L’architecte, urbaniste, critique et historien d’art Philippe Barrière est décédé brutalement en août 2021. Chroniques venaClimate Study Station @PB+COit pour la première fois de publier l’un de ses projets, situé en Tunisie où il résidait depuis dix ans, et de découvrir plus largement son travail. Odile Decq le connaissait bien et avait écrit ce texte à son propos, que nous publions in memoriam.
Par le hasard d’une rencontre et de l’intervention d’une amie commune, j’ai eu le privilège de rencontrer Philippe Barrière à New York à la fin des années 80. C’est un privilège car j’ai très vite su que Philippe était quelqu’un de rare et d’exceptionnel.
Philippe avait fait le choix de vivre dans les années 80 aux Etats-Unis après y être venu antérieurement poursuivre des études à Cranbrook suivies d’un Master à Cornell avec O. Mathias Ungers et Colin Rowe dans les années 70. Travailler avec John Johannsen et finir sa thèse était son objectif car il avait la nostalgie de la conception de l’architecture développée comme une discipline et une culture. Cette manière d’envisager l’architecture était alors prégnante aux US et quasi inexistante en France.
C’est alors qu’il a fait le choix de rester. Il tentait sa chance à New York et avait, lorsque je l’ai rencontré, quelques réalisations d’aménagements intérieurs à son actif. Déjà, il enseignait, et déjà son regard et son acuité critique m’avaient frappé. Vu de la côte Est des Etats-Unis, la France semblait loin et enfermée dans la gloire de ses grands projets et concours publics au sein desquels la liberté de questionnement que représentait Philippe et la liberté de pensée qu’il revendiquait auraient eu du mal à se frayer un chemin. Il est donc resté et c’est l’Université du Kansas qui, après d’autres étapes, l’a accueillie.
Passionné d’histoire et de théorie architecturale, Philippe a développé avec les étudiants une partie de ses recherches sur les rapports entre la consistance de nouveaux programmes, considérés à la fois d’un point de vue fonctionnel, social, environnemental, technique ou économique et leur interaction avec de nouvelles manières d’aborder les questionnements esthétiques.
Il emmène ses étudiants dans des aventures où ils n’oseraient jamais s’aventurer seuls. Mais il est là, il les suit et leur propose d’aller toujours au-delà. C’est cette attitude qui fait de lui un enseignant hors pair, le professeur qui marque à jamais votre passage à l’Université, celui qui est déterminant pour votre carrière.
C’est pour cela que Philippe est rare car il n’entraîne pas les étudiants sur des sentiers déjà convenus, il ne leur demande pas de reprendre des esthétiques qui lui seraient propres. C’est le choix et la personnalité de l’étudiant qui se construit sous l’œil vigilant et attentionné de Philippe.
De l’analyse des conditions du sujet jusqu’à la résolution détaillée du projet et l’élaboration de sa représentation graphique et esthétique, avec rigueur, précision et intelligence les projets sont tenus et aboutis. C’est très impressionnant.
Il en est de même avec les maquettes extrêmement sophistiquées qui, à différentes échelles, jalonnent l’élaboration des projets. Pour Philippe, la représentation du modèle élaboré et construit en trois dimensions et parfois en vraie grandeur, lorsqu’il peut entraîner avec lui des industriels, est un passage nécessaire pour la validation des hypothèses dessinées.
Convaincu lui-même de la nécessité pour l’architecte d’affronter aussi bien les différents médias liés à la mobilité que les questions sociales liées aux états de l’urgence, il a noué des liens avec les organisations onusiennes qui lui apportent leur soutien et pour qui il développe des projets en Palestine, en Jordanie comme au Kenya.
Il poursuit, aussi des recherches graphiques. Sa manière de concevoir relève alors parfois de l’œuvre dessinée et c’est elle qui nourrit le développement de la forme architecturale très personnelle qu’il met en œuvre ensuite dans ses projets. Son œuvre dessinée est fascinante.
Sa disponibilité et sa générosité dans les rapports humains font de Philippe un être exceptionnel dont je suis fière d’être l’amie. Cette manière d’être avec ses amis est aussi celle qu’il met à la disposition de ses étudiants. Il manque à beaucoup d’écoles d’architecture d’avoir des personnalités comme Philippe Barrière.
Odile Decq
Architecte