Durant son allocution le 29 juin 2020 lors de la réception des 150 conventionnels de la Convention sur le climat, le président Emmanuel Macron a fait valoir le dispositif « Action Cœur de ville » qui « vise à redonner vie aux villes moyennes, aux places de villages en rénovant les logements, souvent les commerces ». Action Cœur de Ville ? Qu’est-ce que c’est ? Comment ça marche ? Est-ce que ça marche ? Le CUEJ a mené l’enquête.
Mars 2018, Jacques Mézard, alors ministre de la Cohésion des territoires dans le gouvernement d’Edouard Philippe, annonce le lancement du plan « Action Coeur de Ville », censé redorer le blason des villes petites et moyennes. Sont sélectionnées 222 villes pour participer à ce grand programme national, où logement, commerce, et espace public doivent être mis en cohérence pour revitaliser l’espace urbain. Cinq milliards euros d’aides sont promis pour cinq ans.
Deux ans plus tard, alors que le déploiement opérationnel des programmes de ces villes doit être commencé, onze étudiants du Centre universitaire d’enseignement du journalisme (CUEJ) de Strasbourg ont mené l’enquête.* Ils ont intitulé leur rapport « Centre-ville : le cœur n’y est plus »
Les jeunes journalistes se sont intéressés aux 80 villes au taux de vacance commerciale le plus important, soit plus de 10%. Ils ont constaté que parmi celles-ci, 65 ont délivré des autorisations pour étendre des zones commerciales, au détriment bien sûr de leur engagement dans un programme national indiquant explicitement que la sauvegarde du centre-ville va de pair avec la sauvegarde de ses commerces.
L’introduction de l’étude est implacable sur les responsabilités « des élus [qui] trahissent l’esprit du programme, les commissions départementales d’aménagement commercial sont peu contraignantes et les préfets n’assument pas leurs prérogatives. Autant de contradictions qui remettent en cause l’efficacité de ce dispositif, deux ans après son lancement ».
Sur l’ensemble des villes « Action Cœur de Ville », ce ne sont pas moins de 367 projets commerciaux qui ont été approuvés, plus que le nombre même de ville participant au programme ! Les Commissions Départementales d’Aménagement Commerciale (CDAC), majoritairement composés d’élus locaux, semblent bien inertes face aux demandes d’implantation puisque ce sont les mêmes qui se tirent la bourre pour les zones commerciales, créatrices d’emploi et mannes fiscales. Il est vrai que quand l’industrie tourne à vide et se barre, il ne reste plus que le commerce pour attirer de l’emploi…
Il ne faut apparemment pas ou plus compter sur les préfets pour opposer un véto sur de tels projets. En l’occurrence, l’Etat décentralisé n’est pas plus efficace que l’Etat centralisé. Malgré les rappels à l’ordre de leurs ministres – Jacqueline Gourault et Bruno Lemaire – que les préfets opposent leur véto à la construction de nouvelles zones commerciales pour les villes du programme « Action Cœur de Ville », seuls cinq recours ont été portés pour l’instant…
A lire cette longue enquête, c’est l’incompétence des élus qui est perceptible. A Aurillac, où un projet vieux de 2003 (25 000m2 avec un Carrefour) a été purgé de tous recours et les pelleteuses ont commencé leur œuvre, le conseiller municipal délégué au commerce quant à lui ne semble pas connaître le programme « Action Cœur de Ville » dont sa ville bénéficie… A Calais, l’implantation d’un Leclerc et d’un magasin de Bricolage menace directement un quartier, lequel a déjà été créé autour d’un autre centre commercial qui périclite.
A Cholet, le maire se venge de l’association de commerçants du centre-ville, qui a osé le défier en portant avec l’appui du préfet un recours devant la commission départementale d’aménagement commercial (CNAC), en la privant de subventions pour l’animation du centre-ville et faisant sauter l’avantage concédé d’une réduction pour le parking de leurs clients, faisant ainsi baisser les adhésions à l’association de commerçants.
Le plus malin est le maire de Chartes qui s’est appuyé sur la mise en place des Opérations de Revitalisation de Territoire, qui permet de déployer « Action Cœur de Ville » dans un périmètre plus vaste, pour remettre sur le tapis son projet de centre commercial pourtant retoqué.
Quelques maires volontaristes tout de même se saisissent des dossiers et tentent d’empêcher les zones de chalandises de s’implanter à proximité de leur ville mais cela n’est pas aisé. Un centre-ville, avec des rideaux baissés, ce sont aussi des logements qui se vident, qui perdent de leur valeur et de leur attractivité. Penser la réhabilitation des commerces, des logements privés et de l’espace public demande des processus lourds, c’est long, cela demande de la concertation. Reprendre la main demande un pouvoir local relativement fort pour résister aux sirènes des géants de l’hypermarché et de leurs foncières qui leur font miroiter de nouveaux emplois, et in fine, de nouvelles ressources fiscales. Et cela demande un maire qui connaisse et se préoccupe des questions de logements, privés notamment, pour valoriser le patrimoine dont il dispose et ne délègue pas cette prérogative à un charmant constructeur**.
Cela demande aussi de réfléchir aux besoins des habitants pour trouver les commerces adaptés et réussir à les attirer, ce qui est plus compliqué que de laisser le boulot à une foncière commerciale. Sans compter que les autres maires du coin n’aiment jamais trop les francs-tireurs et les donneurs de leçon.
Après des élections plus vertes que jamais (dans les grandes villes du moins), le tournant zéro artificialisation et projet urbain écolo, le ton changera-t-il ? Après avoir reçu les membres de la convention citoyenne, Emmanuel Macron de déclarer solennellement : « vous proposez d’éviter de nouvelles constructions qui mentent sur la nature quand des réhabilitations sont possibles, engageons-nous ! Allons-y ! Vous préconisez d’instaurer un moratoire sur les nouvelles zones commerciales en périphérie des villes, allons-y ! Allons-y, agissons ! ».
Pour un Président qui ne veut pas entendre parler de décroissance mais entend s’appuyer sur le dispositif « Action Coeur de ville », si l’on en juge par l’efficacité de ce dernier, il va falloir se réinventer.
Et puis, vraiment, pourra-t-il dire « non » à ces géants immobiliers qui pèsent 200 milliards et qui, alors que se dessine une crise économique violente, ont pendant la pandémie fait les tours des médias pour se féliciter d’avoir suspendu les loyers dans leurs centres commerciaux au nom de la préservation de l’emploi.
Le message n’aurait pas été entendu ?
Julie Arnault
* Lire l’enquête du CUEJ : http://cuej.info/mini-sites/coeurdeville/
** Lire notre article Vacance structurelle, vacance de l’esprit : le lotissement pour les nuls