Il n’est pas simple de greffer une extension contemporaine à une vielle bâtisse nichée dans un village provençal traditionnel. D’un point de vue technique bien sûr, mais surtout parce que, souvent, la greffe ne prend pas dans le corps social jaloux de son patrimoine. Une démarche exemplaire témoigne ici que l’architecture contemporaine, quand elle n’est pas que chirurgie esthétique, permet de sublimer l’histoire.
« C’est un concours de circonstances qui m’a permis de réaliser ce projet« , raconte l’architecte José Morales alors que vient d’être inauguré le Moulin de St Claude, une bâtisse du XVIIe qui tombait en décrépitude. Dans le même souffle, il tient à louer la clairvoyance de la commune d’avoir fait valoir son droit de préemption avant même de savoir qu’en faire, puis sa volonté de mener un projet exemplaire.
Un peu d’histoire. En 1995, le Conseil général des Bouches-du-Rhône impose à la commune la construction d’un collège signé Rudy Ricciotti, chez qui travaille, à l’époque, José Morales. Le projet est alors très mal perçu par les 8.000 habitants. Mais le temps a passé, le collège fonctionne et l’architecture contemporaine a fini par se faire accepter. « Je n’aurais pas pu refaire le moulin comme je le souhaitais sans ce coup de grisou du collège« , raconte l’architecte. Le maire refuse de laisser le moulin aux mains de promoteurs privés, préempte et s’adresse au CAUE 13 pour une étude programmatique, lequel préconise, d’une part, de réaliser une extension et en définit le programme, et d’autre part, de lancer un concours d’idée. « Une vraie démarche, rare, ouverte, transparente« , s’étonne encore l’architecte. Quarante équipes répondent, quatre sont retenues, José Morales est lauréat. Son projet séduit car il propose des circulations extérieures, augmentant au passage la surface utile du programme, qui n’altèrent pas l’intégrité architecturale du moulin, qui a déjà connu plusieurs greffes et dont toutes les salles sont à des niveaux différents
« Le site est un contexte. Au delà du bâtiment, de son histoire, il y a en ce lieu une force relevée par la géographie épargnée par le temps. L’Huveaune se love avant de glisser sous un pont élégant comme elle n’en rencontrera plus sur son cours jusqu’à la mer. Le bâtiment, lui, est un tout fait de complexité. Il montre à peine sa tête (et un long cou) au Nord et ne se révèle qu’aux curieux. Il agit comme une culée. Le long de la nationale, il faut se protéger mais pas se cacher« , écrit l’architecte. Si le moulin est clairement identifiable avec sa cheminée de brique, José Morales veut, par la rénovation de cet équipement « fédérateur« , à l’entrée ouest du village, révéler la structure autant que la symbolique du lieu de travail. « Il s’agit d’établir les moyens de l’expression du projet dans le cadre d’un processus pédagogique, d’un dialogue maîtrisé« , dit-il. « L’intervention en béton brut gris et acier est une accroche qui offre aux habitants la possibilité d’appréhender les aspects contemporains« , dit-il. L’enduit ocre typique de la Provence est un clin d’œil rassurant. Paradoxalement, c’est cette couleur qui a inquiété ; « J’ai utilisé l’alibi que c’était la couleur originelle du bâtiment« , sourit José Morales.
Le Moulin, voué à la culture et aux loisirs, abrite désormais des salles de danse, d’exposition, de peinture, de poterie, de musique et un laboratoire photo. « C’est un bâtiment public, réapproprié et investit par la collectivité. Il se doit donc d’être en écho avec la ville, ouvert à elle. Il est le lieu de l’apprentissage et de la création. Il doit forcément être celui de la diffusion. L’architecture doit contribuer à sa lisibilité. Pour cela, une façade d’entrée clairement identifiable a été créée à l’Est pour mettre en scène le système de circulation facilitant la distribution des locaux depuis l’extérieur. Cette structure à une vocation de médiation à l’échelle du proche et l’échelle du lointain. Elle met en scène le bâtiment avec un grand escalier et des coursives béton greffé à l’existant« , explique-t-il.
La qualité de l’environnement a impliqué une relation étroite et sophistiquée entre intérieur et extérieur, traduite par l’attention portée « sur les cadrages paysagers, sur les continuités, les prolongements« . La façade sud notamment permet cette ouverture sur le grand paysage et raconte cette interrelation dedans dehors. La nouvelle salle de danse, ouverte sur le grand paysage, se glisse sous la grande terrasse, réunissant les corps de bâtiment.
Avec un budget de 1,5 million d’euros, José Morales convient avoir eu un peu de mal lors de l’appel d’offres jusqu’à ce qu’une petite entreprise régionale – Entreprise Chaillan, José Morales tient à la citer – relève le challenge. « Les entrepreneurs étaient émus en quittant le chantier« , dit-il. Une maîtrise d’ouvrage impliquée, des artisans qui travaillent en confiance et avec le cœur à l’ouvrage… les associations qui occupent désormais le lieu n’ont pu que s’intéresser à cette histoire. « C’est touchant« , note l’architecte, ému lui aussi semble-t-il.
« Tout participe au respect d’un processus de sédimentation propre au lieu. Sublimer l’histoire permet de continuer l’histoire dans un lieu diffusant, irradiant et contemporain« , assure José Morales. Lors de l’inauguration, mises à part « quelques réflexions« , le public a immédiatement adhéré. Le CAUE ne peut lui aussi que se féliciter puisque le Moulin de St Claude devient ainsi un bon outil de communication vis-à-vis des petites communes, témoignant que le patrimoine architectural peut ressusciter tout en étant contemporain.
La maire de la commune, quant à elle, est définitivement convaincue. Elle a demandé à José Morales, en commande directe, de transformer un château en Centre aéré puis racheté une grande bastide destinée à devenir une annexe de la mairie, contemporaine bien sûr ; à Auriol, cela va désormais de soi.
Christophe Leray
Fiche technique :
José Morales architecte mandataire, Ralitza Kaperska, architecte assistante – mission de base
Maîtrise d’ouvrage : commune d’Auriol
Montant des travaux : 1.590.680 euros
Surface : 1 200 m² surface utile /1700 m² SHOB
Livraison : juillet 2006
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 15 novembre 2006