« Je suis une femme architecte. Peut-on dire que je fais une architecture de femme ? Je ne le crois pas du tout. » Jocelyne Behrend est catégorique. Une opinion partagée par toutes leurs consoeurs et nombre de leurs confrères. « Au niveau de la façon de travailler, il n’y a pas de véritable divergence« , dit Cristina Conrad, soulignant, à raison, « qu’il y a encore moins de femmes maîtres d’ouvrage, et encore moins dans le bâtiment« . « C’est un non-sujet« , dit-elle.
« Ha vous êtes architecte. Architecte d’intérieur ? Combien de fois avons-nous entendu cette phrase« , assure Sylvie de la Dure. « Et dans les yeux de votre interlocuteur, vous sentiez immédiatement qu’il pensait décoration, architecture d’intérieure« . En fait c’est bien dans le regard de l’autre – et parfois la parole, une architecte se souvenant encore avoir été traitée de « pouffiasse » – que se situe la différence. Beaucoup d’architectes femmes avec lesquelles j’ai pu dialoguer évoquent ainsi le fait que, quand l’agence est dirigée par une femme, sans associé masculin, elle a plus de mal à se faire entendre des élus – et non des élues – voire des confrères dans les jury. « Cette différence que je ne revendiquais pas avant, je la revendique aujourd’hui. Très peu de femmes seules travaillent aujourd’hui, je ne suis pas sûre que ce soit en train de changer« , dit l’une.
« Quand je me suis associé avec Pascal (Laporte), au tout début, le maître d’ouvrage n’avait pas confiance en moi. Même sur les dossiers que je traitais seule, il demandait Pascal. Ca me rendait folle (rire). Je me suis rapidement plus intéressée au concours, au concept et l’agence s’est installée par rapport aux capacités de chacun« , raconte Corinne Vezzoni. « L’aspect femme architecte est apparu quand j’ai été médiatisée, jamais auparavant« , relève Raphaëlle Hondelatte. Encore faut-il être médiatisée, ce que quelques femmes architectes ont souligné.
Mais les choses changent, du fait même, à l’instar du reste de la société, de la féminisation du métier. Ainsi cette année, pour la première fois, les femmes sont majoritaires à l’école d’architecture de Marseille. Il faut aussi noter que les contraintes familiales et culturelles sont moins fortes. Beaucoup de femmes quadra ou quinqua ont dû batailler contre leurs propres parents. Aucune jeune architecte n’a mentionné ce cas de figure. Cristina Conrad rapporte cette anecdote. Lors d’une récente journée portes ouvertes pour les lycées organisées par l’Ordre des architectes d’Ile-de-France, il n’y avait dans la salle « pratiquement que des jeunes filles alors qu’il n’y avait que des enseignants hommes à la tribune« , dit-elle. Cela dit, comme le souligne Brigit de Kosmi, « nous étions encore moins nombreuses à la sortie« . De fait, s’il y a plus de femmes que d’hommes dans les écoles, la plupart deviennent ensuite salariées et non patrons. Et s’il y a 25% environ de femmes inscrites à l’Ordre, dont un certain nombre qui dirigent une agence, le plus souvent en couple, une femme seule à la tête d’une agence reste encore l’exception. « Il y a trois phases« , s’amuse Nathalie Blaise (Agence METEK). « La première phase, une femme n’est pas compétente. 2ème phase, elle n’est pas si naze. 3ème phase, c’est bien de travailler avec une femme« . De fait, avec l’âge et le métier, « on sait s’imposer et nous sommes acceptées de fait« , assure Corinne Vezzoni.
Le regard de l’autre, ici le maître d’ouvrage, a une influence concernant les projets confiés aux architectes femmes. Pour simplifier, la crèche aux femmes, les tours aux hommes. « Cela aussi commence à changer mais il est vrai que le réflexe demeure de penser que pour ma maison ou pour ma cuisine je préfère une femme« , dit Corinne Vezzoni. « Comment faire des maisons individuelles quand on rêve de tours ? Je ne peux pas faire des tours, alors je fais des ponts mais ce fut tellement difficile d’être invitée sur les concours« , acquiesce Brigit de Kosmi. A l’occasion, c’est l’inverse qui est vrai. Ainsi Raphaëlle Hondelatte raconte n’avoir construit de crèches qu’après son association avec Matthieu Laporte.
Enfin, presque toutes estiment que, pour citer l’une d’elle, « on n’a pas fait tout ce chemin pour se taire« . Ce que Corinne Vezzoni dit également, presque mot pour mot. « Une femme, quand elle a passé toutes les épreuves, est plus déterminée. Ne pas avoir le choix donne de la force – une force acquise au fil de leur vie -, mais cela en élimine beaucoup le long du chemin. D’ailleurs, les architectes femmes qui ont une architecture agressive, osée – Odile Decq, Zaha Hadid par exemple – n’ont pas d’enfants. J’ai le sentiment que les femmes, si elles sont d’accord pour le compromis, n’acceptent pas la compromission. Je suis sidérée de ce que des confrères sont capables d’accepter« . « On en a bavé mais nous sommes tenaces« , conclut Fariba Nourdeh (Agence NZ Architecture).
Bref l’architecture n’a pas de genre, que des architectes, hommes et/ou femmes.
Un mot concernant les concours
« L’anonymat jouait en notre faveur car la décision d’inviter une femme est une décision moins évidente. Quand je suis juré et que j’annonce que l’on va regarder les dossiers des femmes, je vois des hommes se tortiller ‘Encore une féministe’. C’est surtout un problème de compétition. La profession se féminise et la commande se réduit alors si le confrère peut glisser ‘qu’elle ne sait pas tenir un chantier’ ou ‘qu’elle n’a pas les qualifications’, cela aura un impact sur les élus« , raconte l’une.
« Je me souviens de la remarque d’un architecte qui avait noté que, lors de l’examen du dossier d’une femme, les femmes dans un jury soutenaient ce dossier« , dit une autre. « C’est un paradoxe. Sur le fond c’est déplorable de souhaiter l’anonymat du concours pour avoir un meilleur accès à la commande alors que l’architecte, homme ou femme, doit pouvoir défendre son projet. Tant mieux sur le moment mais c’est dommage sur le fond« , conclut une troisième.
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 19 avril 2006