S’il est possible, pas toujours, de décrypter la vision ou l’intention du photographe d’architecture, qu’en pense donc l’auteur(e) de l’ouvrage photographié ? Expérience de l’extrême, comme l’affirme Marc Mimram, qui scrute en retour le travail de la photographe Erieta Attali ? Chronique-Photos.*
La géographie est la matrice de tout projet : elle est fondamentale et détermine la logique de toute intervention. Si d’aucuns considèrent l’architecture comme un art transformateur, il faut comprendre un paysage en termes de sa capacité à influencer et à potentialiser un projet et à s’adapter au changement.
Si le projet doit se réaliser, il faut reconnaître le paysage et être prêt à le voir modifié par les travaux de l’homme. Il faut donc observer et comprendre sans aspirer à une quelconque objectivation, cela implique d’adopter le regard d’un observateur. Erieta Attali est cette observatrice engagée : cet œil réfléchi qui sait lire le paysage et sa multitude d’éléments qui le composent. Pour ce faire, elle a choisi des paysages extrêmes qu’elle qualifie de périphériques.
Ces paysages ne sont pas intacts ; aucun paysage ne l’est vraiment. Et parce que la présence de l’homme est ténue, ses traces sont distinctes. Elle pose les pieds dans les traces des découvreurs pour nous dévoiler le fragile, l’éphémère, la force de toute intervention et la puissance de toute transformation.
Un paysage est une géographie informée par l’histoire. Les traces de toutes les interventions évoquent un rassemblement de mémoires, de changements inscrits sur la terre : par exemple celles opérées par les hommes qui ont balisé les chemins, les routes, les infrastructures qui nous ont amenés ici, ou les hommes qui ont extrait des mines et des carrières, assemblés matériaux et construit avec eux un abri pour leur permettre de vivre ici.
Cet œil réfléchi nous offre le filtre de sa sensibilité pour nous éveiller aux conditions du site et à notre responsabilité dans sa transformation radicale. Peu importe « l’intégration parfaite », qui existe à peine ; au contraire, le projet doit rechercher consciemment la bonne manière de réaliser la transformation profonde du paysage qu’implique tout travail de construction.
La photographie d’Attali est inestimable à cet égard car elle identifie le cadre et les limites et montre les couches du paysage sur lesquelles se concentrer et, parfois, le projet de construction. Elle invite l’horizon, point de rencontre de la terre et du ciel, à attirer le regard comme par gravité. C’est ici qu’est ancrée la tension de tous nos édifices, ceux qui reposent sur la terre et ceux qui s’élèvent hors d’elle, ceux qui y sont enracinés, ceux qui proclament une massivité affirmée, ou ceux qui expriment une légèreté aérienne, réelle ou apparente, dans leur structure.
Cette lecture sensible que propose la photographie nous permet de nous y placer, ou plutôt de la parcourir d’un regard concentré. Les images sont tendues entre les limites du cadre comme une corde courant autour de l’horizon. La lumière devient matière ; le noir devient une texture.
Entre le paysage bâti (habité ou non) et notre œil attiré par la photographie de celui-ci, s’ouvre un questionnement sur la ou les limites : l’immédiateté d’être là, la physicalité des photographies, l’expérience de l’extrême.
La matérialité du sujet rejoint la matérialité du traitement de l’image : des masses inertes commencent à flotter au-dessus de l’horizon, des cascades révèlent à quel point la gravité aspire à la verticalité ; la transparence s’affiche comme un leurre entre le reflet d’un sujet et sa métamorphose.
Erieta Attali a longtemps travaillé sur les traces historiques des sites archéologiques, cette expérience nourrit son travail sensible sur l’architecture contemporaine d’aujourd’hui, qui se forme, matériellement et spatialement, à travers les personnes qui la conçoivent, la construisent et l’habitent, qu’elles soient présents ou non dans ses images. Son regard est vif et tranchant, tel un coup de fouet qui éveille notre sensibilité, notre responsabilité au milieu des plaisirs de l’imagination et de l’exécution.
Marc Mimram
in Erieta Attali, Periphery | Archaeology of Light (Hatje Cantz, Berlin, 2019)
Erieta Attali
Toutes les chroniques-photos d’Erieta Attali
*Texte déjà publié le 7 septembre 2021 mais republié ici avec une nouvelle série de photos.