« Deux fois plus de bien-être, en consommant deux fois moins de ressources ». Un vrai défi à relever, un pari, pourrait-on dire aussi, et ils sont nombreux à le juger irréaliste. Chronique de l’intensité.
La mariée serait trop belle, et d’ailleurs, les humains sont à l’origine de tous les problèmes de la planète, il faudra payer pour la restaurer, une affaire de morale. La seule manière de réduire la pression des humains sur la Terre est de réduire leur consommation. C’est la voie de la décroissance, incontournable dans cette logique. Est-ce une fatalité ?
Le bien-être, et son amélioration continue, peut-il être obtenu avec une réduction des prélèvements de ressources (et par suite des rejets dans l’environnement) ?
Il y a ceux qui ont foi dans le progrès technique. La foi du charbonnier, sans doute, mais une foi bien accrochée, et vivifiée par quelques avancées spectaculaires. Prenez l’éclairage, par exemple. Avec les LED, nous consommons 10 fois moins d’énergie qu’avec les ampoules à filament, pour le même niveau de lumière. Nous pouvons aussi éclairer mieux et consommer moins. Et pourquoi éclairer toute la nuit des rues désertes, alors qu’il est possible de détecter la présence humaine pour n’éclairer que quand cela est nécessaire ? Dans ce cas, le progrès s’appelle radar.
La piste du progrès technique rencontre toutefois quelques déconvenues, avec l’effet « rebond ». Le progrès victime de son succès en quelque sorte. L’incitation que constitue la performance pousse à consommer sans retenue et à reprendre ainsi les bénéfices attendus du progrès. Sans oublier le perfectionnisme, le besoin d’améliorer sans cesse un produit.
Le cas des voitures est instructif à cet égard. Nous savons réduire la consommation des moteurs depuis des années mais nous n’arrêtons pas de charger les voitures de fonctions nouvelles, si bien que la consommation totale reste la même. Retenons quand même que le progrès technique, avec quelques restrictions, apporte une partie de la solution et qu’il ne faut pas compter sur lui seul pour vivre mieux en consommant moins.
Il y a les tenants de la sobriété. Certains l’assimilent à privation, d’autres y voient une libération. Une démarche culturelle déjà bien engagée, avec par exemple les mouvements qui prônent la lenteur, ‘slow cities’, ‘slow food’, etc. Il reste qu’une bonne partie de nos concitoyens a comme objectif l’acquisition de richesses matérielles et rêve d’atteindre le niveau de vie (et de consommation) des classes supérieures. Le virage mental que serait la recherche de la sobriété ne se fera pas sans difficultés.
La mutualisation, c’est-à-dire répartir une charge ou une ressource entre les membres d’un groupe, peut être un moyen de négocier ce virage. Elle permet l’accès à un service dont la valeur est bien supérieure à la contribution. Une pratique ancienne, aux formes multiples qui pourra être mobilisée pour bénéficier de nombreux services et équipements sans en être pour autant propriétaire. Il s’agit d’une piste pour réduire notre consommation collective sans réduire celle de chacun d’entre nous.
Reprenons l’exemple des voitures. Elles passent 95% de leur temps à l’arrêt. Pourtant, elles pèsent lourd dans le budget des ménages, comme on dit : 4 000 € par an en moyenne plus l’entretien et le carburant. Pourquoi ne pas les partager et ne payer chacun que le temps d’usage ? Les formules abondent pour le faire, de la location à l’autopartage. Il est possible d’être riche par l’usage, même si l’on est pauvre du côté de la propriété.
Ajoutons les avantages collatéraux : recours plus fréquent aux transports en commun (autre forme de mutualisation), plus performants que la voiture dans de nombreux cas, gains d’espace public puisqu’il a moins de voitures en stationnement, et gain d’espace privé pour tous ceux qui devaient disposer d’un parking. Dividendes multiples, pour les intéressés, pour la planète, pour les villes et la santé de leurs habitants.
Le logement. Un élément central dans la vie quotidienne, besoin fondamental au même titre que le manger et le boire, marqueur social, facteur de santé ou de morbidité, etc. Toutes les enquêtes le disent, ils sont trop petits, nous voudrions tous plus d’espaces. La conception de l’habitat, l’ouverture sur des vues sont des manières de satisfaire cette forme de respiration mentale, mais ces réponses sont souvent limitées et insuffisantes.
La création d’espaces partagés permet à chacun d’agrandir son logement à l’usage. Les exemples sont nombreux de situations où la mutualisation offre plus de bien-être, sans provoquer de hausse de la consommation de ressources, bien au contraire. Plus de surface disponible pour chaque famille, mais moins le pression sur les ressources, d’espace consommé.
La mutualisation permet d’optimiser l’usage des ressources disponibles. Prenons l’exemple des toits supports de panneaux photovoltaïques. Dans un village, certains toits sont bien exposés, d’autres non. Leur mutualisation permet de choisir les plus performants, et de constituer ainsi une sorte de centrale collective dont chacun bénéficie, et qui favorise en plus l’autoconsommation collective, la diversité des consommateurs aidant.
La mutualisation prend des formes multiples. Ce peut être un service public, une affaire commerciale comme un service de location ou de libre-service, ou encore une initiative associative ou coopérative. L’échange et le partage en sont les formes anciennes, toujours en pratique bien qu’elles agacent les économistes : elles n’entrent pas dans les cadres comptables traditionnels, elles échappent aux instruments de suivi et de contrôle.
La mutualisation est un instrument puissant de la transformation de la société. Elle ne tombe pas pour autant du ciel, il faut la vouloir, la favoriser. La confiance réciproque entre tous les acteurs de ces mutualisations est une des conditions du succès.
Dominique Bidou
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