Le désamour des villes présente un vrai danger, celui de les voir décliner, dénaturées, alors qu’elles doivent faire l’objet de toutes nos attentions face aux restrictions énergétiques et au réchauffement de la planète. Concevoir la ville de demain est d’abord retrouver la mixité perdue.
Les attentes sont fortes : services publics, mobilité, espace, nature… et les périphéries qui se sont développées autour des villes, depuis cinquante ans, montrent des univers pavillonnaires déshumanisés et inappropriés aux attentes. Les activités consommatrices d’espace en ont pris à leur aise, il est temps de siffler la fin de la récréation.
Que faire ? Sans se lancer dans de grandes réflexions sur la ville, faisons d’un côté le constat d’un fort rejet de l’urbain devenu insalubre, insécure, bruyant, et de l’autre côté la nécessité de réduire l’étalement urbain. A cela s’ajoute l’artificialisation des sols tant décriée mais qui résulte de la mise en question du modèle traditionnel perçu comme trop dense et manquant de « nature ». Le développement péri-urbain en est la résultante.
La contradiction est évidente : comment être moins dense tout en apportant plus de services et en consommant moins d’espace ? La réponse nécessite une réflexion et une nouvelle offre.
La démarche fonctionnaliste, en séparant la circulation, l’habitat, les activités, les loisirs… a oublié l’essentiel de la ville : le bien commun. Ce bien public qui permet le lien, le passage et la mixité. La démarche fonctionnaliste a favorisé l’éclatement de « la ville », jusque-là lieu d’échange, de sécurité et d’urbanité. Aujourd’hui l’intolérance est de mise en ville comme à la campagne.
Le constat est clair, les villes sont devenues des puzzles illisibles. Elles ont en partage une caractéristique, un centre généralement historique et objet de toutes les attentions, souvent en voie de piétonnisation et de mort économique, et puis une périphérie chaotique.
Si le développement de l’automobile est à l’origine de cette situation, la solution est dans l’attention à porter sur les entrées de ville. Elles sont caractérisées par la présence d’ensembles commerciaux plus ou moins importants, aujourd’hui en quête d’une nouvelle jeunesse, d’une nouvelle identité, de nouveaux concepts. Il s’agit souvent d’ensembles qui ont une densité faible et une occupation du sol désordonnée.
L’urbanisme doit viser une offre variée, la possibilité de choisir la proximité des différents « établissements humains », ou celui de l’éloignement avec ses conséquences. L’urbanisme doit proposer une véritable diversité architecturale, une présence symbolique de la puissance publique à travers un bien commun et plurifonctionnel.
A l’heure du zéro artificialisation des sols, les différents acteurs, publics et privés, doivent repenser les mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour l’ensemble des entrées de ville, devenues la honte d’un pays qui a pourtant une culture urbaine dont il a fait le creuset de sa démocratie.
La nouvelle démarche urbaine doit expliciter un projet en même temps qu’une vision pour pouvoir répondre aux défis environnementaux et urbains. L’urbanisme du droit des sols est devenu insuffisant.
Ce qui manque est un lien qui ne soit pas uniquement un axe de circulation, lieu du dysfonctionnement des villes.
Ce qui manque est une valorisation foncière qui permette d’envisager un projet « de mixité » et non une simple juxtaposition d’activités.
Ce qui manque est une structuration des activités qui prenne en considération la réalité des exigences, les rendant compatibles en un même lieu.
Ce qui manque est la recherche d’une « unité naturelle » bien informée qui soit le gage permanent de la complexité. C’est le contraire du zonage, c’est l’énoncé d’un projet qui se développe dans un temps long, dans une mise en perspective.
Ce qui manque est une réflexion sur les nouveaux concepts de logements et d’immeubles de bureaux permettant une évolutivité et une adaptabilité des activités, autour d’îlots de fraîcheur intérieurs. Des oasis en ville. Le moment est venu pour remettre en question des outils désuets et inopérants.
Faire de l’ombre dans nos nouveaux quartiers, c’est planter des arbres mais c’est aussi choisir de nouveaux gabarits pour nos rues trop larges, trop rectilignes, trop monotones. C’est accepter des bâtiments plus hauts.
Ce qui manque, ce sont des fontaines, des brumisateurs, des filets d’eaux qui courent dans les rues.
Les économies d’énergie et la réduction de l’étalement urbain doivent être les supports de toutes nos réflexions et de là, une nouvelle urbanité et de nouvelles propositions pourront émerger.
Le nouvel art urbain doit avoir comme ambition la « réparation » des villes, petites et moyennes. Cela ne pourra se faire qu’à partir de ce qui a causé leur perte, c’est-à-dire les structures commerciales implantées à l’extérieur des centres urbains.
La démarche « cosmétique » qui consiste à transformer un centre commercial en village n’est pas suffisante. Il faut proposer une véritable valorisation foncière pour obtenir un impact sur la restructuration du territoire et offrir un attracteur économique et culturel puissant.
Cette mixité est possible. C’est la perspective d’un nouvel urbanisme commercial, économe en énergie, qui réduirait les déplacements et correspondrait à l’exigence de zéro artificialisation net des sols.
Face à un rejet de la ville qui devient de plus en plus criant, un dialogue indispensable doit se faire autour d’un projet de renaissance des villes.
Pour concevoir la ville de demain, il faut impérativement remettre tous les échanges au cœur du projet d’urbanité retrouvée et s’appuyer sur la renaissance des structures commerciales péri-urbaines et des activités présentes.
La ville va se faire sur une « non-ville ».
Un seul projet urbain est possible, celui qui réunit le centre à la périphérie. Il y a des milliers d’hectares à restructurer, à densifier, dans toutes les agglomérations. Les entrées de villes, nouveaux supports de mixité urbaine, seront nos avenues du XXIe siècle. On en profitera pour repenser les ronds-points qui les jalonnent, bien souvent signe désespéré d’un manque d’ambition urbaine. C’est l’urbanisme moderne, devenu un outil de gestion du droit des tiers, qui est en question. Pour la ville à venir, il faut renouer avec un « urbanisme de vision », un « urbanisme de projet », dire la ville que l’on veut partager pour vivre ensemble.
Le monde économique, force de proposition, doit provoquer une dynamique urbaine, vertueuse et ambitieuse.
Avec son centre historique et sa périphérie chaotique, la vieille ville européenne (sécurité, échanges, démocratie) se fige.
À qui revient le rôle de proposer une nouvelle vision de la ville ? Aux collectivités qui sont désemparées ? Comment partager un avenir sans un projet ?
L’urbanisme est devenu d’une extrême complexité. Dans l’espoir de toujours bien faire, les réglementations se sont sans cesse empilées alors que le chaos des villes ne cesse de s’amplifier. La notion même de projet s’est diluée, elle a disparu au profit d’une gestion de plus en plus règlementaire.
Aujourd’hui, il faut désormais considérer deux faits nouveaux qui constituent une chance pour retrouver « une urbanité active et mixte » : la réduction de l’artificialisation des sols et la réduction de la consommation d’énergie. Ces deux éléments vont bouleverser notre rapport, non seulement à la ville mais aussi à la campagne.
En un siècle, la surface urbanisée a décuplé dans les banlieues périphériques et les territoires. Si les centres historiques font l’objet de toutes nos attentions, ce sont les périphéries qui doivent faire l’objet de véritables projets. Et ce n’est qu’à partir des principales radiales existantes, qui irriguent chacun des secteurs, qu’il sera possible de mettre de l’ordre. Ces radiales sont les supports d’activités économiques.
Face à la complexité administrative qui rend toute ambition utopique, il faut une initiative extérieure, généreuse, une sorte de mécénat, pour sortir un réel projet. La démarche doit être à l’opposé de la démarche actuelle qui ne fait que parer aux urgences. Il faut sortir de la parcelle pour ouvrir et changer de point de vue, élargir le champ d’une proposition et cadrer les projets sur des temporalités courtes, moyennes ou longues.
La grande distribution se réinvente et avec elle toutes les activités consommatrices d’espaces, qui se sont répandues dans la périphérie des villes, doivent être les parties prenantes de cette renaissance. L’évidence de la mixité recherchée se fera à l’épreuve du réel, avec une perspective commune : celle d’un projet public/privé.
Ce que je propose ? Mobiliser les acteurs économiques pour qu’ils soient à l’origine du renouveau de la ville.
Tout PROJET doit être économique, écologique, urbanistique, pour devenir social. Il s’agit de partager un avenir, de lui donner du sens pour retrouver une confiance perdue. Perdue à juste titre lorsque l’on parcourt les villes aujourd’hui.
Ce qui manque ? Une ambition, celle de redonner à la ville son rôle essentiel de creuset de la république.
Toutes les propositions doivent être formalisées, mises en évidence pour être partagées et qu’elles provoquent une participation. Il faut oser proposer au-delà des intérêts immédiats. Il est temps, le court terme doit s’inscrire dans une vision d’avenir, dans un projet qui porte l’intérêt général.
Chaque situation doit relever d’une programmation différente et permettre d’obtenir, en fonction des contextes, des idées très différentes rapportées à un même objet le bien commun. « Les avenues du XXIe siècle », un outil pour ouvrir le dialogue et le partage.
Alain Sarfati
Architecte & Urbaniste
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