Et si l’avenir de l’humanité n’était plus celui d’une croissance toujours plus folle de sa population mais, au contraire, celui d’une décroissance humaine ? Quid des structures, et infrastructures, construites aujourd’hui ?
Dans leur essai Planète vide paru fin 2019 Darrell Bricker et John Ibbitson, chercheurs canadiens exposent, à l’opposé des dogmes actuels, comment la population mondiale est en train d’atteindre un apogée et que loin de la vision couramment acceptée d’une augmentation de la population galopante, nous sommes en train de vivre les dernières années de progression avant une grande décroissance dont personne n’est aujourd’hui capable de définir ni la vitesse ni comment cela finira.
Cette étude basée sur des données objectives qui veulent qu’aujourd’hui seuls quelques pays africains ont encore un taux de fécondité supérieur à 2,1 enfants par femme qui est le seuil de renouvellement d’une population, démontre que la vision d’augmentation de la population que nous percevons est en réalité trompeuse car elle est due à l’allongement de la durée de vie et non au nombre des naissances.
L’une des premières sources de décroissance de la population se fera sentir avec la disparition des « baby-boomer » et devrait donc se produire progressivement dans les vingt ans à venir. En effet, depuis ce boom de natalité, dans la plupart des pays développés la natalité n’a cessé de décroître.
Aussi ces deux chercheurs démontrent que le début de la baisse de la population mondiale devrait avoir lieu vers 2064, autrement dit demain…
Cette étude est particulièrement intéressante à plusieurs points de vue, tout d’abord parce qu’elle met en relation directe notre mode de vie avec cette désaffection pour la parentalité, que ce travail de recherches, notamment, rattache directement avec le phénomène de « mégalopolisation des vies ».
Il y a là une sorte de pied-de-nez à nos écologistes urbain, prompts à vendre la ville recueil de la biodiversité alors que dans le même temps celle-ci est manifestement stérilisante pour les humains.
Le stress inhérent à ce type de ville est lié à la difficulté à organiser sa vie au sein de ces mégalopoles, à la difficulté à se loger confortablement, aux déplacements de plus en plus compliqués, etc.
L’arrivée d’un enfant est souvent synonyme de complexité accrue dans l’organisation quotidienne mais aussi sur le plan financier. Tout le monde sait qu’un enfant coûte cher [une assertion qui mériterait d’être nuancée. Nde] et dans une mégalopole où le m² de logement se trouve totalement décorrélé des salaires, l’ajout d’un nouvel espace à un logement peu parfois s’avérer impossible financièrement pour un jeune couple qui devra en plus s’adjoindre les services de garde d’enfants.
Si toutefois le couple opte pour un déménagement en banlieue pour espérer une baisse du prix du logement, il n’échappera pas à une augmentation de la durée de garde quotidienne pour pallier à l’allongement des journées de travail des parents grevées par des temps de transport plus long.
Il est clair que l’équation est souvent difficile à résoudre et qu’il est ainsi préférable de renoncer à la parentalité pour éviter de remettre en jeu son activité professionnelle déjà chèrement acquise.
Bien sûr, il ne s’agit pas de la seule cause mais force est de constater que les pays dans lesquels les mégalopoles sont les plus développées sont ceux dans lesquels le problème de la natalité est le plus criant, à commencer par le Japon et la Chine. Ce dernier, conscient du problème a abandonné en 2015 la politique de l’enfant unique et a même ouvert la porte aux familles à trois enfants cette année. Pour autant, les familles chinoises ayant fait le choix d’un second enfant sont rares, il est donc fort à parier que l’ouverture au 3ème enfant ne changera pas la donne !
Il est intéressant de noter que plusieurs pays ont parié sur des politiques dites « incitatives » ayant vocation à relancer la natalité. Les pays du nord de l’Europe par exemple ont axé les leurs sur l’égalité homme/femme pensant qu’il y avait là matière à redonner aux couples l’envie d’enfanter, sans effet significatif non plus.
D’ailleurs les angoissés du GIEC ne devraient-ils pas intégrer cette décroissance dans leurs calculs ? L’ONU venant à peine de reconnaitre qu’il y aurait moins de monde à la fin du siècle qu’en ce début – moins 300 millions, ce qui semble être une fourchette basse – on peut légitimement s’interroger sur les postulats de départ des calculs de nos chercheurs ? D’autant que si la Chine, l’un des plus gros pollueurs, perd comme c’est probable la moitié de sa population, c’est autant de pollution en moins ! Vraisemblablement nous nous dirigeons vers la fameuse décroissance chère aux écologistes les plus convaincus ! Et si le XXIIe siècle était celui du retour de la grande glaciation ?
Cette thèse est également intéressante en ce qu’elle démonte tous les discours sur la prétendue écologie urbaine. L’ensemble de ces discours prend racine sur une thèse de Paul Ehrlich publié dans les années ‘60 et qui imaginait que la population ne pourrait que croître indéfiniment.
Ainsi les discours qui prônent le recours à l’agriculture urbaine, à cultiver sur les toitures, à construire des serres et des fermes verticales dans les villes, le recours à l’hydroponie, sont à remettre en perspectives. Est-on vraiment en train de se poser le bon problème ? Est-il besoin de dépenser une énergie folle pour mettre en place des systèmes pour produire des denrées que nous savons parfaitement produire en quantité suffisante pour nourrir la population si tant est que nous améliorions leur distribution à l’échelle de la planète en évitant d’en jeter au moins 30% à la poubelle ?
Il y a sûrement plus d’énergie à dépenser pour relever ce dernier défi, non ? D’autant que, une fois acceptée l’idée que la population va connaître une décroissance au cours de ce siècle et du suivant, tous les systèmes d’agriculture urbaine, nécessitants beaucoup plus d’entretien et de maintenance pour arriver finalement à des rendements moindres ou une production de moindre qualité nutritionnelle qu’en pleine terre, auront du mal à être maintenus…
Cela doit logiquement nous interroger sur nos logiques de densification urbaine et de construction de logements sans fin. N’est-on pas en train de préparer un éclatement de la bulle immobilière ? Est-il encore pertinent de construire des m² alors que nous avons déjà des millions de m² vide à travers le territoire ? Ce discours qui impose la ville dense comme seule réponse à la nécessité de loger tout le monde se fracasse contre cette théorie du dépeuplement.
Que deviendront les villes des grandes métropoles que l’on densifie sans réellement s’interroger sur la qualité de vie lorsque la population décroîtra ? Ne sommes-nous pas en train de préparer les futurs grands ensembles à gérer ? Se pose encore la question des services. S’il y a demain désaffection des centres-villes et baisse des populations, les transports en commun tels les tramways et les métros par exemple, des structures rigides et inadaptables aux évolutions par nature, qui en assumera les coûts de maintenance ?
Que choisira la population de demain comme cadre de vie ? La ville dense avec beaucoup de services automatisés pour pallier le manque de main-d’œuvre, tel que les mégalopoles japonaises le présage, en acceptant le coût de vie élevé qui découle de la mise en œuvre de tous ces services reportés sur un nombre d’actifs faible ou la ville moyenne, voire petite, où certes le niveau de services sera moindre mais la vie plus accessible ? Il est bien difficile avec notre regard actuel et notre façon de penser de l’imaginer.
Toujours est-il qu’il est intéressant de voir que la fameuse 5G nous vient de Corée du Sud et du Japon, deux pays déjà aux prises avec les problèmes de vieillement de population et ayant choisi le développement de la robotique humanoïde pour palier à leur manque de main-d’œuvre plutôt que de recourir à l’immigration. Est-ce vraiment la voie dans laquelle nous souhaitons nous engager ?
En tout cas, cette étude doit inciter à réfléchir à notre façon de faire la ville et il faut intégrer dès aujourd’hui l’idée que, contrairement à ce qui nous a été inculqué durant ces soixante dernières années, le problème à venir n’est pas celui de la surpopulation de la planète mais celui de la diminution de la population. En conséquence, il faut plus que jamais envisager nos aménagements comme réversibles ou pour le moins agiles vis-à-vis d’un changement de densité de population.
Ainsi les systèmes s’appuyant sur la répartition sur un grand nombre d’utilisateurs pour être viable doivent résolument être interrogés vis-à-vis de ce risque d’inversion qui pourrait grever l’avenir des territoires qui les accueillent par leur coût d’entretien si le bassin de population diminue.
Que penser enfin des énergies colossales dépensées pour bâtir des villes dans le désert ou dans des territoires inhospitaliers pour l’homme ? Ou des projets de peuplement des océans ? Que de matières grises brûlées sur un postulat erroné. Sauf bien entendu si nos géants de la tech réussissent le pari du transhumanisme, ce qui pour l’heure ne semble pas gagné !
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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