Le confinement pourrait-il avoir fait naître de nouveaux réflexes ? « L’architecte est un professionnel de la résilience », répond Jacques Pajot. Architecte, co-fondateur avec Marc Issepi d’Atelier Novembre, membre titulaire de l’Académie d’Architecture, il aborde le déconfinement avec souplesse et philosophie.
De mars à juin 2020, durant le confinement et jusqu’au déconfinement, l’Académie d’architecture a questionné ses académiciens et académiciennes quant à leurs réponses et réactions face à cette contrainte inattendue. Chroniques d’architecture publie neuf de ces entretiens.
Académie d’architecture – Le confinement a-t-il été source d’enseignements ?
Jacques Pajot – Le plus précieux enseignement est, sans aucun doute, l’agilité avec laquelle nous nous sommes tous adaptés. L’architecte est un professionnel de la résilience. Il nous a fallu inventer rapidement de nouvelles pratiques, le tout selon les projets en cours mais aussi selon les situations familiales de chacun.
Le confinement n’a enfin été qu’une succession de journées entières passées en vidéo-conférences et en conversations téléphoniques, vissé sur une chaise de travail. Le soir venu, je n’avais plus de voix…
Etes-vous critique face à l’avènement de la « visio-conférence » ?
La visio-conférence est un excellent outil. Son usage pourra, très probablement, être prolongé mais à condition de ne pas trop en abuser. Le contact physique est, à mes yeux, irremplaçable. Rien moins qu’en réunion de chantiers, par exemple, où il est difficile, pour ne pas dire impossible, de concilier des avis contraires et de résoudre des conflits face caméra.
Notre approche du métier est, de surcroît, collaborative y compris avec l’ensemble de nos partenaires. Une pratique à distance ne fait pas sens ; un projet développé à coup de PDF et de MMS n’est en outre pas une expérience très satisfaisante.
Votre rapport au temps a-t-il changé avec le confinement ?
Le temps n’est pas le même quand on est isolé, plus encore quand on est obligé de l’être. Si la solitude peut être source de sérénité, contrainte, elle nous expose à un énervement. Le télétravail a cependant montré un intérêt. Il permet de se retirer un peu pour se consacrer entièrement à un sujet. Je pourrais sans doute le faire, mais très ponctuellement.
Certains collaborateurs ont exprimé le souhait de travailler désormais depuis chez eux. Je n’ai pas encore de réponse à leur fournir. Une agence est, à mes yeux, une dynamique. Elle ne tourne que si tout le monde est là. S’il n’y a pas d’échanges, nous entretenons à distance un état léthargique. Nous avons vu que le télétravail n’autorise pas l’improvisation de l’échange. Or, une idée n’émerge que dans la densité mais aussi dans la proximité des collaborateurs.
Enfin, toutes les phases ne se prêtent pas au télétravail : un APS, un APD, pourquoi pas ? Mais un PRO, absolument pas. Le détail se traite dans l’échange.
Les rapports avec les collaborateurs de l’agence ont-ils alors changé ?
Déléguer n’est pas chose toujours facile. Le confinement nous a poussé davantage dans cette direction et j’aime à penser que cela nous a conduit à mieux travailler. Cette mise à l’épreuve pour moi et mon associé nous a conduit à mieux transmettre. Cet exercice est d’autant plus important que nous devrons bientôt passer le témoin à une nouvelle génération.
Comment s’est déroulé le déconfinement de l’agence ?
Petit à petit. Certains sont d’abord venus une semaine sur deux, d’autres, deux jours par semaine afin de tenir compte de leurs contraintes de garderie ou de transports. Les chantiers redémarrent désormais progressivement mais les dossiers de consultation d’entreprises sont toujours à l’arrêt. Quoi qu’il en soit, nous sommes maintenant environ 80 % de l’effectif présents à l’agence.
Ce retour à la normale est d’autant plus lent que les décisions administratives sont fastidieuses. Parfois même, nous nous sentons abandonnés. Il est difficile d’entendre l’administration nous dire : « débrouillez-vous ! ». Des responsabilités – y compris celle d’architectes – sont ouvertement engagées. Cette situation réclame donc de la prudence de toutes parts. Elle a également été source d’une solidarité inattendue entre les différents acteurs d’un projet.
Enfin, redémarrer un chantier avec de nouvelles règles d’hygiène implique des gestes ou comportement parfois difficilement applicables mais aussi des installations complémentaires. Rajouter un bungalow exige une capacité financière et toutes les entreprises ne sont pas, à ce sujet, toutes à égalité. La lenteur de la reprise trouve donc de multiples raisons qui réclament de la compréhension.
Que pensez-vous de « l’Après » ?
L’Académie d’Architecture a initié un débat sur l’Après entre Académiciens. La question de notre rôle d’architecte est ouvertement posée. Le confinement a mis l’accent sur les problématiques environnementales mais la crise sanitaire a plus largement révélé aux yeux de tous la précarité de la gestion du monde. Je suis d’autant plus marqué par cette situation que la responsabilité n’est pas un thème étranger aux architectes. Elle nous accompagne sans cesse. Je dirai même qu’elle est une matière que nous travaillons avec insistance et exigence. Peut-être est-il alors temps de refaire confiance aux architectes !
Propos recueillis par l’Académie d’architecture
Entretien réalisé le mardi 9 juin 2020
Retrouvez les neuf entretiens de la série.