Le XXIe siècle marque un tournant dans l’histoire de l’humanité. Un tournant qui nous concerne tous personnellement, et qui doit être pris collectivement si nous voulons nous ouvrir de nouvelles perspectives. Au cœur de cet enjeu : l’habitat. Chronique de l’intensité.
Il y a bien sûr les conflits liés au rééquilibrage des puissances dans le monde, avec les nostalgies des époques coloniales et du monde bipolaire, dont l’agression de l’Ukraine est un des douloureux épisodes.
C’est aussi le siècle où la population mondiale devrait culminer. Il est question de 10 à 11 milliards d’humains, qu’il faut nourrir, loger, soigner, habiller, etc. La stabilisation de cette population entraînera mécaniquement un vieillissement. Les équilibres sociaux et sociétaux en seront affectés, et il vaut mieux le prendre en charge que de se laisser surprendre.
C’est le siècle où nous devrons sortir de quelques impasses où nous nous sommes fourvoyés, ignorant que nous étions, ou feignant d’ignorer, les conséquences de nos modes de développement. Il s’agit de l’effet de serre et de l’usage immodéré de ressources fossiles. C’est aussi le prélèvement abusif de ressources naturelles, d’espèces animales ou végétales, conduisant à des extinctions de certaines d’entre elles, et donc du patrimoine génétique dont nous pouvions profiter. La facilité du rejet dans la nature de matières nocives. La dégradation de sols qui avaient mis des millénaires à se constituer. Comment inverser la tendance, sans que ce soit un recul de nos civilisations, de notre qualité de vie, et même de notre durée de vie ?
Le XXIe siècle marque la fin d’une période que nous pouvons caractériser par un ordre divin : « Croissez et multipliez ». Nous sommes allés jusqu’au bout, et nous ne savons pas nous arrêter. D’aucuns proposent de prolonger ce modèle, expansionniste par nature. Allons au-delà de la planète, c’est l’univers qui nous attend. Planète Terre bis, colonisation de Mars, voilà la manière de ne rien changer à notre mode de fonctionnement : toujours plus, toujours plus loin, plus vite. Une vision somme toute conservatrice, le maintien du « croissez et multipliez », et des modes de penser qui vont avec. Une sorte de fuite en avant, dont il est difficile d’imaginer l’issue, genre « guerre des étoiles ».
Une autre manière de quitter la phase d’injonction divine est d’ouvrir des perspectives originales à l’humanité. Finie l’expansion indéfinie, voici l’ère de la recherche de la plénitude, de l’épanouissement. Une vie intense, ici et maintenant. Retour sur l’humain et sa planète d’origine, la Terre.
La transition, le changement de mode de penser, le changement d’imaginaire collectif, ces transformations exigent un gros effort sur soi. Aucune chance de succès si nous n’en avons pas envie, « on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif » dit la sagesse populaire. Comment voulez-vous qu’une personne qui s’est échinée toute sa vie pour pouvoir consommer plus (travailler plus pour gagner plus), devenir propriétaire de son pavillon, garer devant une SUV dotée de tous les équipements, et vivre au rythme de ses smartphones, accepte spontanément l’idée qu’elle a tout faux ?
La seule manière de faire est d’offrir d’autres perspectives, sans dénigrer pour autant les comportements antérieurs. Des perspectives pour aller plus loin. Le logement constitue à ce titre un levier essentiel : « C’est un marqueur social qui étaye les représentations que l’on a de sa position sociale »*. Il détermine la capacité que chacun aura à entrer dans une démarche de changement.
A défaut de décrire précisément ce dont demain sera fait, ce qui serait bien présomptueux, réducteur, et finalement oppressif, il s’agit d’initier le chemin, de lancer une dynamique. Offrir quelques pistes prometteuses, proposer d’autres repères dans le marquage de statut social, donner à voir des initiatives annonciatrices. Stimuler une imagination et une créativité collective, et donner confiance au maximum de personnes, toutes celles qui s’étaient engagées sur la voie de l’expansion indéfinie, pour les amener à accepter l’effort que demande le changement. Le manque de confiance, voire la culpabilité, les conduiraient à s’accrocher aux anciens modèles, ou à s’écrouler sous le poids de l’angoisse.
L’habitat est un des leviers les plus puissants pour donner envie du changement. Il est au cœur de toutes les préoccupations, statut social, budget des ménages, mode de vie, santé, références culturelles, prélèvement de ressources. C’est un domaine où tout le monde se sent concerné, où la sensibilité et la nécessité se conjuguent.
Bien sûr, l’inertie, le facteur temps, ont leur rôle à jouer, mais la vitesse, le sentiment d’urgence, conduisent souvent à des initiatives hasardeuses. Il faut savoir se hâter avec lenteur, et faire de cette dernière un atout. Les échecs nous attendent, comme pour toute innovation, il faudra savoir en tirer les enseignements, et même parfois revenir en arrière pour repartir avec détermination.
L’habitat pour explorer le futur, pour expérimenter de nouveaux modes de vie, plus intenses et favorisant la recherche d’émotions, tout en répondant aux besoins immédiats, quel beau défi pour de nombreuses professions, des sociologues aux carriers, en passant par les promoteurs, les architectes et bien d’autres.
Depuis la loi PACTE, les entreprises sont appelées à donner du sens à leur activité, à prendre conscience de leur « raison d’être ». Le changement d’époque et la recherche d’un substitut au « croissez et multipliez » en donnent l’orientation générale. A chacun de le traduire dans son métier, sa pratique, son univers.
Dominique Bidou
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* Selon le CREDOC dans son étude « Consommation et mode de vie » de 2015.