Le concept d’agriculture urbaine est né à Détroit, Michigan, une ville peu dense disposant de vastes espaces en déshérence. Aussi, quand la crise fut venue, l’agriculture de subsistance y a refait son apparition. Le concept, le plus souvent mal compris, a fait florès. Au point que, pour le plus grand bonheur des lauréats, le concours Inventons la Métropole en fait un marqueur, sucré jusqu’à l’écoeurement, de son identité élusive.
Parmi les finalistes de la ZAC Léon Blum à Issy-les-Moulineaux, MVRDV a proposé un projet sobrement intitulé : La Serre. Il croyait sans doute avoir tout dit. C’est finalement le projet d’Architecture Studio, avec LAND’ACT (paysagiste), qui l’a emporté avec un bâtiment officiellement Feng Shui.
Dans le bien nommé projet ‘le Temps sur Mesure’ à Bagneux, place «à la biodiversité, aux objectifs bas carbone et l’économie circulaire au cœur de sa conception et de son fonctionnement». Le programme comprend un dispositif d’agriculture urbaine en toiture incluant serres, hydroponie et compost.
Sur le triangle de Gonesse, le projet «Triango» développe quant à lui un parc d’activités sur 167 100 m² et 10 000 m² de serres, générant 11 500 emplois … Non seulement on respirera mieux mais ce projet ne signifie rien moins que la fin du chômage.
A Romainville, des serres en bioponie («méthode de culture biologique hors sol sur substrat neutre, bénéficiant d’apport d’éléments nutritifs par goutte à goutte», à ne pas confondre avec l’hydroponie ou l’aquaponie) seront carrément installées sur une terrasse végétalisée. Le beurre et l’argent du beurre !
A Rueil-Malmaison, dans le projet Nef in vivo conçu par Nicolas Michelin, c’est le restaurant qui est sous serre. Les plantes vertes de l’établissement, elles comptent dans le bilan carbone ?
A Gennevilliers, «l’agriculture urbaine est une composante importante avec un espace de production en toiture de 3 000 m² et une pépinière de 380m²». Agriculture urbaine encore à Paris dans le projet de la ZAC Paul Bourget. Idem à Montreuil où l’agence François Leclercq y consacre 6 000 m², «un appel à projets [devant être] organisé sur les parcelles agricoles».
Ferme urbaine encore à Villeneuve-la-Garenne tandis que pour la future gare du Grand Paris Express (ligne 14) au Kremlin-Bicêtre, Maison Edouard François a prévu un autre immeuble qui pousse. A Noisy-le-Sec, retour aux fondamentaux avec «l’agriculture en toiture». Dans le centre-ville de Vaujours, une variante, un projet intitulé Les Vergers Fénelon ; «les innovations concernent l’agriculture urbaine, la participation des riverains et le développement d’une copropriété auto-responsable», indiquent les concepteurs. Auto-responsable ? Les mêmes tics pour la banlieue verte que pour feue la banlieue rouge ?
Cette longue énumération pour se souvenir que, désormais à Paris et en Ile-de-France, le bonheur est dans le pré. Impossible de citer tous les projets ‘agricoles’ lauréats – il y en a tant que la FNSEA, le puissant syndicat agricole productiviste, devrait bientôt s’en mêler – mais autant d’exemples, si l’on y ajoute les lauréats de Réinventer Paris et les lauréats de concours similaires un peu partout en France, finissent par révéler une sorte d’esthétique que les historiens pourront dater précisément. Quel sera leur jugement ? Cela est laissé à l’imagination de chacun mais, fut-il de mauvais goût ou paresseux, c’est un style sans doute. Sauf qu’il n’est pas issu d’une réflexion théorique, constructive ou technique mais de considérations financières, marketings et électorales.
Partout, dans presque toutes les équipes, les mêmes bureaux d’études experts en ‘agriculture urbaine’. Au moins eux sont-ils sûrs de gagner quelque chose quelque part, la loi des grands nombres… Partout, dans tous les jurys d’Inventons la Métropole, aucun ou si peu d’architectes pour ramener sur terre les rêveurs impénitents. Sans doute ce qui permet à ce style imagé de prospérer.
Noir sur blanc, parmi les orientations et objectifs généraux de la consultation, était écrite «l’ambition (de l’appel à projets) d’incarner la vision et l’identité de la Métropole du Grand Paris et participer à sa construction». Le style agriculture urbaine/serre sur le toit (ne rayer aucune mention inutile), un style de l’air du temps en somme, fera-t-il l’identité de cette Métropole créée depuis seulement le 1er Janvier 2016 ?
C’est ce que réclame de ses vœux Patrick Ollier, président d’un établissement public moqué pour son manque de pouvoirs et de moyens, sinon pour véhiculer les huiles (bio, les huiles bien sûr !). Ce n’est pas comme si la métropole ou les pouvoirs en place mettaient en œuvre, «en même temps», une politique industrielle de la serre sur le toit. Non, pour chaque projet le petit bonheur la chance, l’ambition de ses moyens sans doute et les solutions toutes faites des bureaux d’études et des communicants. Jusqu’à plus soif.
Les serres de la Métropole et de Paris, comme par exemple les édicules d’Hector Guimard, feront-elles une identité ? Une signature ? Il y avait le Vorarlberg, bienvenue au bassin parisien ? Dans l’esprit du public, ce style ‘retour aux sources agraires du bon sauvage vertueux‘ donne peut-être de cette métropole évasive une image apaisante. Patrick Ollier en tout cas n’en doute pas, «le pari d’une Métropole au rayonnement international est gagné !», s’exclame-t-il ravi lors de l’annonce des lauréats du concours.
En tout cas, la liste non exhaustive ci-dessus en témoigne, l’impression demeure d’une lecture pavlovienne des programmes et des opportunités – ce n’est plus une maladie mais une épidémie – , ce que la Métropole triomphante résume avec l’intertitre suivant : ‘LA NOUVELLE PLACE DE LA NATURE EN VILLE’.
Hourra !
Christophe Leray