Le « Green New Deal » propose un nouveau Bauhaus. Une nouvelle « route de l’architecture » ? Cependant, la fascination du Bauhaus pour l’industrie a ouvert la voie au mirage de l’autonomie et à la répétition comme outil de l’uniformisation. Tout est à refaire ?
En octobre dernier, dans le cadre du « Green New Deal » Européen, Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, s’est prononcée pour la création d’un « nouveau Bauhaus Européen ». Elle a appelé à un « mouvement (qui) se veut un pont entre le monde de la science et de la technologie et le monde de l’art et de la culture ». On pourrait rajouter les sciences humaines.
A l’époque, le Bauhaus se voulait universel, international. Walter Gropius écrivait : « Le but final de toute activité plastique est la construction ! […] Architectes, sculpteurs, peintres ; nous devons tous revenir au travail artisanal, parce qu’il n’y a pas d’art professionnel. Il n’existe aucune différence essentielle entre l’artiste et l’artisan. […] Voulons, concevons et créons ensemble la nouvelle construction de l’avenir, qui embrassera tout en une seule forme : architecture, art plastique et peinture […] ».
Il poursuivait : « le programme pour la création d’une société générale d’architecture se fera sur une base artistique unifiée ». Il avait promu une approche industrielle et standardisée de l’architecture, principe proche du taylorisme. Le Bauhaus naissait d’une position paradoxale, basculant de l’artisanat à l’industrie.
Gageons que le nouveau courant architectural, cette nouvelle route de l’architecture, n’hésitera pas et qu’elle saura donner sa place à la nature face à la toute puissante machine de l’industrie, qu’elle saura redonner sa place à l’homme dans la construction de la ville, cette ville qui a été si malmenée. Les outils numériques seront au service d’un projet, celui de la diversité.
La nouvelle ligne proposée dans le cadre du « Green New Deal » pourrait avoir une autre ambition, celle d’ouvrir la voie à une Europe riche à la fois de son unité et de sa diversité. L’occasion est belle pour redonner à l’architecture ses lettres de noblesse et, avec elles, l’espoir d’une nouvelle Renaissance. Ursula Von der Leyen explique : « Il s’agit d’une nouvelle esthétique inspirée du Pacte vert européen combinant le design et la durabilité. Le nouveau Bauhaus vise à amener le Pacte vert dans les esprits et les foyers et de souligner le confort et l’attrait d’un mode de vie durable ; une bonne conception peut améliorer la qualité de vie ».
Tout un programme et de quoi enthousiasmer tous ceux qui, de près ou de loin, se sentent concernés par l’architecture.
Le Bauhaus énonçait un projet, celui de donner à toutes les activités artistiques un même horizon : de l’humain, de l’âme, que seul l’artisanat pouvait apporter. L’industrie, de manière implacable, a submergé le projet initial et l’a détourné. Aujourd’hui, seule la technique détermine l’esthétique qui est devenue la ligne de conduite, la norme. Gropius remplaçait Gaudi, Guimard, Horta… Aujourd’hui, c’est l’avenir de notre planète qui est l’enjeu que nous devons considérer, c’est lui qui, en s’appuyant sur nos cultures, sera l’inspirateur de la nouvelle esthétique attendue.
En un siècle, les idées ont évolué, nos outils, nos attentes, nos références également. C’est donc un nouveau projet, sans nostalgie, qu’il va falloir formuler. Avant d’aller plus loin, il faut faire un constat : tout fonder sur une esthétique industrielle porteuse de vérité a considérablement limité le champ de l’esthétique au sens large, et a asséché l’architecture, en particulier, devenue objet autonome, souvent sans lien avec le contexte.
Ce modeste constat me permet de faire une proposition pour alimenter une démarche. Si la transversalité du projet Bauhaus garde toute son actualité, en ce qui concerne l’architecture, il faut mettre à distance l’idée de rendre l’architecture autonome par rapport à son contexte avec l’ambition de la rapprocher d’un produit industriel.
De même, puisqu’il s’agit de proposer une nouvelle esthétique, il faudra en nourrir la source autrement que par la référence à la seule technique, celle-ci trop répétitive n’est pas en mesure d’alimenter la diversité des situations rencontrées. La technique met une limite et restreint très vite le champ des possibles. Notre chance pourtant aujourd’hui est que la robotique nous libère de la répétition en nous permettant le sur-mesure.
L’architecture, en s’assimilant au design, a entériné la rupture avec la ville. C’est la recherche d’autonomie de l’architecture, le refus de tout lien contextuel qui en a fait un objet presque abstrait. C’est avec la ville qu’il faut renouer, avec la ville européenne dont on connaît les qualités, lien entre la culture et les techniques. Il en va d’une démarche c’est elle qui va être le support d’une nouvelle esthétique.
Il faudra également convenir de la place à donner à la planète, par le choix des matériaux, l’attention soutenue à la course du soleil, à la place de l’orientation comme facteur de différenciation. L’attention à la nature, sous toutes ses formes, va nourrir le sens des projets de façon métaphorique.
« Le nouveau Bauhaus européen peut démontrer que le nécessaire peut aussi être beau ». L’objectif assigné au nouveau projet ne doit pas déboucher sur une nouvelle norme esthétique, unique et dogmatique, réduisant à néant les intentions essentielles attachées à l’urbanité et à la diversité sous toutes ses formes, bio mimétisme… L’émotion, la surprise, le plaisir, les critères de beauté devront se déployer de façon différente, soutenue par une démarche bioclimatique et un corpus large. Un corpus en chaque lieu renouvelé.
Pour initier un projet, il faut accepter de lui donner, non une forme définitive, mais des contours, des lignes directrices qui vont converger vers un même objectif, faire en sorte que l’architecture, « l’architecture comme projet », contribue et soit un vecteur majeur d’un nouveau contrat avec la nature : le « Green New Deal ».
Le Bauhaus a voulu rompre avec la ville en introduisant la séparation des fonctions. Au sens du Bauhaus, il faut garder l’architecture comme démarche transversale intégrant toutes les dimensions, sans négliger les sujets de circonstance : économies d’énergie, choix de matériaux durables, économie circulaire, plantations en ville, pistes cyclables, réduction de l’émission de gaz à effet de serre.
Pour y arriver, je propose que deux axes soient développés, celui de l’urbanité réconciliée et celui de la mixité des activités. L’idée de la ville européenne (que Max Weber définit comme le lieu du rempart du marché et de la démocratie) et celle de la présence de la nature sont en embuscade. Un certain nombre de notions devront être revisitées pour s’assurer en permanence de la pertinence des propositions.
Le « Green New Deal » est une occasion, celle de proposer un nouveau Bauhaus, c’est-à-dire de repenser l’artificialisation des sols, la densité, les économies d’énergie, la course du soleil, ses incidences sur les façades et la diversité induite… Du ciel à la terre, de la toiture au soubassement, le « Green New Deal » est une invitation à explorer, à réinventer une architecture qui parle au plus grand nombre, attentive à l’histoire et ouverte sur un futur partagé.
Pour ce projet ambitieux, la France pourrait proposer comme référent la ville de Nancy, avec sa place Stanislas comme emblème, l’art nouveau comme support de réflexion pour un nouvel art, une nouvelle voie, et son école d’architecture comme soutien. De la même manière, chaque pays européen pourrait proposer une école ou une ville qui soit un référent.
C’est une perspective réjouissante d’imaginer que l’architecture pourrait redevenir une préoccupation et susciter le plus grand intérêt, surtout lorsque l’on sait l’importance du logement et le rôle nouveau que la ville va devoir jouer. Après un siècle d’écartèlement, la ville, la nature, la construction et l’architecture pourraient se remettre en place. La métaphore de l’abeille, éloge de la répétition, a fait long feu, elle est devenue synonyme d’ennui et d’enfermement. L’araignée, elle, construit sa trame toujours différente, commence par l’extérieur pour terminer par le centre et donne son unité à ce qui était dispersé et disparate, une beauté retrouvée.
Paul Nizan commençait Aden Arabie par cette phrase devenue célèbre : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie ». Il en va peut-être différemment pour l’architecture qui a besoin d’un siècle, cent ans de solitude, pour se regarder dans un miroir.
Un siècle après la création du Bauhaus, tout est à recommencer, avec l’architecture comme viatique et avec l’enthousiasme des premiers jours !
La théorie de la continuité de l’espace, promue par le Bauhaus a ouvert la voie à la ville discontinue, éclatée et aujourd’hui c’est elle qu’il faut réunifier. La fascination du Bauhaus pour l’industrie a ouvert la voie au mirage de l’autonomie et à la répétition comme outil de l’uniformisation.
L’architecture du « nouveau Bauhaus », devra être support de diversité et de différences. Il faudra mettre en accord, le dire et le faire.
L’Europe se fera-t-elle par l’architecture ?
Alain Sarfati
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