Jusqu’au 28 août 2022, arc en rêve centre d’architecture à Bordeaux (Gironde) présente l’exposition « Impasse des Lilas », une carte blanche offerte à la jeune agence parisienne MBL architectes qui mène l’enquête dans un « impensé urbain » : le lotissement pavillonnaire. Visite.
Lors de la présentation de l’installation le 19 mai 2022, Fabrizio Gallanti, nouveau directeur depuis 2021 de l’institution bordelaise, se réjouit de cette coopération :« Ce qui est intéressant est que cette exposition reflète la réflexion d’une jeune agence, d’architectes curieux, vorace, moins obsessionnel ».
L’installation devait éviter les écueils convenus lors de ces expositions ‘cartes blanches’ pas toujours très subtiles. Ici le visiteur n’est pas déçu quand il pénètre dans cette impasse des Lilas, cette « voie sans issue sur les bords d’une métropole. Il n’y a pas de lilas mais un amalgame uniforme de vies domestiques, d’architectures et de paysages quelconques. Il existe 841 impasses des Lilas en France, et plusieurs milliers d’autres aux noms de fleurs », explique Sébastien Martinez-Barat, cofondateur de MBL architectes en 2013.
Le décor posé, il n’est pas question ici d’architecture grandiloquente mais de se pencher sur ce que le tandem qualifie « d’impensé de la culture architecturale » : la zone périurbaine, ni tout à fait en ville, ni tout à fait à la campagne. Un espace pourtant fort apprécié des familles, les architectes se souviennent d’ailleurs y avoir grandi, l’un à l’est de Toulouse, le second plus au sud de la ville rose, espace malgré tout oublié de l’architecture et de son enseignement.« Ces impasses deviennent un point de vue théorique pour penser, depuis ces territoires pavillonnaires, l’architecture aujourd’hui », souligne Benjamin Lafore, cofondateur de l’agence, L’impasse devient alors un territoire générique, signifiant et signifié d’une culture territoriale au moins oubliée, au pire décriée comme cataclysme écologique et intellectuel.
Plutôt qu’une vaste monographie à peine voilée mais sans doute un peu courte au regard d’une jeune agence, les architectes ont préféré présenter une centaine d’objets épars issus de l’industrie, de leur agence, de galeries d’art ou d’architectes invités. Un pêle-mêle complexe à ordonner, que le marché aux puces de Kyoto et le plan d’ordonnancement inspirent largement pour la scénographie de l’installation qui se tient sous les voûtes du vieux bâtiment bordelais.
Pour les deux compères, l’architecture procède de l’enquête. « Notre posture d’architectes-chercheurs nous a conduit à excéder les questions de formes, de styles et de formats pour nous focaliser sur les processus et expérimentations méthodiques », explique Benjamin Lafore.
L’exposition est ainsi conçue comme une sélection d’indices qui mis bout à bout fabrique le périurbain à la fois générique, individuel et individualiste, angoissant, normé, intimiste, caché, riche, éclectique, standardisé, drôle…
Si le regard ici porté sur le lotissement pavillonnaire se veut neutre, aussi positif que négatif, les adjectifs sont au moins aussi nombreux pour décrire ces territoires que les objets retrouvés.
Composée de six chapitres, l’exposition débute par l‘exploration de ce territoire, ‘ni ville ni campagne’, des formes urbaines et paysagères qui le caractérisent et de l’imaginaire de la catastrophe qui l’infuse. À partir de ce constat, sont élaborées les promesses d’une pratique à même de produire des architectures sans forme, éclectiques et imprévues, à la fois prospectives et réalistes, découvertes au travers des cinq autres chapitres : ‘le neutre et l’éclectisme’, ‘boum boum boum’, ‘allégorie du nuage’, ‘ne rien savoir, tout découvrir’ et’ après tout’.
La scénographie basse regroupe les objets sur des surfaces planes et transparentes, au sol. Elle interpelle puisque par essence l’architecture habitue au volume, à la hauteur et non pas à porter son regard vers ses pieds. Par ce dispositif scénographique rudimentaire, MBL architectes invite à déambuler dans cet étalage de choses rendues équivalentes.
« L’étendue de ce paysage plat évoque l’horizon des nappes pavillonnaires, l’étourdissement des grandes surfaces et les promesses d’un marché aux puces », argumentent les deux architectes.
Un petit livre curieux et familier guide le visiteur. Il identifie et explicite les rapprochements d’objets au sol. Sur sa couverture, un motif en ‘opus incertum’, hésitant entre craquelure ou jointure, incarne l’ambiguïté de ce qui est donné à voir. Cet ouvrage incertain présente les associations précises à propos des choses trouvées çà et là.
Pas un luxe cependant puisqu’aucun cartel ne vient expliquer ne serait-ce que brièvement les assemblages parfois obscurs qui règnent à nos pieds. Cependant Sébastien Martinez-Barat l’affirme : « la scénographie est construite comme une déambulation basse. On fait confiance au visiteur pour trouver son chemin ». Comme dans un lotissement ?
Dans leur vie post-étudiante, les architectes ont été amenés à rencontrer artistes et architectes de renom et se sont façonné une solide culture extra-architecturale savamment mise en musique sur une bande-son originale de l’artiste électro Perez. L’intérêt réside dans le mélange d’une imagerie populaire, dans son sens le plus littéral du mot, celle du peuple, car le périurbain abrite la majorité des Français et même des Européens, avec des références pointues. Le quatre couleurs de Bic côtoient ainsi François Blanciak (architecte et chercheur à l’université de Tokyo) tandis que l’écrivaine Annie Ernaux dialogue avec l’architecte-sculpteur franco-suisse Daniel Grataloup, McDonald’s avec Jean-Pierre Raynaud (artiste), la maison Phoenix avec la Galleria Continua (galerie d’art contemporaine), Denise Scott Brown (architecte américaine) avec Ryuji Nakamura (architecte japonais), ou encore Stanley Tigerman (architecte américain) avec Mathieu Mercier (artiste) ou la Twingo avec Thomas Daniell (critique d’architecture et professeur à l’université de Tokyo).
Si l’exposition n’invente finalement pas le périurbain du futur, celui qui aurait retenu les premières leçons d’un monde post-pandémie ou proposé quelques premières solutions aux problématiques d’étalement urbain et autres questionnements écologiques, les commissaires témoignent d’un point de vue sur le pavillonnaire plus hédoniste qu’à l’accoutumée.
L’enquête que le visiteur mène avec MBL architectes dévoile une vision davantage pop-art du lotissement, moins angoissante car plus positive, illustrant une des réflexions de Benjamin Lafore : « une architecture de recherche occasionne des résultats inattendus. Cette attention au réel, aux circonstances, aboutit à concevoir des situations plus que des formes. Dès lors, l’éclectisme semble être le seul horizon de cette double exigence d’une pratique à la fois prospective et réaliste ».
De fait, Impasse des Lilas est sans doute davantage monographique qu’elle en a l’air.
Alice Delaleu