Si l’exercice de l’aménagement urbain souffre d’une homogénéisation des solutions souvent indifférente aux différences contextuelles, des territoires choisissent néanmoins de fabriquer la ville avec leurs spécificités locales. C’est le cas en Guyane. Rencontre avec Denis Girou, directeur général de l’Etablissement public foncier d’aménagement (EPFA) de Guyane.
A 7 000 km de la métropole, un confetti créole de 84 000 km² niché à la frontière nord de la forêt amazonienne, entre le Surinam et le Brésil, semble bien éloigné des préoccupations et frimas de l’hémisphère nord. De fait, la Guyane, région d’Outre-Mer, doit faire face à de nombreuses problématiques locales qui lui sont propres.
Les chiffres témoignent de cette terre de contrastes. Trois cent mille habitants, dont le nombre a doublé en vingt ans, vivent en majorité sur la côte et dans les agglomérations de Cayenne et de Kourou. Avec sa zone économique exclusive de 130.000 km², ses 96% de surfaces forestières, ses ressources minières, halieutiques et énergétiques, le territoire français du continent sud-américain dispose en apparence de nombreux atouts.
Pourtant, les investissements sont rares, et les perfusions d’aides publiques ne suffisent pas à enrailler un chômage à 20% et à sortir de la pauvreté les 60% de la population qui vivent sous son seuil, soit localement moins de 500 €/mois. Comment, dans ses conditions démographiques et économiques, offrir un habitat pour tous ?
«En raison de sa géographie forestière, peu de terrains restent aménageables. D’autant que la Guyane connaît un développement économique lent, ce qui a une incidence sur l’aménagement du territoire», explique Denis Girou. De plus, il s’agit de prendre en compte les différences culturelles entre les différentes populations locales issues des Amérindiens, des orpailleurs de la fin du XIXème siècle ou de la vague d’immigration qu’a connu le territoire dans les années 80.
«La croissance urbaine est nécessaire et il nous faut faire évoluer les zones périurbaines. Cependant, rien ne se fera efficacement sans la prise en considération des revendications culturelles et des spécificités locales», dit-il.
Plus ici qu’ailleurs, la politique du logement est un enjeu lourd car ce petit territoire d’Outre-Mer reste une zone tendue, notamment parce que les habitants restent majoritairement peu solvables et que l’offre est insuffisante. Dans ce contexte, comment concevoir une offre d’habitat adaptée ? «Pour des raisons financières, culturelles et climatiques, on ne peut pas appliquer les standards nationaux», souligne l’aménageur.
En réalité, la crise de l’habitat est intrinsèque car l’aménagement est relatif en Guyane et la politique territoriale récente. Les politiques cherchent à endiguer le «logement illégal» – comprendre la construction sans permis de maisons sauvages sur des terrains squattés – un phénomène local. Selon le directeur de l’EPFA, il en existerait 30 000 et le phénomène souffrirait d’une augmentation de 5% tous les ans. Pour le contrevenant, cet habitat spontané reste peu onéreux et sans grands risques.
Pour Denis Girou, il faut augmenter l’offre de logement légale dont le besoin tourne autour de 4 000 à 5 000 logements par an. «Il faut prendre en compte la solvabilité des foyers, la capacité locale à construire et la capacité et les moyens des bailleurs locaux qui sortent déjà environ 1 500 logements par an». En d’autres termes, vendre moins cher, encourager le savoir-faire local et augmenter les moyens des bailleurs sociaux.
La majorité des constructions voient ainsi le jour dans le cadre d’opérations d’aménagement en écoquartier comme Hibiscus ou Montjoie dont les premières phases, achevées, montrent d’ores et déjà de belles réussites au-delà des quartiers. Ces chartes d’écoquartiers ont dû être adaptées car elles ont été pensées dans les pays de l’hémisphère nord, avec des contraintes différentes.
En 2015, une OIN (opération d’intérêt national) a été créée pour vingt ans pour soutenir l’effort de la région en moyens financiers et humains avec la mise en place d’un système de qualifications, notamment dans la façon de concevoir la ville durable, adaptée au climat et conçue par un microcosme local. Les premiers logements estampillés OIN devraient ainsi sortir de terre d’ici 2022.
«Nous travaillons également avec les mairies pour effacer une partie des coûts fonciers afin de réduire la différence entre ceux des logements légaux et illégaux, notamment pour les populations amazoniennes». Le foncier régulé peut coûter 20% de moins en zone d’aménagement que sur le marché des particuliers. Afin de réduire encore un peu les prix de sortie, la puissance publique favorise aussi l’auto-construction encadrée. A 400€/m², l’offre légale devient alors plus compétitive.
En Guyane, la considération des spécificités des différentes populations locales, des ethnies qui pour certaines vivent sur des modèles sociaux, culturels et d’aménagement de villages différents des standards métropolitains, est également un enjeu, auquel les opérations d’aménagement locales tentent de répondre.
Par exemple, il faut envisager des «Carbets» collectifs, des maisons communes dans la culture amazonienne. «Il faut, avec cet équipement collectif, tenir compte des fonctionnalités culturelles millénaires liées aux pratiques autochtones», explique Denis Girou : 80% des logements en écoquartier sont ainsi pensés dans des standards travaillés au regard des contraintes locales, 20% des logements correspondent aux besoins des populations amazoniennes.
La Guyane reste protégée des aléas climatiques destructeurs comme les cyclones et les séismes. En revanche, le territoire est régulièrement frappé par des inondations. Comment être résilient face à l’eau est une des interrogations les plus récurrentes ? Les solutions apportées par les architectes et les urbanistes locaux sont simples et empiriques. Des solutions de drainages efficaces sont mises en place avec des bassins de rétentions importants. «Surtout, nous imperméabilisons au minimum», indique Denis Girou.
Paradoxalement, alors qu’en métropole, le biosourcé et l’écologie passent par la filière bois, à Cayenne, seulement 10% des lots sont en construction bois. La raison ?«Le bois reste connoté ‘vieilles cases’», explique l’aménageur. Ainsi il ne s’agit pas seulement d’améliorer la qualité de la ville et de la vie dans un contexte local spécifique, il s’agit bien plus de moderniser l’ancrage local des méthodes et des codes de construction guyanais.
Par exemple, l’Ecoquartier Remire-Montjoly intègre les principes du développement durable en utilisant des éco-matériaux. Le mobilier urbain est construit avec des écomatériaux locaux comme la latérite pour les cheminements et le bois local pour les clôtures, les bancs et les lampadaires.
«Depuis les premières livraisons, la vie s’est socialement améliorée avec un rayonnement au-delà du quartier», se félicite Denis Girou. Comme quoi, le contexte ne doit pas seulement être un figurant de bon aloi mais rester aux fondements de la conception urbaine et architecturale.
Alice Delaleu