas certain que nous aurions à la fin une grande économie d’eau mais le gain en termes de convivialité et du fameux vivre-ensemble serait sensible : qui reconnait un ogre derrière une petite serviette serrée à la hanche ? Mais bon, Norman Foster construit une tour en Grèce avec piscine à tous les étages, dans chaque appartement. Alors forcément des thermes, même quand ils sont sublimes comme à Nancy, à l’heure de la France + 6°, c’est sans doute anachronique. Pourtant…
Idée 4 : les escaliers
Une dernière idée, déjà évoquée en ces pages. Dans l’esprit de densité et de mitoyenneté développée ci-dessus, prévoir des bâtiment de six ou sept étages, l’ascenseur s’arrêtant au 4ème ou 5ème étage. Comme personne – suffisamment nantie ou trop âgée – ne voudra se cogner les escaliers, ces appartements perchés seront forcément bon marché et de fait réservés aux jeunes gens ne craignant pas l’exercice. Là-encore, ce n’est pas tant l’économie réalisée sur le coût d’un ascenseur qui importe que le fait qu’il impose, de fait, la possibilité aux jeunes et vaillants de se loger en ville pour pas cher. C’est de plus particulièrement indiqué pour la santé de la jeunesse du pays ; monter les escaliers ayant tendance à brûler les graisses abdominales et les culottes de cheval.
Pour conclure, si l’on peut se permettre une suggestion à Christophe Béchu, ministre, à propos de l’adaptation qu’il suggère, il nous semble important, idée bonus, de commencer à planter la mangrove. Quand il fera aussi chaud à Angers qu’à Orléans la Nouvelle et que la côte se sera rapprochée de 50 kilomètres, il fera bon disposer d’un garde-manger qui ne contient pas que des méduses.**
Avec tout ça, si Vulcain ex-Jupiter,*** qui devrait connaître la différence entre le forgeron et le maréchal-ferrant, n’a pas un plan pour Elon Musk et Mohammed ben Salmane …
Christophe Leray
* Lire la chronique Barbarie urbaine boulevard Richard Lenoir à Paris ?
** Lire notre article Bayou-sur-Yon, on dirait le Sud. Une éco-fiction
*** Pour en savoir plus concernant l’origine de Vulcain ex-Jupiter, lire : Sonotone, livré par Amazon, à l’attention de l’Uber président