Cela fait quelques semaines qu’un nouveau sujet de débat est arrivé à l’agence. Ne cherchant pourtant pas à déménager de notre cocon actuel, une opportunité de changer de locaux nous a été proposée. Ce sujet pas si intello nous fait pourtant nous arracher les cheveux en aller-retour et en débats. Pourquoi est-ce finalement un sujet de fond ? Journal d’une jeune architecte.
Entre choix et opportunité
Aujourd’hui nos locaux se situent en Île-de-France à Saint-Maurice dans le 94. Pourquoi là-bas ? Bonne question… Durant la Covid, ce fut une opportunité pour mon associée et moi-même de rejoindre ces bureaux dont les occupants avaient du mal à joindre les deux bouts. Nous partageons le loyer et nous pouvons profiter d’une pièce dans un magnifique rez-de-jardin. Au fil des années, nous avons récupéré l’entièreté des lieux.
Donc la « banlieue » parisienne… pourquoi pas ?
À y repenser, à l’époque nos critères oscillaient au milieu de multiples questions sur comment nous voulions pratiquer notre métier : voulions-nous un atelier maquette ? Faire de l’expérimentation de matière ? Faire un bar-agence (oui oui nous l’envisagions sérieusement) ? etc.
Finalement le hasard nous a fait une offre qu’à l’époque nous ne pouvions pas refuser. Ce lieu nous a choisis et, en retour, nous l’avons façonné au fil du temps, il est devenu notre havre de paix, entre rue et jardin, une grande cuisine où nous cuisinons toutes ensemble tous les midis, un canapé où se reposer, du mobilier 100 % réemploi, etc.
Pourtant aujourd’hui nous doutons : il nous est proposée un espace dans l’agence d’un ami architecte plus expérimenté. Son agence est très professionnelle tout en restant jeune et dynamique. Elle est aussi très bien agencée, avec du mobilier sur mesure, une belle salle de réunion et se situe dans Paris. Une vraie agence d’architecture comme on l’imagine !
Alors nouvelle opportunité que nous devrions peut-être saisir, mais quel changement !
En me projetant dans un nouvel espace de travail peut-être plus « conventionnel » je me dis que notre lieu de travail actuel a finalement énormément influencé notre façon de travailler ces dernières années. Léa qui travaille à l’agence nous a dit au cours d’une discussion « Ici on se sent comme à la maison » mais, aujourd’hui, est-ce réellement les locaux dont nous avons besoin pour grandir et nous professionnaliser ?
Les agences d’architecture, nos façades
Nous avons visité les agences de pas mal d’architectes que nous affectionnons. C’est souvent l’occasion de rentrer dans leur univers. À l’image des grandes sociétés criant, en grosses lettres, leur nom sur le toit de leurs sièges sociaux, les architectes le font certes plus subtilement mais une course à la signature, à imposer son identité existe bel et bien.
Lors de ma HMONP je me souviens d’un passage d’Édouard François dans, Profession Architecte, ce livre sous la direction d’Isabelle Chesneau, servant de bible aux jeunes architectes voulant se lancer. Il y écrit au chapitre de la communication, « règle n° 3 : il faut avoir une agence qui déchire », « le lieu où vous travaillez doit raconter votre histoire, pas celle des autres »… Il y décrit ensuite le bois rare et les cristaux du Brésil présent dans son agence… Pourquoi pas, il est ce qu’il est après tout… Mais, alors nous qui sommes-nous ?
On y revient encore : une jeune agence doit-elle donc savoir qui elle est pour élaborer quelle agence lui correspond ? À l’inverse de la communication, ou d’un logo, nous sommes ici censés être les experts de la représentation spatiale, garants de l’architecture des lieux et de leurs ambiances… Devrions-nous alors tous dessiner notre agence à notre image comme étant le phare de notre identité, notre lieu de vie, et notre savoir-faire ?
Oui c’est évident, mais comment fait-on quand on est jeune ? Sommes-nous tous capables de nous offrir ce luxe ? Imaginons de jeunes Édouard François par exemple, sachant très bien qui ils sont et quelle est leur agence de rêve qui déchire, mais ne pouvant s’offrir le bois rare et l’amphithéâtre de 70 places. Comment fait-on quand tout ce qui nous est accessible est le bureau en contrecollé dans un co-working en second jour ?
Jeune architecte ou s’adapter à ses capacités
Avoir des locaux à soi pour certains jeunes architectes est déjà un luxe. Le marché des bureaux n’est finalement pas donné, 400 € minimum le poste dans un espace partagé cela ne semble pas démesuré mais quand on a déjà du mal à se rémunérer, cela devient vite assez conséquent, et on ne parle pas ici d’un espace étendard de notre d’identité et de nos modes de travail. Des offres abordables existent nombreuses, pourquoi s’en priver : des locaux à faible loyer proposés par des maires, les offres des acteurs du transitoire (plateau urbain, souk machine et d’autres), coworking, sous-location, etc.
La réalité se trouve donc dans le fait qu’une agence à sa propre image n’est pas forcément obligatoire pour tout architecte ou du moins pas forcément tout de suite. De multiples modes de travailler existent et peuvent être adaptées à notre mode d’exercer.
Savoir où l’on veut travailler, c’est comme savoir qui nous sommes alors… cela se construit, cela prend du temps…
Pour notre part je ne sais pas encore si nous allons bouger mais ce qui est sûr est que nous acceptons en pleine conscience l’impact sur notre travail que pourrait avoir ce changement d’agence. En avons-nous besoin ? Moins d’indépendance pour plus de partage et d’émulations collectives ? Moins de jardin pour plus d’accessibilité ?
À nous donc d’écrire qui nous serons demain et où nous travaillerons ! Affaire à suivre !
Estelle Poisson
Architecte — Constellations Studio
Retrouvez tous les chapitres du Journal d’une jeune architecte