Il y a un an, le 18 janvier 2023, alors que le gouvernement s’apprêtait à faire voter sa réforme des retraites au forceps à coup de 49-3, une information judiciaire était ouverte par le Parquet national Financier à l’encontre de la CIPAV pour « escroquerie en bande organisée, concussion, faux et usage de faux ». Avec une perquisition à la clé du juge Pascal Gastineau.
Silence gêné des syndicats et des confrères mutualistes car c’est la troisième fois que la CIPAV, (Caisse Interprofessionnelle de Prévoyance et d’Assurance Vieillesse des professions libérales), est dans le collimateur de la justice.
Organisme privé sous tutelle, dépositaire d’une mission de service public, la CIPAV a été constituée en 1977 par le regroupement de la CAVITEC (ingénieurs, experts et conseils) et de la CAAVA (architectes). Elle a ensuite accueilli des nouvelles professions (ostéopathes, naturopathes, chiropracteurs et récemment auto-entrepreneurs). Son conseil d’administration se compose de 24 membres, élus, en principe, pour six ans. Or Le 12 octobre 2023 la Cour de Cassation annulait pour cause de fraude manifeste les élections partielles du conseil d’administration de la CIPAV intervenues en 2020.
Quelques jours plus tard était nommé un administrateur provisoire, Philippe Renard, haut fonctionnaire à la retraite, chargé d’organiser de nouvelles élections. Le calendrier électoral n’a pas traîné après ce coup de balai magistral. Mais les candidatures ouvertes jusqu’au 8 mars 2024 ont été annoncées subrepticement, sans la moindre transparence, adossées à des statuts iniques et discriminatoires, situation dénoncée par CIPAV-INFO, association de défense des adhérents. Cependant, les élections auront bien lieu du 9 mai 2024 au 20 mai 2024. Ce qui ne suffira sans doute pas à rétablir la confiance des 508 000 cotisants, 171 000 bénéficiaires (1,4 milliards de cotisations annuelles, 8 milliards de réserves) !
On peut le redouter, à la lecture de CIPAV-INFO, qui suit au jour le jour les nombreux dysfonctionnements de la caisse en l’attente des poursuites pénales consécutive à l’ouverture de la récente information judiciaire.*
Abonnée à la Cour des comptes
Les désordres de la CIPAV ne sont pas nouveaux. Un premier rapport de la Cour des Comptes au vitriol avait dénoncé « CIPAV une gestion désordonnée, un service aux assurés déplorable ». Tel était le titre du rapport de 82 pages de la Cour des comptes en 2014, qui décrivait un système à bout de souffle. À la suite de ce rapport, deux ex-dirigeants de la CIPAV, ont été condamnés pour « favoritisme » à des amendes, après avoir passé plusieurs millions d’euros de commandes sans appel d’offres, (source judiciaire). Un second rapport, en 2017, soulignait : « une qualité de service encore médiocre, une réforme précipitée ».
Depuis des années CIPAV-INFO dénonce la gestion calamiteuse du patrimoine immobilier de la CIPAV qui dispose d’un parc de quatorze immeubles dont certains sont dégradés, voire insalubres. La valeur du parc immobilier de la CIPAV fluctue, d’ailleurs, de plusieurs centaines de millions d’euros suivant les interlocuteurs, 358 M€ selon le conseil d’administration, 220 M€ selon Que Choisir. En 2014, le président Jacques Escourrou, déclarait par écrit que la valeur de ces immeubles était d’environ 442 M€. Qui croire ?
Le même Escourrou déclarait également : « Nous les architectes on a fait dix ans d’études, et les gens qui ont des professions folkloriques vont venir nous dicter ce que nous devons faire ? Quand je suis arrivé nous avions neuf millions de réserves, et quand je suis parti il y en avait 3,7 milliards ! Et ce ne sont pas les auto-entrepreneurs qui ont fait ça ».
En fait les investigations du juge Gastineau pourraient apporter un éclairage bien différent sur des opérations immobilières douteuses dont l’opacité inquiète les adhérents.
Trente ans d’embrouilles
L’une des raisons historiques de cette opacité et de doutes justifiés tient au caractère censitaire de l’élection des différents collèges du conseil d’administration de la CIPAV.
Le collège n° 1, qui représente moins de 10 % des adhérents de la CIPAV, a toujours le droit de désigner près d’un quart du Conseil d’administration, soit sept administrateurs exerçant en majorité la profession d’architecte. Les auto-entrepreneurs qui, eux, représentent environ 60 % des adhérents, n’ont droit à aucun administrateur.
Il convient de relever que tous les présidents de la CIPAV, depuis une trentaine d’années, jusqu’à Philippe Castans, le dernier, débarqué par l’arrêt de la Cour de cassation, étaient des architectes, membres du sérail, puisque pendant deux décennies il s’agissait d’anciens trésoriers du Conseil national de l’Ordre des architectes.
Les « Vieux de la vieille » se souviennent des embrouilles d’un ancien trésorier de l’ordre qui avait utilisé les fonds propres de l’institution ordinale pour prendre une participation dans une compagnie d’assurances non cotée en Bourse (dont il était actionnaire) pour 1,61 M€. Seule la menace d’une plainte auprès du Doyen des juges d’instruction avait permis d’annuler cet achat in extremis. Ce qui n’a pas empêché ledit trésorier de devenir président de la CIPAV au tournant des années 2000.
Les temps ont changé, et la sérénité revenue, avec l’élection en 2021 de Christine Leconte à la tête du Conseil national de l’Ordre !
Syrus
De Syrus, lire aussi
– Destins contrariés, le sort peu enviable des ministres de la Culture depuis 1959
– Secrets d’archi, petites histoires de l’architecture dans la grande
– Lettres persanes, considérations sur l’architecture à la façon de Montesquieu
*Pour plus de détails : http://www.cipav.info/