Le photographe Laurent Kronental est le lauréat du Prix du Public 2016 du Festival Circulation(s) dont la sixième édition s’est tenue à Paris au printemps dernier. Les visiteurs devaient cocher le nom du photographe choisi sur le bulletin de vote remis lors de l’achat du billet d’entrée. L’occasion de (re)découvrir sa série «Souvenir d’un futur».
«Laurent Kronental, né en 1987 à Paris, est un photographe autodidacte qui a découvert la photographie lors d’un voyage à Pékin. Il est fasciné par l’architecture et l’interaction entre le paysage urbain et les personnes qui y habitent. ‘Souvenir d’un Futur’ est un travail réalisé sur les grands ensembles de la région parisienne», indique le catalogue.
Il serait donc question d’architecture. En effet, le photographe, candide et attentif, observe que ces bâtiments qui lors de leur construction étaient à la pointe de l’avant-garde, modernes donc, relèvent désormais d’espaces relégués de la région parisienne. Qu’est-ce que cela signifie pour un architecte qui construit aujourd’hui. Sait-il déjà si son bâtiment durera cinquante ans ?
Toujours est-il que l’œil de Laurent Kronental rend parfaitement compte de l’incertitude dans le temps des meilleures intentions d’architecte. «Deux quartiers tout proches de chez moi se sont révélés essentiels dans ma démarche : les Damiers à Courbevoie et les Tours Aillaud (cité Pablo Picasso) à Nanterre. Ces bâtiments semblaient exister hors du temps, comme si leur raison d’être oscillait entre futur et passé»*, explique-t-il.
Espace urbain certes mais Laurent Knonental quant à lui souligne que la démarche de son projet est surtout «de mettre en lumière les personnes âgées habitant dans les grands ensembles de la banlieue parisienne». Des portraits, parfois en gros plan, rappellent que dans cette série, ce sont les gens qui sont le sujet, l’architecture n’étant que le cadre de vie, même si l’auteur des photos ne semble trouver du monde que dans des endroits désertés, désuets au mieux.
Ainsi, à travers ses personnages, c’est de la vieillesse et de l’obsolescence dont parle surtout Laurent Kronental, de comment vieillit la France, et pas seulement dans les grands ensembles de la région parisienne. C’est étonnant chez un artiste si jeune. La tendresse et le respect qu’il porte à ses personnages mettent en relief, souvent, la brutalité du bâti et des discours, parfois violents ou arrogants, qui l’ont porté.
Cité du Parc et cité Maurice-Thorez à, Ivry-sur-Seine, Cité Pablo Picasso à Nanterre, Les Arcades du Lac à Montigny-le-Bretonneux. L’ambition ne manquait pas, qu’elle fût politique ou culturelle. Ce qui fait penser à la place des Grands Hommes de Montpellier et ces dix statues, qui selon feu Georges Frêche, l’ancien maire à l’origine du projet, sont censés symboliser «les idéologies marquantes du xxe siècle». Aux côtés de Gandhi, Churchill, de Gaulle, Lénine et Mao, Georges Frêche n’a pas retenu Le Corbusier. Hitler et Pol Pot, il n’a pas osé. Au bûcher des vanités, nul n’arrive jamais le dernier.
Ce que les images de Laurent Kronental dans cette série suggèrent se passe en fait partout dans le pays ; le parc du logement social vieillit avec ses habitants, souvent mal, comme nos centrales nucléaires. Aucun bailleur ne peut expulser cette brave veuve Michu, qui approche des 80 ans et qui vit toujours dans le grand logement où elle et son mari avaient aménagé il y a 50 ans. Quatre chambres, un appartement de grandes dimensions comparé à la taille du logement social d’aujourd’hui. C’est là que ses enfants ont grandi, que son mari est mort, un espace plein de souvenir, ‘chez elle’. Comme elle n’a pas Alzheimer, l’Etat et tous les pouvoirs en place tiennent d’ailleurs à la garder chez elle par souci d’économie, pour ne pas encombrer l’hôpital, parce qu’il manque de maisons de retraite et que les chambres sont bien trop chères. Alors on encourage les personnes âgées, fussent-elles seules, à rester chez elles. «Ne vous inquiétez pas Madame Michu, on va vous envoyer une infirmière tous les jours» histoire que les subventions de l’Etat ne soient pas perdues pour tout le monde.
Le paradoxe est que les élus doivent donc d’une part maintenir dans de grands appartements des personnes seules, âgées et de faible revenu et d’autre part construire de nouveaux appartements pour familles nombreuses, familles monoparentales, pour les jeunes travailleurs, pour les colocataires, pour les handicapés, pour la famille Adams. L’équation est compliquée, l’inertie phénoménale. Alors la prospective à 50 ans…
Du coup, ce n’est pas tant l’architecture elle-même qui symbolise les glorieuses promesses non tenues que la vieillesse solitaire teintée de désarroi quand il ne reste plus personne ou presque pour y croire encore. Ces bâtiments survivront-ils à leurs locataires ?
Cela écrit, rendons grâce à Laurent Kronental de son talent et sa sensibilité. Ce que l’on voit, ce qu’il nous montre, ce que l’on discerne, n’est qu’une représentation, une vue d’artiste. De la même façon que Detroit n’est pas seulement la ville des photos de Marchand et Meffre, la vie dans les grands ensembles de la banlieue parisienne ne se résume pas à cette vision du photographe. Dans cinquante ans peut-être…
Christophe Leray
Découvrir de larges extraits de la série « Souvenir d’un futur »
*Cité par Dominique Llorens, Graine de photographe, 26/10/2015