
Axel Dahl est un touche-à-tout réformé, au moins pour l’instant. Pendant dix ans photographe de magazines à papier glacé, il avait le goût du blanc et noir et tout ce qu’il y a entre les deux. Musicien, il devient journaliste et, encore ensuite, réalisateur. Depuis 2011, retour à la photographie, toujours à la chambre, toujours argentique, avec cette fois pour seul focus une autre passion ancienne : l’architecture. Dans les mises en scène d’Axel Dahl, le bâtiment n’est plus le sujet mais l’acteur d’une pièce qui se déroule au théâtre de l’instant précis. Tout est construit. Tout est cependant vrai et authentique. Un miracle parfois. Journée de tournage avec Axel Dahl.
C’est maintenant
6h00

Façade nord, quinze minutes de soleil. Le chat se faufile en trottinant rapide et ne repassera pas. En tous cas pas maintenant.
7h20

Cinq minutes de marge avant que la lune ne disparaisse du cadre. Elèves à droite, maintenance à gauche, tous au bon endroit, maintenant.
7h55

Dix minutes avant d’être aveuglé par le soleil levant. Il faut que quelqu’un passe, en regardant vers la grande croix nimbée d’espoir quant au jour peut-être nouveau qui s’annonce – maintenant.
8h30

Attendre que les ombres soient justes et ne décalent rien, qu’elles épousent tendrement. Que l’arbre de droite soit encore éclairé et que les nuages qui vont m’assombrir le reste de la journée n’émergent pas trop, derrière, à gauche. Maintenant.
9h25

Façade nord, rude soleil droit ; deux touristes perdus traînent leur valoche. Un pompier sort de l’ombre ; il fait son jogging matinal en bleu, aussi. Le feu est rouge et c’est maintenant.
10h15

Longue matinée à éloigner les voitures et regarder les nuages ne pas aller là où ils devraient. Le vieux monsieur marche lentement et finit par se poser, au seul bon endroit, se demandant peut-être si justice un jour lui sera faite. Comme lui j’ai encore un peu de temps, mais c’est maintenant.
15h20

Allongé dans l’herbe, sur le dos, la tête à l’envers, emmitouflé dans mon drap noir pour ne pas voir mon reflet dans la vitre qui est à précisément quelques centimètres de l’obectif. Dans vingt minutes le soleil sera trop à l’ouest : mes arbres ne seront plus éclairés et ceux d’en face le seront trop. Il y a foule mais il me faut deux observateurs à droite, pas plus, et d’autres à gauche aussi, mais pas trop. Et elle arrive, si grande et en blanc. Elle me regarde un instant, maintenant.
17h10

Eglise à gauche, prison à droite, médiathèque au milieu ; ombres là où il faut pendant cinq minutes, ou moins. Quelqu’un marche derrière moi, il n’y a plus qu’une image sur la bobine et demain, c’est sûr, il pleuvra. Pas le choix – c’est maintenant.
19h50

Les néons de droite viennent de s’allumer, ceux de gauche s’éteignent dans cinq minutes, ou trois. Les nuages gris vont vite couvrir ce qui reste de coucher de soleil. Attendre que les néons rouges du bâtiment derrière moi s’allument ? Peut-être. Mais pas si visibles que ça. Faut voir. Alors c’est maintenant.
20h00

Le soleil descend vite en Martinique, ne laissant pas le temps de faire autrement. Une voiture fait le tour de l’ancien parking. Quarante secondes de pose, c’est long – mais c’était maintenant.
Axel Dahl