« La fin de la voiture ou la fin de l’autonomie ? » est le thème de la table ronde à laquelle j’avais été invité le 17 mars 2020 dans le cadre des Rencontres InCité organisées par le théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines. Confinement oblige, la manifestation a été annulée mais je ne souhaitais pas confiner ces quelques réflexions, les voici donc.
En premier lieu, pourquoi envisager systématiquement le changement et l’évolution des pratiques en commençant par la fin de ? Est-ce parce que l’être humain est un être fini, c’est-à-dire éphémère, que les sujets sont ainsi abordés ? Alors j’évoque Freud, qui affirmait que « personne, au fond, ne croit à sa propre mort, ou dans l’inconscient, chacun de nous est persuadé de son immortalité ». Le développement et la mutation sont envisagés comme un processus évolutif qui s’inscrit dans la durée et peuvent être considérés dans la continuité aussi bien que dans la rupture.
De fait, la population augmente. Depuis 2007, la population urbaine est désormais plus nombreuse que la population rurale. Selon les données de l’INSEE de 2016, plus des trois quarts des Français habitent en ville. En 2030, les urbains représenteront 60% des habitants de la planète. Les villes évoluent et, natalité oblige, leur population également. Il est donc normal que l’époque soit à la congestion des centres urbains et de leurs périphéries.
La route se distingue du chemin en ce qu’elle est une simple ligne reliant un point à un autre. La route n’a par elle-même aucun sens ; seuls en ont les deux points qu’elle relie. Le chemin quant à lui est un hommage à l’espace. Chaque tronçon du chemin est en lui-même doté d’un sens et invite à la déambulation, à la flânerie, à la halte. Nul ne court après le temps dans un chemin, on y prend le temps !
Les rues, les voies et les réseaux, aussi évident en soit le dessin, ne peuvent être assimilés à une œuvre architecturale. Liée à la durée, établie en continuité, leur fabrication se nourrit de multiples apports : historique, par la permanence des tracés anciens, évolutifs par la nécessité du développement. Ils mettent en relation, comme la route, des quartiers, des villes et des pays.
Le XXe siècle a connu l’éclatement des villes, des mots comme Métropole, Agglomération et, pour les plus grandes, Mégapoles ont fait leur apparition. Les guides touristiques ont été amenés à ajouter une carte schématique de l’agglomération où les données, rivières, forêts, montagnes se combinent aux tracés d’autoroutes. L’information est donnée à l’échelle du territoire dans lequel les détails de la ville n’ont plus d’importance.
Les frontières s’effacent dans l’espace par les réseaux continus, ininterrompus, et dans le temps par la communication virtuelle et simultanée. Le loin et le lointain deviennent si proches que le parcours illusoire de la proximité augmente les possibilités de mise en relation et du déplacement.
Dans un tel contexte de développement urbain, la fin de la voiture ne sera pas pour demain. C’est d’ailleurs parce que l’industrie automobile a de l’avenir, aussi économique que durable, que le Parlement européen a voté le 27 mars 2019 de nouveaux objectifs de réduction des émissions de CO² pour les voitures et les utilitaires de 37.5% et 31% respectivement d’ici horizon 2030. On passerait de 120g/km de CO² émis, pour atteindre 60g/km de CO² ce dont même les voitures hybrides sont incapables.
Pourquoi cette marche forcée vers le tout électrique, « énergie propre », nous dit-on ? Alors même que l’ancien ministre de l’Ecologie Nicolas Hulot, invité de l’émission Politique sur France 2 le 22 novembre 2018, répondant à la question d’un téléspectateur, explique à des millions de Français que les émissions de CO² occasionnées pas les particuliers ne correspondent qu’à 2% des émissions totales de CO² ? Quid de l’arnaque ?
Pourquoi vouloir tout mettre à la casse ? L’impact économique sur les ménages qui vont devoir dans l’urgence remplacer leur véhicule un peu vieillot par un modèle neuf électrique est une gabegie, y compris écologique, passée sous silence.
Retour en 1973, premier choc pétrolier. C’est à ce moment-là que la France a développé avec le diesel le parc automobile le plus polluant en Europe, voir au monde, et accéléré son programme électronucléaire. En 1973, le nucléaire correspondait à environ 8 % de la production d’électricité en France, alors que les centrales thermiques à combustibles fossiles au diesel fournissaient plus de 65% d’électricité française. En moins de 10 ans entre les années 70 et 80, 54 réacteurs ont été construits et aujourd’hui le tout électrique c’est bien mieux pour les poumons que le diesel, c’est mieux pour la Sécu mais pas pour la planète.
Pourtant, avec l’ubérisation de la société, même la congestion et la pollution sont devenues un business. La mobilité urbaine a changé avec l’apparition de Vélib, d’Autolib et plus tard, de la trottinette en libre-service. Il n’est plus question d’attendre le bus ou de prendre le métro, trop long. Je raccourcis mon trajet, je grille les feux, je gagne 10 minutes ça ne me coûte que 4€, pas cher !
Désormais, il nous est expliqué que le métro est un lieu détestable, pollué aux particules fines provenant des freins et des roues. Quel est le message ? Sortez la tête du trou et allez prendre l’air avec les trottinettes et les vélos qui vous attendent ?
Le succès du libre-service a vu émerger un acronyme qui vaut son pesant d’or, MaaS pour « Mobilité as a Service ». Savant le concept de mobilité urbaine multimodale ! Il a pour ambition de faciliter la vie des usagers des transports urbains en mettant à leur disposition un abonnement et une plateforme unique pour rechercher des itinéraires multimodaux et les réserver en une seule fois.
Exemple. J’habite à Lyon, j’ai un abonnement MaaS, j’ai une réunion à Argenteuil à 5 km de la Gare. Je tape sur mon Smartphone l’adresse, il va me proposer un train Lyon/Paris puis le vélib ou la trottinette de la gare Montparnasse jusqu’à la gare Saint-Lazare pour m’aérer l’esprit puis un TER de Saint-Lazare à la gare d’Argenteuil et pour finir un VTC de la gare jusqu’au lieu de rendez-vous. Le tout pour un forfait mensualisé.
Inspirée des forfaits de la téléphonie, l’offre du MaaS est censée simplifier l’utilisation des différents transports et, grâce à la réservation et au paiement unique, étendre la zone de mobilité des usagers. Excepté que la zone de mobilité dépend du forfait choisi : petit budget, petit forfait, petite mobilité. CQFD. La fin de l’autonomie est en marche !
Dans leur ouvrage Neuroleadership Le cerveau face à la décision et au changement, James Teboul, professeur à l’Insead et au Collège des ingénieurs, et le neurologue Philippe Damier expliquent « qu’en réalité, notre cerveau n’est pas fait pour produire des comportements rationnels, mais pour s’adapter rapidement à la réalité ». D’où sa propension à privilégier le résultat à court terme et le plaisir immédiat.
L’autonomie sera donc bientôt réservée aux voitures et objets connectés pendant que les conducteurs et usagers seront ravis de perdre la leur.
Gemaile Rechak