
« La façade du Centre Pompidou autrefois saluée pour son audace prouve aujourd’hui que les présupposés sur la transparence et l’honnêteté sont dévoyés lorsque l’infrastructure est confondue avec l’iconographie ». Lettre à Renzo Piano & Richard Rogers signée Sophia, Tancredi et Ginevra.
Ce texte est issu d’un atelier d’écriture critique (critical writing workshop) qui s’est tenu à Paris au printemps 2025 à l’Institut d’architecture Confluence. Après avoir chacun individuellement visité avec les yeux de Chimène le Musée du Quai Branly ou le Centre Pompidou et rédigé chacun un premier rapport, les étudiants devaient, par groupe de trois ou quatre – de l’individuel au collectif – en proposer une lecture critique, autant que possible. L’atelier a produit six textes, trois consacrés au Quai Branly, trois autres au Centre Pompidou. Revue de détail de ces monuments bâtis par des Pritzkers par les étudiants d’architecture d’aujourd’hui.*
Cher Renzo, Cher Richard,
Vous aviez prévu de construire un musée « inside out » qui dévoilerait ses rouages internes, ses escalators, ses canalisations et ses poutres d’acier, dans une audacieuse déclaration de transparence et d’honnêteté. Au lieu de cela, vous avez créé une carcasse massive de machinerie qui ressemble plus à une usine pétrochimique abandonnée qu’à un monument culturel. Les tubes d’escalator diagonaux de la façade nord, autrefois dynamiques et invitants, agissent désormais comme des tunnels miroirs surdimensionnés. En plein soleil, ils brillent sans relâche, transformant l’arrivée en un passage aveuglant qui désoriente les visiteurs au lieu de les accueillir.
Ces tubes d’escalator traversent également la corniche en pierre d’origine de l’Hôtel de Flandre de 1900, brisant ainsi la lecture historique du pâté de maisons. Ce choc entre ancien et nouveau n’est pas un dialogue réfléchi, mais une incision brutale qui déchire la continuité architecturale de Paris. Là où vous aviez promis un mélange homogène de contexte et d’innovation, vous avez proposé une approche brutaliste qui oblige la ville à regarder à travers vos mécanismes plutôt qu’à s’y référer.
Les canalisations de service, codées par couleur (bleu pour l’air, vert pour l’eau, jaune pour l’électricité et rouge pour les systèmes de sécurité), étaient considérées comme un diagramme vivant de la vie d’un bâtiment. Des décennies plus tard, elles ressemblent à une cour de service abandonnée. Une décoloration irrégulière transforme le bleu vif en gris terne, tandis que la rouille transparaît à travers le vert et le jaune, créant des stries qui coulent sur la façade telles des larmes d’abandon. Les visiteurs n’apprennent plus le fonctionnement d’un musée ; ils apprennent à quel point un bâtiment peut mal vieillir lorsque ses entrailles sont exposées.
L’exposition de planchers mécaniques entiers à l’extérieur était censée simplifier l’entretien. En réalité, il l’a amplifié. L’eau de pluie s’accumule, gelant en hiver et fissurant les canalisations ; les ventilateurs de traitement d’air vibrent visiblement par vent fort ; et les rayons UV accélèrent la défaillance de chaque joint. Un audit de la Cour des comptes, réalisé en avril 2024, chiffre à près de 600 millions d’euros la rénovation entre 2025 et 2030, simplement pour repeindre, étanchéifier et remplacer les unités corrodées. Vous aviez promis une « machine à culture » durable, mais vous avez légué une machine qui fuit de partout.
Entrez, et les conséquences néfastes de vos choix de façade s’accumulent. Les galeries, autrefois baignées de lumière naturelle par des puits de lumière extérieurs, nécessitent désormais un éclairage artificiel pour lutter contre l’éblouissement et la chaleur provenant de ces mêmes conduits exposés. Les œuvres d’art risquent de pâlir sous l’effet d’une exposition incontrôlée aux UV réfléchis par les bardages métalliques. Le bâtiment que vous avez conçu pour démocratiser l’espace contraint les conservateurs à des batailles techniques : ajout de stores, de climatisation et de stores pour préserver dans leur propre maison des œuvres inestimables. Cette préservation s’est transformée en combat, non en célébration.
Votre soi-disant place publique, présentée comme une « agora » ouverte, amplifie ces échecs. Sculptée par d’imposantes fermes en acier, elle donne au vent un effet canyon et l’impression, en pleine conversation, d’être debout devant un ventilateur. Sans arbres, bancs ni aucune bordure douce pour briser les courants, la place est inhospitalière pour autre chose qu’une photo rapide. La culture ne peut prospérer dans une véritable soufflerie.
Plus grave encore, le centre fermera complètement ses portes pendant cinq ans à compter de 2025 pour réparer ses systèmes exposés, une fermeture complète que le galeriste Daniel Templon a qualifiée de « grave erreur », avertissant qu’elle fragmenterait la communauté artistique parisienne et disperserait la collection du Centre Pompidou dans des lieux satellites. Un bâtiment conçu pour réunir l’art et le public ne doit jamais s’isoler pendant cinq ans.
Renzo Piano, Richard Rogers : vous avez troqué l’harmonie contextuelle, le confort des visiteurs et la préservation pratique contre un geste choc devenu un fardeau rouillé et fuyant. La façade du Centre Pompidou était autrefois saluée pour son audace ; elle prouve aujourd’hui que les présupposés sur la transparence et l’honnêteté sont dévoyés lorsque l’infrastructure est confondue avec l’iconographie. Reconnaissez ce raté et considérez que la plus belle architecture célèbre l’art qu’elle abrite, plutôt que de glorifier sa propre mécanique.
Sophia, Tancredi, Ginevra
Paris, 14 mai 2025
Sophia De Leon Olivo (1er cycle ; 6ème semestre)
Tancredi Lo Monaco (1er cycle ; 6ème semestre)
Ginevra Neri (1er cycle ; 2ème semestre)
* Les six textes
– Quai Branly – Si l’objectif était de dérouter les visiteurs, c’est réussi
– Beaubourg – Une cacophonie chromatique digne d’un schéma de plomberie soviétique
– Quai Branly – Un musée bâti sur le silence et l’amnésie coloniale
– Beaubourg – La façade du Centre Pompidou est un raté architectural
– Quai Branly – Safari des Sens où consommer l’Autre
– Beaubourg – Quand l’architecture devient un plan de maintenance