
Le champ de vision s’élargit avec l’enfant qui grandit. Son habitat se déploie. Extrait Livre II : Comment (méthode, outils et concepts). Chronique HABIT@.
Petit, l’enfant observe les fourmis, les doryphores, les coccinelles et les papillons. Il suffit de quelques cm3 pour qu’il s’immerge dans un jeu ou une construction. Quand il grandit, l’adolescent découvre (le soi et) la liberté dans le vaste monde avec un grand M. Il multiplie les expérimentations inédites, les premières fois. Plus impressionné par le choc de la nouveauté que par sa subtilité.
Quand il en a une, la chambre de l’enfant – celui qui n’en a pas trouvera ailleurs dans un espace perpétuel ou éphémère, son nid – est un lieu sécurisant. C’est souvent son monde, son laboratoire de vie. L’espace transitionnel* où il n’est ni complètement en lui-même, ni tout à fait à l’extérieur. Il peut apprendre librement à modeler, à architecturer.
En chaque adulte sommeille des parts de l’enfant, de l’adolescent, à la fois de celui que nous étions et plus globalement de l’état (général) d’enfance et d’adolescence. Il est possible de les réactiver comme on appelle un souvenir.
Je m’adresse ici à l’enfant et à l’enfant intérieur en chacun d’entre nous.
Remarques à un enfant de 7 ans
Quand tu es dans ta chambre
Regarde par la fenêtre.
Observe le ciel,
Approche-toi de la vitre, pour saisir l’intégralité du paysage,
puis, éloigne-toi, attentif aux lents mouvements de l’image extérieure qui accompagne ton déplacement.
Avance, puis recule ; puis avance ; puis recule ;
puis avance puis recule. Puis. Avance puis recule – fais varier la vitesse –
l’image change.
Colle ton nez sur la vitre : tu es presque dehors, plongé dans ce lieu si proche… Tu le perçois partiellement.
S’il pleut, tu restes au sec. S’il neige tu restes au chaud. Tu es le spectateur d’un environnement dans lequel tu es… protégé.
Colle ton dos sur le mur opposé, au plus loin que tu peux :
l’extérieur est là, cadré comme un tableau.
Entre les deux, l’image change
Déplace-toi d’un côté, déplace-toi de l’autre côté.
À chaque fois, les images se transforment
– par elles-mêmes (parce que peut-être il y a un avion qui passe dans le ciel) ;
– par ton regard (parce que tu es, de face ou de côté, à un centimètre ou un mètre de la fenêtre) ;
– par le temps qu’il fait et le temps qui passe (la couleur du ciel, les feuilles d’un arbre, la luminance des étoiles).
Ces images sont à toi.
Et peut-être qu’aussi, elles sont une partie de toi.
Ta chambre est ton vaisseau et dehors le monde bouge.
Si tu apprends à regarder ces images, toutes ces images… Tu peux les comparer. Et tu peux en choisir une que tu aimes et décider qu’elle mérite un sourire.
Tu peux localiser le point de vue, exactement.
Et quand tu seras triste, tu y repenseras, tu bougeras à nouveau,
Tu te positionneras à l’endroit précis de ton image.
Et tu retrouveras ton sourire coloré par le paysage du moment.
Et peut-être seras-tu un peu moins triste.
Tu peux en choisir une autre et décider autre chose, ce que tu veux. Et tu peux en changer…
Ta chambre est un peu toi.
Et quand tu seras en colère, tu
Tu peux
Et quand
Tout cela, c’est à toi, c’est ta construction, c’est ton habitat.
Quand il n’y a pas de nuages, observe le soleil : comment entre-t-il ? Est-ce que ta chambre est entièrement éclairée ? est-ce que par moments des rayons t’éblouissent ? est-ce qu’il y a des zones d’ombre ?
Le soleil crée-t-il un halo de lumière sous la fenêtre ? sur le mur ? Comment bouge-t-il ?
Le soleil écrit-il une ombre ? Comment se déplace-t-elle ? À quelle vitesse ? Dans quelle direction ?
– Installe-toi, si tu peux, entre l’ombre et la lumière, à la limite.
Et écoute le mouvement de l’air sur ta peau. –
Tout cela, c’est à toi, c’est ta construction, c’est ton habitat.
Ce soir quand il fera nuit… ne ferme pas les volets et tu chercheras : y a-t-il une lumière extérieure qui entre par ta fenêtre ? La lune ? Les lampadaires de la ville ? Les défilements saccadés du mouvement des phares ?
Et ta lumière à toi quand elle est allumée, est-ce qu’elle crée des zones plus sombres ? plus cachées ?
As-tu plusieurs lampes dans ta chambre ? Un plafonnier ? une lampe de chevet ? une guirlande lumineuse ? une veilleuse ? Leur couleur est-elle la même ? Peux-tu en changer ? Est-ce qu’elles se rencontrent, se superposent ?
Y a-t-il entre deux halos une zone d’ombre ou d’obscurité ? Pourquoi les sources lumineuses sont-elles positionnées ainsi ? As-tu réfléchi à leur emplacement ? As-tu fait des essais ?
Regarde, en fonction des possibilités (prises de courant, rallonges, supports, accroches, etc.), les différentes configurations que tu peux créer.
Repère les différents lieux et atmosphères que cela génère.
Choisis et change quand tu as envie.
Tout cela, c’est à toi, c’est ta construction, c’est ton habitat.
Quand tu es dans ta chambre, ouvre grand ta porte. Que vois-tu ? Qui peux-tu voir ? Qui peut te voir ?
Qu’entends-tu ? Peux-tu te cacher ? Peux-tu espionner ?
Ferme la porte, puis à nouveau, ouvre. Qu’est-ce que ça change ? Que préfères-tu maintenant ? Que préféreras-tu demain ? Le soir ? Si tu es seul ? avec des amis ? joyeux ? mélancolique ?
Tout cela, c’est à toi, c’est ta construction, c’est ton habitat.
Quand tu es dans ta chambre, observe les matières que tu peux toucher : les objets, les meubles, les tissus, le sol, le mur, les plinthes, les poignées… puis oublie les objets, et observe le reste, l’espace entre.
Observe le plafond. Le vide de la pièce.
– Choisis une petite surface, sur un mur ou sur le sol, dessine un cadre et à l’intérieur écris ou crayonne ce que tu veux… –
Tout cela, c’est à toi, c’est ta construction, c’est ton habitat.
Quand tu es dans ta chambre, observe les positions que tu peux prendre, les endroits où tu peux t’asseoir, t’allonger, sauter. Répertorie-les et compte-les. Essaie de les comparer ? Vois si tu peux en trouver d’autres ? en créer d’autres ? en combiner peut-être en déplaçant une chaise ou un lit.
Ta chambre est un paysage.
– Assieds-toi sous une table. Tu vois quoi ? Ça change quoi ? –
Tout cela, c’est à toi, c’est ta construction, c’est ton habitat.
Que peux-tu ajouter ou soustraire ?
Que veux-tu ajouter ou soustraire ?
Quelles traces accueillir ? Quelles traces laisser ou effacer ?
Ton milieu s’observe, il t’observe
Ton milieu s’apprivoise, il t’apprivoise
Ton milieu se modèle, il te modèle.
Tout cela, c’est à toi, c’est ta construction, c’est ton habitat,
c’est ta ressource, c’est ton tremplin
et ça bouge…
Rappelle-t’en bien !
Entraîne-toi bien
Et fais en bon usage…
Eric Cassar
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*« L’aire intermédiaire d’expérience, à laquelle contribuent à la fois la réalité intérieure et la vie extérieure, est une partie indispensable du développement humain ». Donald W. Winnicott, Jeu et réalité, 1971