Ils sont cinq architectes. Malgré les différences d’âge et d’origine, ils ont suivi la même formation dans la même école (Paris Belleville) dans l’atelier de Henri Ciriani. Hasard de leur histoire, ils ont ensuite travaillé pendant dix, voire quinze ans, dans la même agence avant de créer, ensemble, la leur. Ils partagent les mêmes savoir-faire et volonté de construire. Portrait.
« Un dragon à cinq têtes« . Jacques Sebbag (45 ans) résume soudain ce corps constitué de cinq architectes : Archi 5. Nous sommes dans la vaste salle de réunion de l’agence située à Montreuil (93). Une salle nue, épurée où rien n’accroche le regard. Une large baie donne sur la rue de ce quartier cosmopolite, une autre sur l’agence elle-même. Et autant la salle de réunion est froide et anonyme, autant l’agence, dans ce qui fut un entrepôt, est chaleureuse, ouverte, lumineuse. Sa taille symbolise l’espoir de futures charrettes organisées en convoi.
Ils sont cinq donc : Bernard Guillien (48 ans), Erik Giudice (36 ans), Laurent Boudrillet (45 ans), Thomas Dryjski (41 ans) et Jacques Sebbag, réunis ce matin d’octobre pour faire leur promo. « Notre objectif n’est pas de faire des cabanes« , assure Jacques. « Nous ne sommes pas des artistes mais des constructeurs ; si on délivre une image, c’est pour la construire« , ajoute plus tard dans la discussion Bernard. Archi 5 est une machine aujourd’hui bien huilée, ou presque et avide de compétition, – « comme au tennis, on lâche nos coups » – qui a parfaitement intégré l’importance de la communication au point de faire appel à un graphiste pour concevoir leur logo. « Nous avons besoin de visibilité« , remarque l’un d’eux. A part sa propre agence, Archi 5 n’a encore pas beaucoup construit, sinon la médiathèque de Chartres en association avec Paul Chemetov, et le gymnase universitaire à Belfort et trois centres pénitentiaires en association avec Borja Huidobro. Derrière la détermination affichée pointe un peu d’anxiété, dont témoignent ces appels répétés au journaliste pour savoir quand sera publié cet article.
« Nous nous sommes retrouvés par hasard mais ce n’est pas un hasard« , offre Laurent. « C’est une histoire qui a commencé à l’école« , explique Jacques. De fait, ils ont tous, sauf l’aîné Bernard, peu ou prou reçu le même type de formation à l’école d’architecture de Paris Belleville, dans l’atelier d’Henri Ciriani. Ils ont tous fait leurs classes chez (entres autres) Paul Chemetov et Borja Huidobro, s’éloignant finalement du premier, gardant de forts liens de travail et d’amitié avec le second. Au fil du temps, se connaissant depuis 10 ou 15 ans et ayant pris l’habitude de travailler ensemble, ils ont fini chacun par désirer leur propre structure. « C’était soit seul chacun de son côté, soit à cinq« , se souvient Jacques, le plus volubile du lot. « Se réunir était le moyen le plus efficace pour parvenir à nos fins« , dit Thomas. « Nous étions des électrons libres chez Chemetov et Huidobro, nous sommes devenus un atome« , précise encore Bernard. « Sélection naturelle« , évoque Erik. Ils avaient le même mode d’emploi, la démarche commune s’est imposée. Encore fallait-il qu’ils partagent entre eux de solides liens professionnels et d’amitié. « Le feu, nous l’avions déjà, il suffisait de trouver du bois et une petite flamme« , assure Jacques. Du coup, ils ont prévu le foyer vaste, comme cette immense agence.
Les avantages d’un tel collectif sont manifestes. S’ils sont de « jeunes » architectes d’Archi 5, ils sont chacun parfaitement expérimentés. Ils maîtrisent le métier de l’esquisse à la livraison, connaissent nombre de maîtres d’ouvrage et possèdent déjà la confiance des bureaux d’études. Ils sont complémentaires, chacun possédant son domaine d’excellence, le tout leur permettant d’intervenir sur un large domaine de compétences. « Réunir plusieurs architectes permet de répondre de manière plus intelligente sur certains sites, nos approches se complètent ; la multiplicité de langages n’est pas un handicap ; ne pas avoir d’écriture stéréotypée nous permet d’aborder différents programmes« , assure Erik. Ils sont donc, depuis trois ans, date de la création de l’agence et de leur premier concours gagné ensemble, et, surtout, depuis juin 2006 et l’installation à Montreuil, sur tous les fronts. Un stade, un collège, un palais de justice, une prison, un programme de logement… Pas d’états d’âme, encore moins en ce qui concerne la conception-construction. « Archi 5 est un outil fait pour construire, pas un outil de recherche théorique ; sans construction Archi 5 perd de son sens », soutient Thomas.
De fait ils ont d’ores et déjà plusieurs bâtiments en chantier, dont un gymnase à 6 millions d’euros (Gymnase universitaire de Belfort), un lycée à Sotteville lès Rouen à 42 millions d’euros. Ils viennent de gagner une mosquée, un gymnase à Villetaneuse, une médiathèque à Mont-de-Marsan, des logements à Vitry, voient filer sous leur nez un stade de 60.000 places à Varsovie. « On ne s’interdit pas de répondre à tout type de programme, tous les sujets et tous les terrains de jeu nous intéressent mais on propose une vraie réponse à chaque fois », assure Bernard. Autrement dit, les 150 candidatures par an sont personnalisées, ce dont s’occupent deux personnes à plein temps. Ils sont retenus plus d’une fois sur dix et gagnent environ une fois sur cinq. Un amour des statistiques qui en dit long sur leur ambition. « Nous avons assis notre savoir-faire« , dit Jacques.
De fait, à cinq, « toutes les combinaisons sont possibles« , c’est-à-dire innombrables. « Nous faisons la cuisine ensemble mais le maître d’ouvrage a un interlocuteur unique« , expliquent-ils. Sauf qu’ils sont capables de se pointer à deux, ou trois, ou plus à une réunion. Il y en a toujours un de disponible pour une charrette, pour gérer un imprévu, pour donner un coup de main. La force d’impact est démesurée. « Le paysage, le territoire… nous aimons bien la grande échelle« , explique Laurent, le même qui plus tôt assurait « aller au bout de la démarche en dessinant le mobilier« . Jacques, un fois de plus, résume la discussion : « Nous multiplions par cinq notre capacité à créer avec cinq fois plus de vitesse« . Le tout, dit-il, avec l’assurance « qu’au pire du pire, on se retrouve tous les cinq et on produit nous-mêmes nos projets« . Le confort de l’architecte grégaire quand se multiplient les concours perdus. « Nous savons ce que c’est que de perdre un concours« , disent-ils. Aujourd’hui, 25 personnes travaillent à l’agence.
Pas de couac dans les rouages ? Comment être toujours sur la même longueur d’onde quand cinq personnalités différentes sont dans une seule pièce ? « Nous sommes encore de jeunes mariés, pas un vieux couple ; pour l’instant, on peut encore tout se dire« , relève Bernard, le plus ‘ancien’ et peut-être aussi la conscience morale du groupe. C’est lui qui, par exemple, révèle que le choix de Montreuil comme base n’est pas tout à fait dû au hasard. Ses collègues aimaient l’idée du coup de chance, cet entrepôt à vendre qui leur tendait les bras. S’il admet volontiers l’aspect pratique et économique de cette adresse, il en note également la portée « idéologique, historique, culturelle« . Ses confrères plus jeunes, tous issus de classe moyenne ou modeste, en conviennent finalement. « On se sent bien à Montreuil » dit l’un. « On se retrouve sur la valeur travail, l’envie de faire« , assure Jacques. Ce rappel de Bernard est sans doute salutaire au groupe dans la mesure où il tempère les bouffées d’ambition qui pourraient se révéler contre-productive. L’arrogance, derrière la façade d’une énorme confiance en leurs moyens et en eux-mêmes, n’est au final pas de mise. Il est vrai que dans leur book, chacun de leur projet dispose du même espace, quel qu’en soit le budget.
Mais bon, ils s’étaient armés de patience, les voilà déjà qui agrandissent leur horizon. Une petite agence de deux personnes en Pologne, des concours au Viêtnam avec des architectes coréens ou en Italie avec « une grosse agence« , leur appétit est à la hauteur de leur esprit de compétition : « un hôpital manque encore à notre tableau de chasse« , conclut Jacques. Ce n’est qu’une question de temps. Le principal danger est d’ailleurs peut-être l’impatience. Partant qu’un projet se construit en cinq ans en moyenne, « en 2010, nous espérons avoir quatre ou cinq références construites« , dit Jacques, apparemment inquiet que ce nombre à un chiffre ne traduise pas bien la formidable énergie et la détermination farouche qui les animent.
Au final ce qui apparaît de plus surprenant à les rencontrer d’un coup tous ensemble est que leur projet commun est effectivement bâti sur une addition de compétences à partir de valeurs morales et intellectuelles communes plutôt qu’à partir d’une fusion amicale dans le cadre d’un idéal partagé. Archi 5 est une somme dans un système conçu pour répondre aux ambitions de chacun et non un tout aux éléments interchangeables. C’est la raison qui les gouverne, pas l’émotion. « Archi 5 ne propose pas une écriture identifiable. Une écriture hétéroclite est celle qui nous rassemble« , offre Bernard. « Le pari est le suivant : comment gagner une liberté à cinq ?« , interroge Laurent. « Chacun doit avoir un espace de liberté pour donner le meilleur de lui-même« , répond-il. « Cela permet de mener les projets de façon sereine« , confirme Jacques.
L’image du dragon à cinq tête se révèle ainsi être la bonne. Le corps fait masse et a permis de mettre en place une organisation et une économie de fonctionnement d’une redoutable efficacité, les risques étant pris en commun. Mais chacune des têtes n’en pense pas moins puisqu’il n’y a aucune hiérarchie, que les compétences sont interchangeables, de la table à dessin au chantier, et que chacun pourtant, à ce jour apparaît autant nécessaire qu’irremplaçable. Le nom de l’agence est d’ailleurs fini, et le nombre entier. L’idée fait maintenant son chemin que de cet attelage naisse une véritable identité. « Nous nous apercevons depuis peu que s’il doit y avoir un fil conducteur dans notre écriture, il transparaît plus dans les concours gagnés que les concours perdus« , note Jacques en conclusion. Le dragon est en train de gagner en épaisseur, et en profondeur.
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 12 novembre 2007