Depuis la construction de Saint-Pierre de Rome et de Buckingham Palace, le balcon survit sans réelle fonction. Au vu de l’usage qu’en font les urbains, il serait pourtant grand temps de le concevoir d’une façon radicalement nouvelle.
Je n’ai rien contre le balcon. Enfin, rien sur le principe. Un balcon c’est sympa, ça donne du relief et du caractère à une façade. Le résultat n’est pas toujours concluant. Mais depuis la fin de l’ornementation, voilà un élément architectural bien pratique pour échapper à la platitude toujours menaçante de la façade. Cela dit, lorsque levant les yeux, je vois tous ces balcons transformés en débarras, en camp retranché ou en mini jardin à la française, je m’interroge : ne serait-il pas temps de ranger le balcon dans le rayon des accessoires dépassés ?
Réservé au pouvoir
Rappelons qu’à l’origine, le balcon est réservé aux événements exceptionnels. De Saint-Pierre de Rome à Buckingham Palace en passant par Vérone – pour ne citer que les plus célèbres –, il fait même l’objet d’un véritable engouement en Italie et en Angleterre. On y proclame, on y annonce, on y galvanise. En ces occasions exceptionnelles, le prince y apparaît et, moyennant un temps d’attente acceptable, s’y fait ovationner et acclamer. Dans une veine moins spectaculaire, l’Espagne des rois très catholiques autorise les filles à marier à se montrer au balcon. Une tradition méditerranéenne immortalisée par Murillo, Goya et, bien entendu, par Manet. Rien à voir donc avec la tour de guet. Autant celle-ci est faite pour observer, autant le balcon est conçu pour s’y montrer.
Banalisation haussmannienne
L’usage est tellement rare qu’il en devient assez vite symbolique. Le balcon caractérise l’architecture du pouvoir. Peu importe qu’il serve ou non. La fonction est là, évidente. Une page se tourne avec l’architecture haussmannienne. Le balcon s’étend à l’habitat collectif, devient filant et se banalise. Certes, il souligne l’étage bourgeois, pardon « l’étage noble », même si par souci d’équilibre il joue également au dernier niveau le rôle de corniche. Signe de ce changement, Caillebotte ne peint pas le balcon destiné à montrer mais celui d’où ses personnages observent le spectacle de la rue. Le changement s’est opéré en douceur mais le constat est là : le balcon est devenu un ornement (presque) comme un autre. Loos hésite à s’en débarrasser, les Modernes choisissent de le conserver. Car le balcon jeté en avant, grâce à l’acier et au béton, peut créer un effet spectaculaire.
Entre débarras et décorum
Son usage ne va pourtant pas de soi, ni dans des pays trop chauds pour s’exposer, ni dans des pays trop froids pour rester longtemps à l’extérieur. En fait, plus personne ne sait exactement à quoi sert un balcon. Après avoir soutenu qu’il protégeait du bruit (de la rue de la fin du XIXe siècle) ou du soleil (Le Corbusier), les architectes comme les promoteurs ne se fatiguent plus à justifier son existence. Avoir un balcon, c’est toujours sympa et cela suffit en soi. S’inscrivant dans l’antique et noble tradition du balcon de la «monstration», certains sont fiers d’y mettre quelques orangers (vrais ou faux), voire même des sculptures antiques, savamment éclairés par quelques spots. Dans une veine pas si lointaine, des architectes renouvellent le genre en imaginant des façades autoritairement végétalisées suscitant un sentiment pour le moins mitigé des résidents. Les traductions diffèrent, les justifications aussi. Mais ni les unes ni les autres ne parviennent à faire oublier qu’à défaut d’usage bien identifié c’est plus que jamais à l’esthétique que le balcon doit in fine d’exister.
Pour des balcons-jardin
Pourtant, l’avenir du balcon est déjà présent dans les esprits et dans les usages. L’envie de disposer d’un petit coin de nature transforme de plus en plus les balcons en jardins improvisés. On y plante, on y arrose, on y sème, on y fait pousser et grimper le long des murs. D’espace purement occasionnel, le balcon s’impose comme un espace de vie, à la charnière de logement et du petit coin de nature. Il serait peut-être temps que les architectes en tiennent compte. Il y a dans cette évolution du balcon, une formidable opportunité de repenser sa configuration non plus en fonction de ce qu’il a été et de ce qu’il a représenté mais en fonction de l’usage qui en fait de plus en plus aujourd’hui : un petit coin de jardin urbain propre à chacun. Alors, messieurs les architectes, chiche ?
Franck Gintrand
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