Dans le contexte du projet de loi dit ‘ELAN’, Françoise Nyssen, ministre de la Culture, a saisi l’opportunité le 17 mai 2018, jour de mobilisation nationale, pour (ré)affirmer son soutien plein et entier à l’endroit des architectes et annoncer deux chantiers d’importance. A moitié plein ou à moitié vide le dé à coudre ?
Comme attendu, la mobilisation nationale du 17 mai 2018 organisée par le Conseil national de l’ordre des architectes (CNOA) n’a mobilisé ni les foules ni les médias ni passionné quiconque. Ils étaient ce jour-là à peine 300 braves architectes, rejoints bientôt par une dizaine de militants du DAL (Droit au logement), perdus parmi les touristes indifférents sur la vaste place royale à Paris à discuter le bout de gras avec quelques CRS débonnaires.
La préfecture n’avait envoyé qu’une camionnette de pandores, c’est dire si le gouvernement était inquiet. Au moins le préfet de police était au courant que les architectes sont remontés contre la loi ELAN même si lui-même ne comprenait sans doute pas très bien l’objet de cette manifestation.
Dans leur immense solitude, les architectes peuvent au moins compter sur Françoise Nyssen, ministre de la Culture et leur ministre de tutelle, qui s’est fendue, le 17 mai justement, d’un communiqué de soutien vaillamment intitulé «Françoise Nyssen veut une architecture pour tous».
Vouloir est bien le moins, d’ailleurs qui ne veut pas d’une architecture pour tous ? Et que signifie ce titre ? Ne sommes-nous pas déjà TOUS dans l’architecture, du soir au matin, 365 jours par an ? Les seuls qui manquent d’architecture sont les migrants du canal de la Villette sous leurs tentes. Est-ce un signe généreux de la ministre à leur égard ? Ne nous égarons pas…
Avançons plutôt car nous n’en sommes qu’au titre de ce communiqué plein d’élan.
Premier paragraphe. «Dans le contexte du projet de loi dit ‘ELAN’ et à l’occasion d’une rencontre avec les lauréats de la promotion 2018 des Albums des jeunes architectes et paysagistes (AJAP) [rencontre ayant eu lieu le 28 mars 2018. NdA], la ministre de la Culture a réaffirmé son action pour le renforcement du désir d’architecture chez tous les citoyens, son soutien à la profession d’architecte et son engagement pour la promotion d’une architecture de l’habitat de qualité».
Ca c’est envoyé. Que voilà un ton martial. Mais réaffirmé ?
Réaffirmer quelle action, et à qui ? Aux lauréats des AJAP ? Leur appartient-il de porter la parole ministérielle ? C’est un privilège ? Un blanc-seing ?
Sinon, réaffirmer quoi, et où ? En Conseil des ministres ? A l’Assemblée nationale ? C’est marrant parce qu’il nous semblait justement ne pas avoir beaucoup entendu la ministre depuis le début de la contestation de la loi ELAN. Juste une impression sans doute.
Mais bon, continuons. Dans les deux paragraphes suivants, Françoise Nyssen annonce avec fermeté le lancement de deux chantiers, forcément à la mesure des enjeux :
Le premier chantier est «un travail sur le ‘désir d’architecture’, dont l’objectif est de consolider le rayonnement de la profession et sa reconnaissance comme levier de développement culturel, économique, social et environnemental». «Un groupe de travail mis en place rapidement»* rapportera les «travaux de ce cercle» auprès du ministère.
Le second grand chantier consiste en «un travail sur l’apport des architectes à la qualité de l’habitat».
«Un groupe de travail composé d’acteurs de la production des logements de demain sera animé par la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques, sous le pilotage de son président M. Roland Peylet avec les services des ministères concernés».
Ce second groupe sera chargé de «formuler des propositions pour valoriser le rôle de l’architecte dans le processus de production de logement de qualité, et pour équilibrer la relation entre maître d’ouvrage et maître d’œuvre, de l’émergence du projet à la réalisation». Vaste programme.
Plusieurs remarques.
La première est liée à la formulation des intentions : «un travail sur le désir d’architecture» et «un travail sur l’apport des architectes à la qualité de l’habitat». La ministre ne commande pas un rapport, ne confie pas une mission, n’ordonne pas une recherche précise, elle veut «un travail». Un quoi ?
Le flou de la proposition offre sans doute toute latitude au groupe ‘de travail’ de s’organiser comme il l’entend et permettra ensuite toutes les interprétations si le résultat obtenu de ce «travail» n’est pas celui escompté. Alors «un travail», sur le «désir d’architecture» en plus… Heureusement que le ministère de la Culture ce n’est pas la NASA : «je veux un travail sur l’apport des architectes sur la lune» et roule ma poule. Un BD ou une vision d’artiste, ça marche ?
Au moins, et c’est toujours ça, le désir d’architecture, ce n’est pas ce qui coûte cher. Sauf en petits fours peut-être.
Notons quand même la présence de Roland Peylet, conseiller d’Etat, ** pour présider le second groupe de travail. C’est plutôt une bonne nouvelle. En effet, le même fut en automne 2003 chargé par Jean-Jacques Aillagon, le ministre de la Culture d’alors, d’une étude à propos des Partenariats-Publics-Privé (PPP) déjà largement développés en Angleterre. Son rapport, loin d’encourager l’action d’un gouvernement qui n’en pouvait plus de lancer sans tarder lancer ses PPP (ce qui valut à l’époque de faire descendre 2 000 architectes dans la rue), sonnait toute une série d’alarmes.
Ce rapport fut enterré bien profond. Nous connaissons la suite et les prédictions les plus pessimistes de Roland Peylet se sont réalisées. Il est donc permis de penser que cet homme intègre fera montre en 2018 de la même franchise. Avec sans doute le même impact.
Remarquons encore que, alors que le parcours parlementaire de la loi ELAN est déjà largement engagé, c’est seulement le 17 mai 2018 donc que le ministère de la Culture entame ces deux chantiers si importants puisqu’il en va de «l’architecture pour tous» ?
L’inverse aurait peut-être été plus judicieux, ne serait-ce que pour pouvoir offrir un panorama éclairé des enjeux de l’architecture auprès des ministres à l’initiative de la loi ELAN. Ce n’est pas parce que nul au gouvernement ne lui demande son avis que la ministre des architectes doit se priver de quelques explications. Enfin, normalement.
Notons de plus à ce sujet que la ministre a attendu le 17 mai, une date évidemment pas choisie au hasard, pour annoncer ces deux grands chantiers dont nul n’avait entendu parler. Quelle sagacité et quel sens de la dramaturgie ! Elle a bien raison la ministre, il n’y avait pas urgence.
Est-il au courant Edouard Philippe de l’initiative de sa ministre de la Culture ? C’est que, bigre, deux nouveaux chantiers, en même temps… Qu’il se rassure, ces nouvelles (com)missions ad hoc – un travail, pardon – seront d’évidence financées par le budget de la Culture.
Mieux vaut tard que jamais dit l’adage. Certes. La ministre attend donc réception, en octobre 2018 au plus tard, des propositions de ses deux «groupes de réflexion». Et ce que ministre veut… Après avoir à son tour pris le temps de la réflexion, Françoise Nyssen pourra alors commencer à imaginer d’agir un jour en pleine connaissance de cause. Il sera alors évidemment trop tard pour «équilibrer la relation entre maître d’ouvrage et maître d’œuvre» – ce qui, mine de rien, vaut aveu implicite de la ministre que cette relation n’est à ce jour pas équilibrée – mais c’est l’intention qui compte.
Dit autrement, ces deux chantiers n’ont d’autre but que de gagner du temps et de renvoyer aux calendes grecques la moindre intervention (opinion ?) de la ministre de la Culture. Pour vivre heureux, vivons cachés. Surtout que la carrière de ministre de la Culture est courte et rapidement oubliée.
A la décharge de Françoise Nyssen, l’architecture n’est qu’une sous-commission du patrimoine, lui-même qu’un département de son vaste ministère, alors les architectes… Bref, quand la loi ELAN sera votée, il sera toujours temps pour elle, si elle est encore là, de revenir caresser les hommes et femmes de l’art dans le sens du poil avec ‘leur désir d’architecture’ si ça leur chante. Et dans une vie prochaine leur dédier quelque monographie.
Enfin, dernière remarque, un communiqué de soutien en 403 mots, y compris la liste des joyeux participants et l’intégralité de l’intitulé de leurs fonctions, en dit plus long sur l’estime dont jouissent les architectes au gouvernement que tous les beaux discours.
D’aucuns auraient pu penser au moins la Culture compatissante, même pas !
Christophe Leray
Retrouver tous nos articles consacrés à la loi ELAN ici
*Ce groupe réunira : Christine Leconte (présidente du CROA IDF) ; Guy Tapie (professeur et auteur d’un ouvrage récent sur « la culture architecturale des Français ») ; Simon Teyssou (maître de conférences et président du conseil d’administration de l’ENSA de Clermont-Ferrand. Seront associés, «des Grands Prix Nationaux de l’Architecture et des Albums des jeunes architectes et paysagistes de la promotion 2018, ainsi que des représentants du monde de la construction et de l’aménagement et des élus nationaux et territoriaux». Marie-Christine Labourdette, présidente de la Cité de l’architecture et du patrimoine, sera le rapporteur des travaux de ce cercle de travail auprès du ministère de la Culture, qui en assurera le suivi en lien étroit avec le Conseil National de l’Ordre des Architectes.
**Voir notre article PPP – A Roland Peylet, la patrie si peu reconnaissante