Estelle* est diplômée de Paris Val-de-Seine depuis 2017. Elle est cofondatrice avec Soraya Haffaf en 2018 du studio d’architectures Constellations, une agence protéiforme et pluridisciplinaire née de la rencontre de différents acteurs. Elle est aujourd’hui également enseignante. Verbatim.
[Devenir architecte du XXIe siècle]
Qu’est-ce que l’architecture de demain et comment l’enseigner ? Je ne sais pas répondre à cette question. Je peux raconter notre expérience et pourquoi j’ai eu envie de revenir à l’école d’architecture. Avec le diplôme, nous nous sentions bien préparées puisque nous avions envie de faire des choses, la preuve étant que nous y sommes parvenues.
Le moment où j’ai senti un vide, une peur, c’est au moment de passer du plan à l’action de construire, quand les choses deviennent concrètes. Quand des bâtiments doivent sortir de terre, les enjeux vont au-delà de la théorie même la plus fascinante. Comment passer d’un projet à quelque chose de concret, cela nous ne l’avions peut-être pas appris. Ce pourquoi nous sommes revenues vers l’école en se disant que l’on aurait aimé passer par l’acte de construire.
Nous nous sommes approchées de Martine Weissmann et Jean Mas à Paris Val-de-Seine en expliquant un peu naïvement : « voilà en fait peut-être ce qu’on aurait aimé faire, faire avec nos mains, et comprendre que ce qui est dessiné doit pouvoir être réalisé, même si c’est à une petite échelle, même si ce n’est pas un bâtiment, même si ce n’est pas un plan urbain ». C’est ce qui a conduit, avec une équipe pédagogique mobilisée, à la création d’un programme qui a regroupé 250 étudiants, le premier workshop européen et international constructif de L’ENSA Paris Val de Seine. C’était assez magique.
Je ne suis pas sûre que ce soit l’architecture du XXIe siècle mais, en tout cas, ce projet marque une petite évolution. Le fait est que nous nous sommes posées des questions quant à ce qui nous avait manqué à l’école et nous y sommes revenus pour y suggérer des idées qui ont été bien reçues.
Une idée pour l’enseignement de demain pourrait-être que la porte des écoles d’architecture soit ouverte à ce genre d’initiative et que les anciens étudiants puissent revenir avec des nouvelles idées.
[Signification du mot architecte au XXIe siècle]
Aujourd’hui beaucoup considèrent qu’il y a les Architectes avec un « grand A » et il y a ceux qui ont fait des études d’architecture. Pour ma part, j’ai fait mes études en pensant que j’allais être architecte, que ces études sont faites pour devenir architecte, donc construire. Mais, finalement, ma vision et ma pratique actuelle est-elle représentative de la pluralité des métiers de l’architecture ? Je ne pense pas. De fait, parmi mes amis sortis en même temps que moi de l’école d’archi, combien sont concrètement en train de faire des projets ? Très peu.
Le danger est une dévalorisation de tous les métiers de l’architecture, qui sont effectivement en train de devenir plein d’autres choses, très riches, que le seul métier d’architecte constructeur.
[De l’enseignement]
Il ne faut pas opposer deux systèmes de pensée – praticiens vs théoricien – mais, à mon sens, plus il y aura de praticiens dans l’école et l’enseignement, plus ils pourront s’adresser à une diversité de profils. J’ai eu la chance de pouvoir enseigner aussi à l’étranger, où il existe d’autres systèmes, où la porte est ouverte aux jeunes. La question est : comment apprend-on à enseigner ? On sort de l’école, d’accord, on aura envie d’enseigner, très bien, mais comment fait-on ? Moi, je ne sais pas. Je vais pouvoir apporter quelque chose, je n’en doute pas, à de jeunes étudiants mais qui sera complémentaire et différent de ce qu’apporte quelqu’un qui a 30 ans d’expérience d’enseignement derrière lui.
J’imagine un système, avec de jeunes assistants-professeurs, au salaire moindre car faisant moins d’heures, mais qui vont pouvoir apprendre ce que c’est que d’enseigner. C’est peut-être cet entre-deux qui n’est pas assez représenté. Cela vaudrait peut-être le coup d’avoir une exposition présentant les premiers projets d’architectes aujourd’hui connus et publiés, de montrer par où ces agences sont passées, cela permettrait de démystifier cette espèce de saut dans le vide qu’un jeune architecte a l’impression de faire en sortant de l’école.
Je crois que se pose aussi la question de la temporalité : se dire que ce à quoi ressemble l’école d’aujourd’hui, c’est ce à quoi ressemblera le monde professionnel de demain. En réalité, on n’en sait pas grand-chose. Concrètement, ce que je retiens d’avoir appris pendant mes études, ce que je ne comprenais pas à l’époque, est l’agilité intellectuelle, l’agilité de savoir s’adapter, l’agilité de savoir se confronter à des problématiques diverses et avoir la capacité de résoudre ces problématiques. Ce dont je n’avais pas conscience à l’époque en étant étudiante est qu’en passant six mois sur un projet d’architecture, en fait j’apprenais beaucoup plus d’autres choses que celles directement liées au seul bâtiment qu’on était en train de dessiner.
[De la commande]
Il faut comprendre : moi, j’ai envie d’être quelle architecte ? Aujourd’hui, nous sommes sur nos premiers appels d’offres dans la commande publique. Nous sommes des toutes petites et nous avons réussi à être présélectionnées pour des trucs incroyables parce que nous avons répondu à partir de nos compétences accumulées et de capacités que nous savions posséder. Les maîtres d’ouvrage vont noter l’intérêt de la démarche quand elle fait sens et qu’ils sentent que c’est ce que tu aimes faire. Mais pour faire sens, il faut apprendre quel architecte tu as envie d’être, ce qui met du temps et parfois toute sa vie peut-être pour le savoir, et petit à petit, c’est cette histoire-là que tu vas fabriquer et, là, la commande répondra.
[Des craintes…]
Des craintes ? J’en ai plein et je n’en ai pas. Il y a plein de choses à réinventer ; maintenant comment passer à l’action pour que ça change ? On essaye de faire avec ce qu’on a mais, dans le fond, les décisions entre praticiens, théoriciens, ce n’est pas nous qui faisons ces choix-là, il s’agit de choix politiques.
Propos recueillis par Christophe Leray (avec A.L.)
*Les prénoms n’ont pas été modifiés.
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