Un mot d’actualité aujourd’hui car c’est peu dire que l’article du Canard enchaîné du 17 novembre 2021 a mis le feu aux bétonnières et que les réactions pleines de fiel à l’endroit de Jean-Louis Missika ne manquent pas depuis cette publication.
Pour résumer. Jean-Louis Missika a œuvré en tant qu’adjoint à l’urbanisme de Paris d’avril 2014 à juillet 2020 et à ce titre a présidé nombre de jurys, notamment lors des nombreux concours Réinventer, compétitions au cours desquelles la société Novaxia s’est retrouvée souvent lauréate de jolis lots immobiliers dont l’hebdomadaire satirique dresse la liste. Noter cependant que la société Gecina n’était d’évidence pas en reste comme l’indique Marianne (20/11/2021) qui révèle que Jean-Louis Missika était déjà président du « comité d’orientation et de prospective » (COP) de la société, fonction pour laquelle il a été rémunéré 30 000 € entre avril et novembre 2021, avant de démissionner récemment. Alors quand, à son tour, Novaxia a confié un poste à Jean-Louis Missika au sein d’un fumeux « comité de mission », la nouvelle s’étant répandue, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) s’est sentie tenue de mettre les pieds dans le plat, la démission de Jean-Louis Missika intervenant, comme de juste, dans la foulée. Conflit d’intérêt ? Sans doute. Toujours est-il que, macroniste de l’avant-dernière heure (février 2017), il va devoir aujourd’hui traverser la rue.
Cela écrit, la tentation du pantouflage dans le privé après une carrière publique n’est pas une nouveauté et, pour le coup, Jean-Louis Missika n’a ici rien réinventé.
Il faut cependant quand même, en premier lieu, rendre hommage à la grande subtilité des acteurs de ce coup de théâtre. Chez Novaxia et Missika, ils croyaient donc que leur « comité de mission » avait une cape d’invisibilité ? C’est vrai quoi, qui s’intéresse à un énième comité Théodule ? Tout était pourtant écrit noir sur blanc sur leur communiqué de presse (obligatoire). Ils pensaient donc que personne ne le lirait ? Et Missika, lui-même, qui reconnaît dans Le Figaro (18/11/2021) une « erreur » et non « une faute » ! Il faut une sacrée dose de cynisme, de sottise ou les deux, ou encore habiter sur la planète Zorg, pour espérer que cette paire de charentaises passerait inaperçue sans gratter personne. En tout cas, louons la capacité d’anticipation de Jean-Louis Missika et de ses amis capitaines d’industrie qui ont su vérifier la légalité de leur accord sans s’interroger sur son éthique ou la simple déontologie. Le diable se cache dans les détails et désormais, question discrétion, c’est raté !
Pour autant, ce n’est pas comme si Jean-Louis Missika, quand il était adjoint à l’urbanisme de la Ville de Paris, avait fait assaut de subtilité. D’ailleurs, ce n’est pas comme s’il se cachait. Souvenez-vous comment chaque projet de Réinventer battait des records d’investissements et faisait jongler les millions : 20 M€, 100 M€, 200 M€, 400 M€, il pleuvait des centaines de millions comme à Gravelotte, les promoteurs clients jouant des coudes pour se placer, les architectes idem, tout le monde bien excité quand même, surtout quand il s’agissait de faire la Une dans Le Parisien et sur les chaînes d’infos avec des délires plus verts que vert, même Vincent Callebaut a eu sa chance ! La vérité est que Réinventer Paris a enflammé la planète, chacun y allant ensuite de son réinventer ceci et réinventer cela de la Seine au Havre en passant par Angers, Pellouailles-les-Vignes, Rio et Budapest.
Chaque architecte se plaint que l’architecture soit aujourd’hui devenue « un produit financier ». C’est à mon sens le cas depuis longtemps, sauf peut-être durant quelques décennies heureuses entre 1977 et 2002, ainsi qu’un enjeu de pouvoir (ce fut le cas durant la même période) et il y a fort de café à s’offusquer aujourd’hui qu’un Missika pousse la logique immobilière jusqu’au bout de sa logique Excel.
La ville de Paris elle-même, les caisses à sec, ne peut plus contrôler son développement, en fût-elle jamais capable, et si cela peut paraître indécent, il n’y a rien de nouveau à découvrir que le bâtiment et l’immobilier sont la source d’inventions financières ingénieuses pour les parties prenantes. Il est un peu malhonnête aujourd’hui d’en vouloir à Jean-Louis Missika d’avoir fait ce qu’on lui demandait, faire rentrer l’argent et des amis puissants. Il avait d’ailleurs été embauché sur son CV – business et communication – pas pour son amour du grand art ou son urbanité. Transformer Paris en Monopoly géant, il fallait de l’imagination, surtout à partir de terrains pourris. Et puisque le Conseil d’État a annulé deux fois sa nomination comme professeur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), une fois rangé des voitures, qui pour le blâmer de joindre l’utile à l’agréable en mettant son savoir-faire au service de ceux avec lesquels il a déjà travaillé avec bonheur ?
Au moins, Jean-Louis Missika avait un plan, qu’il a mené tant bien que mal malgré les lazzis et les quolibets des hommes et femmes de l’art. Emmanuel Grégoire, le nouvel adjoint à l’urbanisme de Paris, nous parle lui d’esthétique et promeut son « pacte pour la construction parisienne », vrai petit dico de la bien-pensance à la sauce verte. Pour les architectes, peut-être de quoi préférer le cynisme du premier au (mauvais) goût du second. Après tout, quelques – mais vraiment quelques, et à peine – chantiers Réinventer ont été réalisés.
Se souvenir encore que Jean-Louis Missika était également le président du jury du concours FAIRE*, organisé par le Pavillon de l’Arsenal, dont les résultats laissent chaque année un souvenir impérissable, concours (toujours d’actualité d’ailleurs) décrit en 2016 par Missika lui-même comme étant « un pas de plus pour l’affirmation de Paris comme métropole leader de l’innovation urbaine ». Si ce n’est pas de l’ambition… Chicago n’avait qu’à bien se tenir ! On a vu. Comme un bâtiment couvert de mille arbres par exemple.
Pour le meilleur et souvent le pire – Paris qui se réveille avec la gueule de bois, littéralement, il fallait oser quand même – et aussi foireuse soit-elle, il restera cependant quelque chose de cette expérience Réinventer. Notamment parce que l’une de ses qualités, et non la moindre, est que ce fut l’occasion pour Jean-Louis Missika de brillamment rappeler à quiconque en doutait encore que l‘architecture est un produit financier : le business, le ‘green washing’ et la presse internationale, tout en un, il faut avouer que c’était un as !
Christophe Leray
*Faire Paris se déroule en partenariat avec la Ville de Paris, un projet soutenu par l’Ordre des architectes en Île-de-France, les écoles nationales supérieures d’architecture de Paris Belleville, Marne-la-Vallée, Val-de-Seine et Versailles, des industriels, des acteurs de l’immobilier et de la nouvelle économie.