Ce que je qualifierai ici comme étant le style d’une époque, son caractère, son tempérament, son état d‘esprit – donc le conditionnement général des esprits la composant – est toujours plus difficilement définissable lorsqu’a lieu le déroulement de cette période de l’histoire.
Pour exemplifier ceci, nous constaterons que si d’aucuns remarquent assez aisément que durant la période de l’Égypte antique régnait un climat d’anxiété quasi-permanent, chacun présente à brûle-pourpoint bien plus d’embarras lorsqu’il s’agit de définir la nature de l’atmosphère sociétale pesant actuellement sur notre civilisation.
Aussi, chacun notera avec plus de facilité que temples et pyramides égyptiens étaient emprunts d’un style influencé par la peur et la protection face aux agressions belliqueuses qu’il conclura qu’un sentiment ou un autre marque globalement l’architecture contemporaine.
Seulement, en se penchant quelque peu sur la question, il me semble qu’il ressort visiblement que l’âge de la peur des attaques guerrières n’influe plus sur notre architecture, que celui de la grâce s’exprimant à l’époque de la Grèce antique ne fait plus vraiment poids, et que celui de la démonstration grandiloquente de la puissance que les Romains aimaient à mettre en avant n’est plus d’actualité lui non plus.
Parce qu’il existe bien une différence des âges dans l’architecture – le nôtre me semblant au passage balancer entre maturité et sénilité. Grâce et pompes, incarnées d’abord par la Grèce et ensuite par la Rome, semblent bien oubliées et ont en quelque sorte matière à évoquer une jeune adolescence durant laquelle la contemplation prend le pas sur les autres désirs, pour rapidement faire place à une volonté d’exposer sa fraîche puissance.
Les époques chrétienne et gothique, glorifiant pour la première une vision très personnelle de l’amour, et pour la seconde des sentiments profonds envers tout ce qui symbolise la foi, sont elles aussi révolues. D’un certain sens, elles font écho à la vie de jeune adulte – période durant laquelle il est d’usage de prêter une importance aux croyances mystiques, et, surtout, durant laquelle l’amour demeure sous toutes ses formes.
La Renaissance ainsi que la période néo-traditionnelle sont teintées d’une élégance, qui n’est plus comme c’était le cas durant un âge plus juvénile l’interprétation de la grâce mais qui, à présent, est l’évocation du panache amené par les prémices de la sagesse commençant à peine à s’installer.
Cette nouvelle incarnation de l’élégance renvoyant volontiers à celle habitant les êtres âgés de la quarantaine – c’est-à-dire des femmes dont la douceur est plus sérieuse que dans le passé, et des hommes dont la ferveur est plus posée que durant les jeunes années – viendra très rapidement partager sa place avec le goût du souvenir qui constitue le principal sentiment que revêt la période revivaliste, et bien sûr, qui n’est pas sans évoquer le regain de mélancolie apparaissant généralement vers la soixantaine.
L’architecture fait généralement comme les hommes, elle se souvient du passé et feint d’attendre l’avenir, et parfois comme les femmes, elle regarde l’avenir en oubliant le passé.
Tom Benoit
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