Comment repenser l’hôpital dans le contexte d’une crise profonde du système hospitalier ? Crise du système hospitalier largement décrite par ses acteurs, mais aussi crise de l’architecture hospitalière contrainte par des performances de plus en plus élevées qui tendent à perpétrer le même modèle architectural quel que soit le contexte. Tribune.
L’architecte, la ville, l’hôpital, le paysage
Confrontés à la conception des hôpitaux, nous avons toujours pensé que l’organisation de la ville et de l’hôpital étaient comparables et qu’un regard d’urbaniste devrait aider à dénouer la complexité du process hospitalier. En créant une proximité urbaine il est possible de rendre cette complexité lisible et heureuse.
Aujourd’hui, les crises sanitaires ont mis la question de l’hôpital au cœur de nos préoccupations mais elles ont aussi bousculé un certain nombre de modèles pourtant bien ancrés dans les programmes des hôpitaux récents ou à venir. Ainsi, la surconcentration des équipements de santé implantés en dehors des villes (avec deux petits hôpitaux faire un gros) sur les axes de communication routiers constitue-t-elle toujours un modèle crédible ?
La prise de conscience du rôle de l’hôpital dans l’aménagement du territoire pour faciliter sa proximité avec son personnel et ses usagers, et limiter le bilan carbone des déplacements, n’est pas compatible avec le développement d’un modèle de ville qui s’étend à l’infini. En revanche cette prise de conscience ouvre de nouveaux champs pour l’architecture hospitalière.
Ensuite, l’émergence du tout numérique constitue une révolution qui replace l’hôpital au cœur d’un réseau de communication. La notion de proximité immédiate, ou de distance, ne s’impose plus comme une nécessité. On peut déjà le constater avec l’utilisation de la télémédecine ou plus largement avec le télétravail. Ainsi est-il possible d’envisager un « hôpital en archipel », où tous les pôles fonctionnels organisés en réseau sur le territoire sont complémentaires, comme un modèle opposé à celui du regroupement des fonctions dans un lieu unique.
L’hôpital équipement majeur de la cité ne peut être dissocié de l’aménagement du territoire. Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) peuvent-ils devenir des outils pour définir les complémentarités de différents établissements de santé connectés entre eux et repartis au plus proche des habitants ?
Dès lors, comment retrouver le lien entre l’hôpital et ses « habitants » (nous bannissons le terme « usager » car trop éloigné de la vocation humaniste de la santé) ? une proximité affective, émotionnelle, pas seulement fonctionnelle avec l’hôpital et son environnement ? L’interdépendance des établissements de santé avec leur environnement humain et physique répond-elle à une nécessité ?
L’hôpital peut-il s’inspirer de la ville ?
Aujourd’hui, nous voulons porter un regard nouveau sur l’hôpital dans son environnement et faire émerger, une culture du rapport hôpital-ville.
Nous voulons illustrer l’évolution des modèles hospitaliers en regard de l’évolution de la ville et de notre environnement. Il s’agit de comparer et d’analyser la croissance de l’hôpital dans ses murs, et celle de la ville, les liens entre la ville et l’hôpital, la perception de l’hôpital dans la ville, les complémentarités, les limites, les frontières…
Car, force est de constater que l’hôpital et la ville restent dans la majorité des cas deux entités culturellement dissociées qui, au mieux, se jouxtent mais ne sont pas conçues comme un tout cohérant et indissociable. Implantées en périphérie urbaine, les dernières « machines à soigner » adoptent le vocabulaire architectural des « objets fonctionnels banalisés » sans ancrage dans leur territoire et recréent à l’intérieur de leurs murs un monde artificiel.
L’hôpital peut-il s’inspirer de la nature ?
Dans une ville conçue autour d’espaces plantés, l’hôpital entretient un lien privilégié avec son environnement naturel. La perméabilité de l’hôpital par rapport à la ville s’accompagne d’une présence accrue du paysage pour lutter contre l’artificialisation des sols et les îlots de chaleur. Cette présence du végétal est aussi un facteur d’apaisement voire de bien-être au sein de l’hôpital.
Elle va de pair avec un morcellement des fonctions hospitalières en satellites de façon à éviter les « monoblocs » d’un seul tenant, sorte de forteresses des soins.
En quoi l’hôpital a besoin de la ville et la ville de l’hôpital ?
Au travers d’une grille d’analyse identique nous analysons dans quatre projets majeurs que nous réalisons actuellement, leur rapport à la ville et son environnement.
Chaque projet se définit par un concept, ligne directrice du développement du projet.
Le schéma urbain. La ville comme l’hôpital se conçoivent suivant des modèles simples, la rue, les ilots, l’urbanisme ouvert, les tours, les plateaux d’un seul tenant, les pavillons, …
La coupe qui définit les flux ville-hôpital ; le stationnement, les flux logistiques, ceux des urgences, les transports publics, les déplacements doux
Le plan qui définit organisations internes fonctionnelles des services avec les adressages, les contiguïtés-continuités en particulier avec les services de la ville.
L’image qui définit son identité, sa matérialité pour renvoyer à celle de la ville.
« Les satellites » autour d’un hub
Projet du nouveau CHU de Nantes (Loire-Atlantique) ou l’invention de l’hôpital en satellites connectés qui s’inscrit dans les règles de composition urbaine.
Ce concept est lié à la taille exceptionnelle de cet hôpital. Les 240 000 m² du CHU répartis en satellites constituent en eux-mêmes un morceau de ville, un quartier. Le plan du centre hospitalier est clairement influencé par la composition de son environnement urbain. Il assure une transition douce entre deux échelles l’une gigantesque, l’autre domestique.
Ses fondements visent à tisser des liens pour rapprocher l’hôpital des familles dont la présence est considérée comme essentielle dans le processus de guérison. Des espaces de convivialité, des « aménités », restaurants, cafés, espaces culturels dédramatisent l’hôpital, transforment ses lieux en les rendant familiers. L’hôpital devient poreux, traversant, désanctuarisé.
Son aménagement gomme les frontières avec la ville en créant des équipements partagés hors enceinte hospitalière, tels l’hôtel hospitalier, les centres de formation d’infirmières ou du SAMU-SMUR, les parkings, des restaurants), tout en l’ouvrant à tous les commerces habituellement réservés aux usagers hospitaliers, de sorte que l’hôpital vienne dans la ville mais surtout que la ville vienne dans l’hôpital.
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Le Pôle Neurosciences à Saint-Anne à Paris (XIVe), un cœur historique entouré par un « anneau » de bâtiments récents qui jouxtent la ville.
Ici on part de l’existant, un site hospitalier historique fermé sur lui-même, pour retrouver des connexions entre les différents pôles d’activité et la ville.
Il s’agit de concilier trois couronnes concentriques, celle formée du cœur historique ordonné dans une composition orthogonale du XIXe siècle, constituée de bâtiments bas en pierre reliés par des galeries et des jardins et ceinturés par un mur, les extensions périphériques, et les bâtiments des faubourgs du XIVe arrondissement, et de trouver des percées pour relier radialement ces différentes strates.
Le nouveau bâtiment des neurosciences s’intègre naturellement dans ce lieu à forte valeur ajoutée. En s’implantant à l’alignement de la rue d’Alésia, en se mettant à distance du carré historique grâce à un jardin, en ménageant une placette urbaine à l’interface entre la rue et l’intérieur du site, le projet met en valeur sa géométrie parfaite et l’ouvre résolument sur la ville. Ainsi le site Saint-Anne longtemps considéré comme un asile devient un équipement de la cité, un lieu d’apaisement accessible aux personnels et aux patients, un îlot de fraicheur pour ce quartier du XIVe arrondissement.
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« Le damier », l’hôpital Marie Lannelongue au Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine)
L’hôpital Marie Lannelongue, aujourd’hui rattaché au GHU Saint-Joseph, est situé dans un quartier industriel en pleine mutation dans le cadre de l’aménagement du Grand Paris. Il s’inscrit dans un urbanisme qui puise ses références à la fois dans la tradition des villes classiques européennes et dans les écoquartiers contemporains, un urbanisme ordonnancé, constitué d’îlots homogènes fortement marqués par une trame verte qui les relie.
L’hôpital communique avec son environnement par l’espace public existant fait de rues, de places et d’allées plantées. Il s’insère dans la ville au même titre que les autres bâtiments et il s’affranchit de ses limites. Comme dans l’hôpital universitaire du centre de Chicago, il n’a pas de clôture, chaque bâtiment assurant lui-même sa propre sécurité.
Le choix de réaliser un hôpital qui reprenne les règles d’un îlot urbain constitue un élément fédérateur de la transformation du quartier. Il permet de percevoir l’hôpital comme un équipement partie prenante de la ville, un hôpital proche de ses habitants mais aussi proche des quartiers d’habitation susceptibles d’accueillir le personnel à proximité de l’hôpital. Il est exceptionnel de pouvoir imaginer un hôpital dont les façades construisent l’urbanité du quartier.
L’établissement se définit comme un ensemble de deux bâtiments, séparés par un jardin qui prolonge l’espace public. Il présente quatre façades de même nature soulignées par des alignements d’arbres qui ceinturent le quartier. Le bâtiment principal, à vocation hospitalière et de forme carrée, est organisé sur un plan cruciforme. Le bâtiment annexe regroupe les fonctions d’accompagnement nécessitant une très forte proximité avec l’hôpital.
Cette disposition morcelée, satellitaire offre une très grande résilience, une évolutivité programmatique, par son échelle dédramatise l’image de l’hôpital, l’apprivoise et le rapproche de ses habitants.
« L’arborescence », deuxième phase du CHU de Reims
Le site du CHU de Reims (Marne) c’est une collection des formes bâties toutes différentes qui se juxtaposent comme un puzzle sans ordre apparent, héritées progressivement de plusieurs transformations du site au cours du temps. La topographie est bien marquée, on est sur un plateau qui domine le site et offre des vues sur le grand paysage.
La découverte d’une véritable opportunité du site, celle de libérer tout le côté ouest de l’emprise et de tirer parti d’un grand dégagement devant la nouvelle entrée du CHU pour créer un vaste jardin.
Ainsi le projet permet de distinguer un côté à l’est réservé au flux interne de l’hôpital en lien avec les bâtiments historiques et l’entrée nord et de l’autre côté une façade ouverte sur la ville vers la station de tram, vers l’université, vers la nouvelle entrée au sud, vers la phase 1 et ceci au travers d’un vaste jardin installé sur la pente du terrain.
L’autre fondement du projet consiste en un processus de transformation progressive de l’existant en l’adaptant aux nouvelles exigences de l’hôpital. Nous créons une épine dorsale nord-sud qui se déploie avec des antennes en arborescence vers les différents bâtiments pour les connecter entre eux. Le projet vient ainsi compléter l’élément manquant d’un puzzle.
Ce nouvel élément avec sa colonne vertébrale réussit à lui seul à requalifier l’ensemble du site en créant un évènement majeur, la nouvelle entrée située au centre de gravité et très visible est architecturalement affirmée par la création d’un écran de verre plié qui assure une transition entre le jardin et les locaux d’hospitalisation
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Conclusion
Chaque concours d’architecture hospitalière nous fait découvrir une incroyable diversité de situations comme le montrent nos illustrations. C’est pour notre agence l’occasion de défricher les nouveaux besoins de l’hôpital. C’est en effet là, dans cet équipement majeur de la cité, véritable témoin de notre société que se focalisent ses nouveaux enjeux.
Comme des entomologistes, nous relevons, avec méthode, dans chacun de ces projets, les particularités de la réalité sociale et environnementale de l’hôpital. Ce regard nouveau nourrit notre projet architectural et nous permet en fait d’anticiper l’avenir.
Jean-Philippe Pargade, Caroline Rigaldiès
Paris, avril 2023