
Alors que l’on va fêter dans quelques mois les 20 ans du DPE, ce diagnostic institutionnel des transactions immobilières françaises, retour sur cette vaste tartufferie thermique…
Toute procédure d’une vingtaine d’années doit normalement avoir acquis une certaine maturité et avoir atteint une sorte de statut qui devrait la rendre crédible, autrement elle devrait avoir disparu. Cependant, en France, le DPE, dont tout le monde agissant dans le domaine de l’immobilier reconnaît le total manque de crédibilité, reste une charge financière incontournable à toute vente…
Voulu à l’origine comme un pendant du contrôle technique automobile qui s’était imposé 15 ans plus tôt, le DPE devait permettre aux acquéreurs d’un bien immobilier d’avoir une idée de la consommation d’énergie qu’allait nécessiter le bien convoité. Oui mais voilà, comment approximer la chose de manière crédible ? Pour une voiture, il est aisé de déterminer un certain nombre de points de contrôle qui, s’appliquant sur des objets industrialisés, rendent facile l’évaluation par un mécanicien de l’état dudit véhicule… Ce d’autant que 30 ans plus tard, il s’agit seulement désormais, pour les modèles récents, de brancher l’ordinateur et le système informatique de la voiture recrache déjà une bonne partie des informations.
Toutefois, un logement n’est pas une voiture et les diagnostiqueurs DPE ne sont pas des mécaniciens ! Et pour cause : quand les uns doivent justifier d’une formation de deux ans en mécanique avant de se spécialiser dans le contrôle technique, le diagnostiqueur doit lui justifier de… 11 jours de formation, quelle que soit sa formation initiale… C’est dire si l’État français à une haute image de monde du bâtiment !
C’est curieux quand même : les uns contrôlent des systèmes industrialisés standardisés, documentés et parfaitement maîtrisés, dont l’âge moyen est récent – 11,5 ans – quand les autres doivent diagnostiquer des ouvrages tous uniques, dont les techniques de construction ont évolué tout au long de l’histoire, d’une moyenne d’âge de 42 ans et dont près de 50 % approchent le siècle. Après 11 jours de formation, chacun comprend bien que les diagnostiqueurs vont pouvoir réaliser un diagnostic parfaitement crédible… Les architectes eux-mêmes, avec six ans d’études, ne maîtrisent pas forcément toutes les techniques qui peuvent être rencontrées à travers le parc immobilier français.
Bref il n’est donc pas étonnant qu’aujourd’hui, malgré 20 ans de déploiement, personne n’apporte le moindre crédit à ce racket obligé.*
Pour autant, en 20 ans les méthodes ont évolué. Dans les premiers temps, le diagnostic se basait sur les consommations des propriétaires en place pour évaluer le classement énergétique. Évidemment rien ne permettait de savoir si les personnes vivaient à 25° chez eux toute l’année, ou s’ils étaient adeptes du double pull l’hiver et ne chauffaient qu’à 16°… Et si le chauffage de la maison se fait par un poêle à bois, difficile d’évaluer là aussi la réelle consommation d’énergie ! Du coup, maintenant, les diagnostiqueurs doivent rentrer les valeurs des déperditions des matériaux constituant l’enveloppe en se basant sur les factures des travaux effectués, enfin quand c’est possible, sinon… La paroi est définie par son épaisseur et sa constitution supposée, chacun des matériaux ayant une valeur par défaut.
Inutile de préciser que sur les bâtis anciens si largement répandus, cette équation se solde souvent par « X cm de matériau unique » avec pour résultat : « Isolation insuffisante ». Et qu’importe que la paroi fasse 20 cm ou 50 cm ! Mais une personne ayant un tout petit peu de connaissance constructive sait qu’une paroi de 40 ou 50 cm d’épaisseur est en réalité souvent constituée de plusieurs matériaux et que même si ça ne fait pas « toc, toc » quand on tapote dessus, cela ne signifie pas un manque d’isolant ! Un mur en briques de 25 cm avec une lame d’air et une planelle terre cuite ou en mâchefer est isolant et, en plus, potentiellement plus efficace qu’une laine quelconque pour le confort d’été. Mais pour détecter cette composition, il faut avoir une connaissance de l’histoire des procédés constructifs qui ne s’apprend pas en 11 jours ! Et comme, de toute façon, le moteur de calcul ne connaît pas tous les matériaux utilisés au cours de l’histoire de la construction ni leurs réelles performances, le résultat n’est au mieux qu’une grossière approximation.
C’est d’ailleurs cette même connaissance de la construction qui permettrait de savoir que ce n’est pas parce qu’une menuiserie est toute neuve avec des verres hyper performants que d’un seul coup le logement devient thermiquement efficace. En effet, les déperditions dans le bâtiment se jouent essentiellement dans la mise en œuvre et dans l’interface entre les différents éléments. Ainsi une belle fenêtre PVC toute neuve, si elle est posée « en rénovation », a toutes les chances de laisser fuir la chaleur à son pourtour dans l’interface avec le bâti ancien… voire que le bâti ancien à lui tout seul fasse passoire ! Et pour peu que l’on ait aveuglément percé la fenêtre dans les pièces sèches pour suivre la doctrine française des années ‘70, pas sûr que la nouvelle menuiserie soit plus efficace que la précédente !
Il est bien difficile d’expliquer à des personnes qui souvent n’y connaissent rien que ce qui leur semblait être un investissement valable et dûment subventionné par l’État par l’intermédiaire d’une entreprise labellisée RGE (pour « Reconnu Garant de l’Environnement »), n’est en fait qu’une énorme escroquerie et qu’elles se sont fait avoir dans les grandes largeurs.
Il faut ajouter à cela les moyens de production d’énergie car au volume d’énergie consommé s’ajoute la dépendance au gaz à effet de serre. Rappelons à ce titre que jusqu’à la RE2020, une chaudière gaz était mieux notée qu’un chauffage électrique et qu’aujourd’hui c’est l’inverse, que lorsque vous mixez les sources dans une même pièce, du genre poêle à bois et chauffage au gaz, le moteur de calcul à tendance à les cumuler pour mieux faire passer le logement pour une passoire thermique, au lieu de considérer que l’un peu alléger l’usage de l’autre. Des nuances et une maîtrise de l’outil impossible à acquérir en 11 jours de formation. Bref, entre approximations et fausses certitudes, il devient compliqué de sortir un résultat crédible.
Alors quand, cerise sur le gâteau, le nouveau DPE basé sur les données « physiques» des parois et les nouveaux moyens de production renvoie, APRÈS rénovation, un résultat plus mauvais que le DPE initial réalisé sur la consommation RÉELLE des précédents occupants, forcément cela laisse songeur sur le véritable objectif de toute cette mascarade… car finalement lequel de ces deux DPE est le plus crédible ???
Que chacun se rassure cependant, lors de la vente du bien, l’agent immobilier qui n’y comprend pas plus quelque chose que le diagnostiqueur ou l’acheteur, saura commercialement rassurer tout le monde en invoquant le fait que ce n’est qu’une formalité et qu’il ne faut pas en tenir compte…
Ainsi va la vie dans l’immobilier français, entre incompétence, approximation et subventions d’État dilapidées sous couvert de calculs pseudoscientifiques et de bonne conscience écologique.
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
Retrouver toutes les Chroniques de Stéphane Védrenne
*Lire aussi Eloge de la complexité, dans la campagne et en ville (Chroniques, 11 février 2020)