Et si le mot ‘réversibilité’ appliqué à l’architecture s’avérait au final réducteur ? En effet, si la notion de bâtiment réversible fait florès, au point que les majors de la construction se sont désormais emparés du concept, il demeure que le mot signifie surtout la transformation de bureaux en logements, voire plus rarement l’inverse. Sa réversibilité fait-elle la pérennité d’un bâtiment ? L’agence AZC préfère les mots ‘flexible’ et ‘réutilisable’. Une réflexion née, comme souvent, lors de leurs exercices de réhabilitation et de transformation de bureaux en logements.
Grégoire Zündel et Irina Cristea (AZC) expliquent avoir totalement réhabilité un bâtiment conçu en 1990. Le concours a eu lieu en 2011. Pour un bâtiment, 20 ans, ce n’est en effet pas beaucoup ! «Concasser du béton, c’est l’enfer. Recycler, c’est bien mais ce serait mieux de réfléchir en amont pour mettre le béton au bon endroit», souligne Grégoire Zündel. D’où aujourd’hui la formalisation de nouvelles intentions pour l’agence.
Si le constat s’impose que nombre de bâtiments ont des durées de vie de plus en plus courtes, ne faudrait-il pas alors construire plus de bâtiments peu onéreux, démontables voire jetables et/ou recyclables ? Des expériences en ce sens sont menées aux Etats-Unis avec des bâtiments en bois et métal. En France les exemples de bâtiments démontables sont de plus en plus nombreux, dans le cadre du logement d’urgence notamment (ou s’agit-il de l’urgence d’un logement ?).
Soulignons encore que nombre de cultures, en fonction de conditions climatiques ou telluriques, ont développé des modes constructifs légers qui n’impliquent pas une vision patrimoniale de l’architecture. En l’occurrence, une vision réversible ou flexible d’un bâtiment s’inscrit tout à fait dans la tradition française de la construction en béton. Encore faut-il que ce béton soit «coulé de façon pertinente dès le début pour permettre au bâtiment de s’adapter aux programmes futurs», remarquent les architectes.
D’où leur approche qui consiste à proposer une large adaptabilité de la structure plutôt qu’une réversibilité stricto sensu. Leur nouvelle agence, qui compte de vastes espaces lumineux à l’étage et en sous-sol, en témoigne. A découvrir le lieu, difficile d’imaginer qu’il s’agit d’un bâtiment construit dans les années 70 qui fut transformé en data center, un bunker de béton totalement clos. Que faire de ce lieu sinistre ? Rien justement sinon le démolir.
Jusqu’à ce que les architectes d’AZC n’en découvrent la structure : une trame de 5x5m en poteau-poutre, un plan de 25x20m sur une épaisse dalle béton. «Nous savions pouvoir y faire ce que nous voulions», expliquent-ils. Dit autrement, c’est la structure même, d’ailleurs ici explicitement mise en valeur, qui selon eux a permis la transformation de l’ouvrage. L’effet est saisissant et un petit amphithéâtre permet d’en prendre la mesure.
Une découverte qui engage désormais l’agence dans sa façon de concevoir. «Quand nous faisons une trame, nous pensons aux architectes qui interviendront sur le bâtiment dans 20 ou 30 ans. Il est facile de travailler sur quelque chose de clair, simple et lisible». C’est donc la structure qui selon eux peut, ou non, donner lieu à de nouvelles interprétations. En conséquence, quitte à utiliser les modes constructifs traditionnels utilisés en France, la réflexion essentielle quant à la pérennité d’un bâtiment, voire son éventuelle réversibilité, doit procéder en premier lieu d’une réflexion sur ses éléments structurants, les éléments interchangeables, escaliers, ascenseurs, devant être «rangés» là où ils gênent le moins.
Pour illustrer son propos, AZC met en avant d’une part la réhabilitation d’un immeuble de bureaux à Boulogne-Billancourt, d’autre part la construction neuve d’un hôtel d’entreprises. Certes, les associés ont dans le premier transformé l’espace en plateaux flexibles, «capables d’absorber des changements d’affectation» mais l’immeuble ne se prête pas à un changement de destination et demeure voué à l’immobilité.
Pour l’hôtel d’entreprises de la rue Binet à Paris en revanche, l’objectif est de construire un immeuble d’activités durable, l’ensemble intégrant une qualité de vie spécifique, exprimée par la générosité des ouvertures, des terrasses, des espaces de travail, des aménagements paysagers qualitatifs, des vues, de multiples orientations … «Il y a plein de façon pour un bâtiment d’être évolutif mais il y a des erreurs de structure à ne pas commettre», souligne Irina Cristea. «Un jour du bureau, un autre du logement, un jour autre chose, un bâtiment doit pouvoir devenir ce qu’on lui demande d’être», résume Grégoire Zündel.
De noter cependant que les architectes en France sont le plus souvent contraints dans leur conception par des réglementations allant à l’encontre de la flexibilité d’un bâtiment et interdisant souvent la mixité des programmes. Sans parler de la culture de nombre de promoteurs dont la vision de l’optimisation de l’économie relève souvent d’une vision à court terme. Sans parler encore de la culture individualiste française qui refuse par exemple des espaces communs, tels notamment des laveries communes à l’immeuble ou des terrasses accessibles à tous les habitants. Grégoire Zündel et Irina Cristea avouent «jalouser un peu ce qui se fait à Zurich ou en Allemagne». Cela dit, «à chaque fois que nous avons tenu tête, le client a fini par admettre à la fin la pertinence de nos choix», soulignent-ils.
Difficile d’expliquer en effet que l’architecte va, en substance, fabriquer une structure a minima qui a vocation à se prêter à tous les usages, ce qui laisse aux architectes toutes les possibilités d’exprimer leur créativité, des façades aux intérieurs. Par contre, si la structure même du bâtiment est mono fonctionnelle, le bâtiment finira inévitablement par ne plus répondre à aucun usage à tel moment de l’évolution de la société. Il faudra alors soit le restructurer à grands frais soit le détruire.
Il convient à ce titre d’observer que nombre d’immeubles de bureaux sont encore construits et livrés en France en 2017 avec une vision déjà dépassée de l’organisation du travail, idem pour nombre d’immeubles de logements dont l’adaptabilité est quasi nulle. Sans parler du maître d’ouvrage qui demande des usages hyper spécifiques et qui, trois ans plus tard, quand le directeur a changé… Enfin il ne faut pas sous-estimer l’inertie propre au domaine de la construction, et donc à l’architecture.
Si la durée de vie des bâtiments est de plus en plus courte, elle continue cependant de se compter en décades. AZC cite la réhabilitation d’un immeuble de bureaux à Suresnes (92) datant de 1989. Le bâtiment initial d’environ 4 300 m², réalisé en béton armé avec une structure de type poteaux-poutres, a été conçu sur cinq niveaux : un sous-sol de parking de 88 places, un rez-de-chaussée et quatre niveaux en superstructure. Livré en 2015, l’ouvrage accueille aujourd’hui le nouveau siège social de Louis Dreyfus Armateur. Ce projet fait donc la démonstration de l’adaptabilité d’une telle structure. Pour convaincre de ses intentions, AZC fait visiter le bâtiment. Plus d’une vingtaine de maîtres d’ouvrage sont déjà venus.
«Nous avons compris que la formulation du même client aujourd’hui ne sera plus identique dans six mois, dans un an. Le client, c’est aussi la ville. Il faut avoir en tête qu’un immeuble de travail deviendra un jour autre chose : des logements ou un hôtel. Si se projeter dans l’avenir est difficile, ménager cette résilience et prévoir cette évolutivité l’est moins», indique Stanislas de Chalambert, directeur du développement immobilier d’entreprise d’OGIC.*
«Construire un bâtiment pérenne consiste également à s’appuyer sur des matériaux non fragiles, éprouvés», soulignent enfin les architectes. Ils se méfient à ce titre de l’obsolescence programmée imposée aux hommes de l’art au travers de moult matériaux, mécanismes ou systèmes rendus obligatoires malgré leur manque de fiabilité. «Il faut se réinterroger sur la performance», concluent-ils.
Comment définir un bâtiment qui dure ? A travers sa structure sans doute, ce qui reste quand toutes les couches qui l’habillaient sont devenues désuètes.
Christophe Leray
*Voir notre article Réversibilité : de la théorie à la pratique