Comment expliquer une vocation ? Et comment cette vocation peut-elle aujourd’hui se retrouver enfermée dans des critères et des références contemporaines qui en sont le déni ? L’architecte peut-il être spécialisé tout en conservant sa vocation généraliste ? Éléments de réponse avec Jean-Michel Buron, fondateur en 1999 d’Epicuria Architectes. Rencontre.
Jean-Michel Buron construit des bâtiments d’enseignement, beaucoup, partout. Dit autrement, il ne construit quasiment que cette typologie dont il est devenu un « expert » dirions-nous aujourd’hui s’il devait passer à la télé. Écoles, collèges, lycées, instituts d’Enseignement supérieur, etc. Rien que les noms des ouvrages qu’il a construits sont déjà un tour de France des héros consacrés par l’éducation nationale : Adeline Boutain, Isabelle Autissier, Paul langevin, Jean Lolive, Lucie Aubrac, Julien Gracq, Anne Sylvestre ou encore Anatole France, etc. Impossible de les citer tous.
Comment expliquer une telle ligne droite dans une carrière d’architecte ?
Il y avait peut-être au départ une forme d’atavisme puisque Jean-Michel Buron, qui reçoit Chroniques dans son agence rue de Rome, dans le VIIIe à Paris, s’avère être fils, petit-fils et arrière-petit-fils d’instituteurs, ses grands-parents, Jean et Suzanne Buron, instituteurs à Angé (Loiret), reconnus Justes parmi les Nations en 1994, pour avoir aidé des Juifs pendant l’Occupation.
Pour autant, sa carrière doit plus au hasard qu’à son ascendance même si les deux ont fini par se confondre. De son enfance en Tunisie de 6 à 18 ans, dont deux ans au Maroc, Jean-Michel Buron retient avoir su très tôt vouloir être architecte plutôt qu’instituteur. « C’est mon enfance, ma culture, mes lumières, mes odeurs ; là où l’on a vécu, c’est quelque chose qui se retrouve dans l’architecture », dit-il. Il ne pensait pas alors passer sa vie à construire des écoles mais il était déterminé à devenir architecte, même s’il lui a fallu deux ans pour passer le bac. « Mon diplôme (Paris Val-de-Seine) portait sur un projet de logements dans l’Espace Saint-Vincent, au pied du château à Blois (Loir-et-Cher) car de toutes mes études, je n’avais dessiné que des bâtiments à toit-terrasse et je me suis aperçu que je ne savais pas dessiner et construire un toit à deux pentes », dit-il.
Le hasard donc…
« Je travaillais chez Marc Farcy, je commence par faire des plans de chantier puis je me suis mis à faire du concours, j’adorais ça ! Je passe trois ou quatre ans chez Marc », dit-il.
Finalement il ouvre son agence en 1990 avec pour capital celui de l’assurance de sa voiture qui vient d’être volée. Il fait de la programmation pour ses premiers clients jusqu’à ce qu’un jour le département des Hauts-de-Seine (92) lui propose un collège à remettre en sécurité, à faire en deux mois ! « J’avais gagné avec Marc plusieurs collèges et lycées. Ça marche ! ».
Du coup, il se retrouve à faire de la programmation dans tout le 92, au point d’élaborer pour le département un guide programmatique pour les collèges. « J’ai enchaîné avec de la programmation en Seine-Saint-Denis et en Seine-Maritime tandis que les Hauts-de-Seine ont commencé à me donner des petites missions de réhabilitations jusqu’à ce que je sois retenu par la SEM 92 sur un concours au Plessis-Robinson ».
C’était parti pour Epicuria Architectes !
« J’adore les concours. Quand tu es architecte, tu es plein de doutes car poser un bâtiment dans l’espace public, ce n’est pas anodin. Le concours donne une légitimité à ce qui va être fait. C’est facile dans un sens, tu n’es pas obligé de faire du commercial ou de faire des risettes. D’un autre côté, avec les marchés publics, il y a cette notion de devoir attendre son tour. Je pense à ce projet à Beaupréau (Maine-et-Loire), tu ne connais personne, tu es retenu : c’est magique ! Aujourd’hui, les élèves envoient des photos de ce bâtiment sur Instagram. Ce lycée est important pour eux car il n’y avait auparavant en ville qu’un seul lycée, privé. Nous sommes proches de la Vendée. Le bâtiment a été mis en exergue à la COP 22 à Marrakech en 2016, pour avoir gagné le Grand Prix Green Building et City Solution Awards », explique-t-il.
Atavisme ?
Les bâtiments destinés à l’éducation sont des ouvrages républicains, dit-il, rendant ainsi un autre hommage aux instituteurs et professeurs dont il finit par porter l’histoire en imaginant le futur. Aucun déterminisme, aucun dogme quant au matériau ou à la ligne du parti, l’histoire propre de chacun de ses ouvrages est issue d’une somme d’expériences.
Pour autant, une pointe de tristesse ou nostalgie affleure dans la conversation. « Je sais faire autre chose, un bon architecte, sur un bon programme, il sait faire. Mais, dans la commande publique, il y a le problème des références qui tend à ce que l’on se spécialise », dit-il. De fait, des références de moins de trois ans pour des bâtiments scolaires, il en a désormais à foison.
Il a pourtant raison. Lui-même n’a pas renoncé à la vocation généraliste de l’architecte mais voudrait-il construire un musée, une médiathèque, un pôle culturel, s’intéresser au logement que ses références l’enferment désormais, une vocation transformée en carcan.
Certes, des agences n’ayant pas de références d’écoles ou de piscines ou de logement se retrouvent face à la même problématique, une sorte d’impasse intellectuelle pour des architectes tenus d’être créatifs et inventifs. Le processus de prédation est connu. Les plus grosses ou les plus riches des agences sollicitent de plus petites qui disposent de ces références afin de se positionner sur ces marchés porteurs. « Il me fut proposé un projet de ce type mais il faut un échange : OK pour le lycée mais il faut me faire travailler sur un musée et/ou sur du logement. Hélas, ce n’est pas l’agence qui est recherchée mais ses références. Pourtant, pour un musée, avec ma somme d’expériences, j’aurais des choses à proposer », dit-il en souriant.
Ce qui ne l’empêche pas d’avoir des idées : « Un bâtiment scolaire, si on l’utilise 30 % de temps en plus, il coûte 30 % moins cher. Il faut un lieu ouvert, plus public, mais c’est compliqué pour des problèmes de responsabilité et… de maintenance. Avant les colèges étaient ouverts, comme au collège Guy Moquêt à Gennevilliers où la bibliothèque était aussi celle de la ville », relève-t-il.
Puis vient le constat : « Aujourd’hui on s’enferme, tout le corps enseignant est traumatisé. Lors d’une réunion sécurité dans les collèges, j’explique que la sécurité, ce sont des circulations larges qui ne donnent pas l’impression d’être surveillées, de la lumière partout, etc. mais on voulait que je parle de confinement : « mais vous n’y êtes pas, si un terroriste passe, qu’il ne puisse pas voir qu’il y a des gamins dans les salles ». Tout cla transmet un message de peur panique . C’est terrible, il y a des problèmes de société qui changent la mentalité des gens. Or l’architecture doit ouvrir les mentalités, c’est compliqué ».
Les architectes et avec eux l’architecture traduisent bien les mutations profondes de la société dans laquelle ils construisent. Encore plus sans doute quand il s’agit d’éducation.
En tout cas, face à son bureau, une œuvre colorée et intrigante de l’artiste aborigène Ronnie Tjampitjinpa évoque un chemin. Finalement, celui de Jean-Michel Buron n’était pas une ligne droite.
Christophe Leray