
Empressée pendant plusieurs années à tester le vocabulaire visuel d’un corpus d’œuvres architecturales développé aux confins géographiques reculés du monde, la gravité m’a peu à peu ramenée vers les paysages urbains et les décors denses et animés des métropoles. Le cas de Singapour. Chronique-Photos d’Erieta Attali.
La quête pour documenter la ténacité de l’être humain à travers sa production construite m’a déjà conduit à deux reprises à des incursions au plus profond des paysages urbains : panoramas de nuits et immeubles de verre à New York et à Tokyo où l’artefact, c’est-à-dire l’architecture, devient un environnement emplissant visuellement tout l’espace disponible.
En conséquence, les processus qui animent la vie sociale et matérielle diurne de la ville se révèlent, à travers des réflexions et des réfractions, comme autant d’éléments atmosphériques. La ville est un paysage minéral / électrique, avec ses propres saisons et écosystèmes sociaux, ces derniers dominés par un sens dynamique de l’horizontalité imprimé par la circulation continue, les éclairs de panneaux électriques et les masses de personnes en mouvement.



Les processus du changement sont à l’œuvre dans une échelle de temps beaucoup plus rapide que le rythme géologique. De fait les centres historiques coïncident avec les visions du modernisme utopique de leur temps. Ils rayonnent la vie vers la périphérie urbaine où cette expansion continue brouille toute notion de « limite » de la ville.
Des champs de terre poussiéreux aux autoroutes de béton, les paysages urbains, en se dévoilant, mêlent le passé, le présent et le futur. Je m’intéresse à l’idée de l’image globale d’un monde totalement urbanisé, composé de centres métropolitains denses dont chacun doit être traité comme une autre frontière.



Après un peu plus d’un an à vivre sous la menace du Covid-19, les villes ont basculé vers une nouvelle réalité. J’ai passé l’année 2020 à capturer le silence de l’absence humaine à Paris, quand la ville est presque devenue un décor de cinéma : avec un smartphone, j’errais à travers ses rues, les bâtiments patrimoniaux et la Seine produisaient alors un contraste en noir et blanc mettant en exergue l’expérience émotionnelle du confinement et offrant des échos d’une époque d’après-guerre oubliée.*
Les bâtiments et les avenues étaient engloutis par une obscurité mystérieuse et immobile, les monuments murmuraient à voix basse – ils sont normalement inaudibles dans le chaos bruyant de la ville – et les statues d’une beauté retrouvée et intemporelle vous regardaient avec calme.
Aujourd’hui à l’autre bout du monde, en Asie du Sud-Est et sur une petite île appelée Singapour, cachée parmi les tours verticales denses et la nature tropicale, j’observe que l’impact du Covid-19 est ressenti à travers l’absence de visiteurs extérieurs.
Cette île futuriste mais primaire, avec ses varans et sa faune primitive, est aussi à l’aise dans ses jungles vertes que dans la jungle artificielle des mégastructures.




En fin de compte, l’eau embrasse et unifie tout ; les formations géologiques et les contours des terres, les gens qui y résident et leurs rythmes de vie.
Erieta Attali
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* Lire / Voir Echoes of Absence | Lockdown Paris, par Erieta Attali