Souvenez-vous, en 2005, un rapport officiel constatait que la principale cause de l’effondrement du Terminal 2E de Roissy-en-France était liée au manque d’indépendance de l’architecte. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et la leçon s’est perdue dans les limbes de la mondialisation financiarisée. Un aéroport – un ‘hub’ – quel symbole pourtant.
La dernière décade fut aux PPP ce que l’usure est aux multinationales, un jackpot, avec contrats sur l’indépendance des hommes de l’art.
Chacun sait de l’équation financière (banques + entreprises frères, comme on dit à l’est de la Berezina vs cochons de contribuables) et de la facture finale des PPP de prestige. Le Pentagone à la française et le TGI de Paris par exemple. Aussi douze collèges en trois tranches de quatre en Seine-Saint-Denis. Et puis les prisons, beaucoup de prisons… Et des hôpitaux (pas tant que les prisons, mais quelle réussite !)… Et des ronds-points champions du monde… Des budgets régaliens plombés à 30 ans comme des wagons de la SNCF.
Sans parler bien sûr des gymnases et crèches et niches à chien qui passent sous l’écho des radars. Autant de projets urgents, selon la précision de l’arrêt du 23 juillet 2010 du Conseil d’Etat.
Soudain, le changement c’est maintenant et chacun comprend bien que se goinfrer autant est prendre le risque que la poule aux oeufs d’or n’ait bientôt plus que la peau et les os. D’autant qu’à l’aune du budget de l’Etat, la poule n’a déjà plus beaucoup de gras. Bref, les PPP ne sont plus en odeur de sainteté. Merci François !
Enfin ! L’architecte va retrouver son rôle essentiel d’acteur de l’intérêt général tel que défini par la loi.
En attendant, les C.R.E.M. ! Non ce n’est pas un acronyme anglo-saxon. En français : Conception, Réalisation et, en prime désormais, Exploitation, Maintenance. Chaque architecte les connaît déjà. Les PPP à peine morts, vive les CREM !
Encore plus fort, ce n’est même pas l’argent privé qui finance ces projets mais l’argent public. Dit autrement, le(s) maître(s) d’ouvrage public(s) s’affranchissent désormais de la loi MOP comme bien des promoteurs. Ainsi en est-il, par exemple, du ministère de l’Intérieur – garant pourtant, cela va sans dire, du respect de l’esprit et de la lettre de la loi – qui élabore aujourd’hui la CREM de ses hôtels de police et autres lieux de dégrisement.
Schématisons. Voyons donc, par exemple, la construction d’un commissariat, entre tous ouvrage républicain. La loi MOP implique un appel à candidatures ; il y en a aujourd’hui, crise oblige, entre 120 et 150. Sélection harassante puis concours restreint. Lauréat. APS. Discussion avec la maîtrise d’ouvrage. APD. Budget final sensé. Appel d’offres. L’architecte indépendant est le filtre entre les entreprises et les maîtres d’ouvrage au nom de l’intérêt général (je cite la loi) et roule ma poule. De nombreux commissariats ont été ainsi construits.
Voyons aujourd’hui un commissariat à la CREM. Constatons en premier lieu que sélectionner quatre ou cinq candidats parmi 120 aspirants requiert du temps et de la compétence. Quand il fallait choisir parmi 20 candidats, les ressources humaines pas encore mondialisées savaient gérer. Mais choisir parmi 150, comment faire ? Quelles sont les règles désormais ?
Ha, le groupement MOE / Entreprises, évidemment ! Du coup, s’il y a quinze candidatures, c’est Byzance. Certes, bonjour la foire d’empoigne des agences d’architecture pour se vendre auprès des entreprises ‘qualifiées’. De fait, voilà réduit le champ des postulants tandis que les majors du BTP (c’est bien leur nom, non ?) sélectionnent en toute grandeur d’âme les architectes de leur pool. C’est feue Margaret Thatcher qui a déposé le brevet.
Et puis tiens, d’hypothèse, imaginons que les majors, ayant calculé le coût d’investissement des concours d’architecture, décident de ne plus mettre en concurrence leurs différentes filiales. Après tout, elles auraient bien tort de ne pas penser à l’intérêt général de leurs actionnaires. Du coup, il n’y aurait plus en France, hormis quelques variantes, que trois groupements à jamais candidats. Un monde d’une simplicité merveilleuse ! Un monde hélas inconcevable puisque, bien entendu, douce France n’est pas planète des singes.
N’empêche, en attendant, entre les PPP d’hier et la CREM d’aujourd’hui, ce sont les mêmes qui tirent les marrons du feu de la crise tandis que ce sont les architectes qui se prennent les châtaignes.
Certes, l’Etat, de sous-traitance en sous-traitance, ne sait pas bien gérer la maintenance de ses ouvrages. La recherche de solutions est légitime. Mais d’imaginer, dans le cadre d’un contrat compliqué, que demain la maintenance des commissariats ne sera pas assurée comme aujourd’hui par les mêmes sous-traitants de bout de chaîne, c’est avoir une foi coupable en la bonne volonté de la crème des entreprises mondialisées. Quel que soit le coût final du m², gageons que le dépôt de garde à vue sentira bientôt aussi mauvais qu’hier. Mais bon, puisque de maintenance les majors sont désormais garants…
Certes l’Etat argue que de ne réaliser qu’un seul appel d’offres MOE / Entreprises permet de réduire le délai global des opérations. La réduction des délais était déjà l’argument choc des PPP. Nous savons tous de ces architectes qui font perdre du temps avec leurs études et leurs états d’âme. D’ailleurs, après deux mois d’études, six mois d’attente, au mieux, que l’Etat se fasse une religion, le catéchisme ne va pas changer, ni maintenant, ni maintenant. Et tant pis pour les études déjà payées de projets sans entregent. Ce sont les cabinets d’avocats qui empochent désormais, à la santé des architectes, la différence d’honoraires.
Certes, d’aucuns comprennent encore, peut-être, la volonté de l’Etat de promouvoir des PME d’architecture adaptées aux besoins nouveaux. C’est ce qui se passe dans l’architecture mondialisée, non ? Il est vrai sans doute que le commissariat circa 2013 n’a rien à voir avec le commissariat circa 2000 et que l’on n’y pisse pas pareil sur les murs de la garde à vue. Il est vrai encore que le souci du patron de l’agence d’architecture de garantir son salaire à ses trente employé(e)s est légitime. Hic et nunc.
Vraiment, puisque ce gouvernement fait voeu de simplification, en voilà un, de problème simplifié. Quelques agences d’archi et quelques entreprises – triées évidemment sur le volet BBC – et tout le monde en ville est content. Un lot unique de 12 commissariats en Seine-Saint-Denis, la CREM de la CREM, et roule ma poule ?
Evidemment, la masse des petites agences d’architectures et des petites entreprises qui les accompagnent – artisanales, oh mon dieu, so French – n’a plus accès à la commande. Combien d’agences, combien d’entreprises aptes à concourir ? Ce n’est pas du dépit ou de la bile mais une équation mathématique. En d’autres termes, la perte de savoir-faire des libres penseurs n’est qu’un dommage collatéral. Sans même parler d’éthique à ceux-ci et ceux-la qui des CREM font du beurre.
L’architecte co-traitant, quel est son pouvoir exactement ? Quelle indépendance ?
Bref, si les PPP n’ont plus bonne presse, aujourd’hui c’est la CREM qui est forte de café !
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur Le Courrier de l’Architecte le 17 avril 2013