Les gares sont devenues un enjeu urbain de premier ordre en ce sens qu’elles sont aujourd’hui considérées comme un point central d’activité. «La gare doit devenir un lieu d’intensité et de reconquête urbaine. A ce titre elle doit être le plus accessible possible car elle dessert toute une série de programmes urbains, ce pourquoi il s’agit de l’un des lieux les plus fréquentés de la ville», explique ainsi Etienne Tricaud, fondateur d’AREP.
Une ambition partagée par Jacques Ferrier, le coordinateur des gares du Grand Paris Express qui, désigné lauréat de ce concours en 2012 déclarait vouloir saisir «l’opportunité de mettre en oeuvre un espace public nouveau où, notamment, les nouvelles technologies permettront au voyageur d’être mieux dans la gare que dans son casque».
La gare lieux d’intensité et de reconquête urbaine ? Le concept fait florès. C’est ainsi par exemple que le nouveau plan urbain de Chicago est également conçu et articulé autour de ses stations de métro. Auparavant, dans cette ville, la règle urbaine était simple. Dans l’hyper centre, les immeubles hyper hauts, puis dans un rayon de quelques kilomètres, des tours encore mais moins hautes, puis au prochain cercle des immeubles de R+4 à R+10 selon la nature industrielle ou résidentielle du site, puis enfin la ville plate, de R+1 à R+4 et super plate encore plus loin, symbolisée par les lotissements pavillonnaires. En arrivant de l’autoroute I57, en venant du sud donc, ou vu d’avion, le centre de Chicago apparaît ainsi comme une île fichée au milieu des grandes plaines.
Cette règle a changé car il est désormais possible de construire plus haut dans le périmètre immédiat des stations, puis de moins en moins haut jusqu’à la ville plate, le principe des cercles concentriques s’appliquant toujours, les périmètres étant simplement réduits à la dimension du quartier. Soudain ce sont autant d’îlots qui jaillissent tandis que le métro, dans sa qualité environnementale et pratique, retrouve alors toute son utilité dans la gestion des flux d’une ville de trois millions d’habitants. Encore ce modèle s’applique-t-il à un territoire bien identifié.
Ce principe n’est pas dénué d’arrière-pensées commerciales – il suffit pour s’en convaincre de comparer la valeur des terrains entre le périphérique et le tracé du Grand Paris Express (GPE) avant et après la décision politique de faire le Grand Paris – mais la création de m² est ce qui peu ou prou assure le financement de ces développements.
Les urbanistes et architectes, à Chicago comme à Paris, parlent de ‘nouvelles centralités’. Sachant que tous sont d’accord sur le fait qu’une redéfinition de l’usage de la voiture dans l’espace citadin est nécessaire, surtout quand elle a un moteur diesel, fut-il français, ces nouvelles ‘centralités’ donc, irriguées par des flux de transport en commun semblent offrir de nouvelles et prometteuses capacités de transport. Mais si chaque gare du GPE est destinée à devenir un ‘pôle’ (mot à la mode), cette organisation implique une réorganisation plus large de la ville que ne semblent l’imaginer les tenants d’une offre de transport de banlieue à banlieue. En effet, la logique de ces centralités ne serait-elle pas justement que les gens n’aient pas besoin de se déplacer aussi loin et de traverser toute l’ïle-de-France, même en Grand Paris Express, pour leurs déplacements quotidiens ? Pour ne donner qu’un seul exemple, à l’heure des circuits cours, toujours un seul Rungis, «le plus grand marché de gros d’Europe» comme s’excitent les gazettes ? Le GPE accepte-il le fret ?
Pour que ces îlots urbains soient viables, tant dans leurs activités que leurs réseaux de distribution quelle qu’en soit la nature, ils se devraient d’être autonomes ce qui nécessiterait en toute logique une forme de décentralisation. Pourtant ces 68 gares semblent faire le siège de Paris intra-muros, le GPE s’y référant dans son intitulé même. Décidemment, l’esprit muraille persiste en France. Paris s’est agrandi en repoussant ses murs toujours plus loin. Le périphérique parisien désormais obsolète, fallait-il encore une autre frontière ? Car le GPE, involontairement sans doute, dans son tracé jacobin et autoritaire impose encore une fois une nouvelle limite. La preuve, ce territoire se cherche encore un nom : Métropole ? Mégalopole ? Grand Paris ? Et Paris intra-muros deviendra le petit Paris ? Et les élus bien français de tous bords de s’écharper pour les postes et fonctions d’une encore nouvelle administration, fut-elle en l’occurrence dépourvue de vrais pouvoirs. Grand Paris Express ou voiture de fonction ? D’après vous ? Sans compter que ce nouveau métro, quand il sera construit, sera sans doute rapidement sous-dimensionné.
Mais admettons que ces centralités autour des gares parviennent à ancrer les populations dans leur territoire et que le GPE parvient à détourer le flux des voyageurs, l’une des conséquences est que les banlieusards qui déjà ne peuvent plus ni travailler ni vivre à Paris n’auront même plus besoin de s’y rendre. De fait, l’interdiction aux voitures anciennes de circuler dans Paris, touchant les foyers modestes, établit clairement une distinction entre la ville stricto sensu et le territoire. Bientôt des checkpoints ?
C’est le rêve des pouvoirs en place à Paris d’une ville moins congestionnée. Il s’agit bien dans ce cas d’une ville réduite à son expression historique, pas métropolitaine. Et quand il est question de «toutes les mobilités parisiennes», cela veut dire vélib en novlangue, pas RER vieillissants et bondés. Ha le rêve d’un Paris où les riches propriétaires d’un 4×4 acheté la veille – avec un moteur Diesel made in France subventionné par l’Etat – pourront enfin circuler tranquilles, où les rives auront été rendues aux piétons et ou les fleurs environnées de papillons pousseront sur les façades. Le GPE est l’assurance que l’entre-soi bobo parisien – de plus en plus bourgeois, de moins en moins bohême d’ailleurs – aura de bons jours devant lui. Pour la caution sociale, les soutiers de ces pousse-pousse si photogéniques et créateurs d’emplois auront quelques pourboires (voire…) et il y aura toujours suffisamment de logements sociaux pour la bonne conscience et pour une main-d’œuvre à domicile devenue ‘service à la personne’ de proximité. Sarkozy lui-même, initiateur du Grand Paris en 2007, y voyait surtout la contrainte de ne pas se «laisser distancer par Shanghai, par Londres ou par Dubaï». Suivez son regard pour le modèle !
Bref, si les vertus du grand Paris Express semblent acquises d’emblée par les élus, les architectes, le grand public, le modèle lui-même des cercles concentriques toujours plus grands mérite pourtant d’être questionné. A Pékin, les périphériques sont numérotés et la ville est devenue irrespirable. A Détroit, les routes numérotées – jusqu’à 15 Mile Road – construites de plus en plus loin du centre-ville ont contribué à totalement assécher toute essence urbaine à ces immenses espaces.
Cela écrit, nonobstant que le GPE a déjà vu passer deux présidents de la république, plusieurs ministres de tutelles et que sa gouvernance change au gré des alternances, il y a sans doute encore le temps de voir venir. Le cas de la construction envisagée d’une navette quasi directe entre Roissy et Paris est à ce titre exemplaire. Intitulé le Roissy Express (notez comme on aime bien le mot express en France ; souvenez-vous, l’express Paris-Orléans, un vocabulaire que n’aurait pas renié Fernand Reynaud), le 3 juin 2014, bonne nouvelle, la presse annonce enfin que «le train express pour Roissy est sur les rails». Il est plus que temps si l’on considère l’état du RER B.
Or qu’apprend-on fin août 2016 ? Que le gouvernement envisage dès 2017, pour le financement du Roissy Express justement, la création d’une «taxe d’un montant proche d’1 euro» qui serait prélevée sur les billets d’avions au départ comme à l’arrivée de Roissy. Cette nouvelle taxe rapporterait ainsi selon ses promoteurs chaque année entre 35 et 40 millions d’euros*. Une idée qui a eu le don de mettre en rogne Jean-Marc Janaillac, patron du groupe Air France-KLM, qui trouve le procédé «inacceptable».
Le point est surtout que si le gouvernement, deux ans après avoir mis le projet «sur les rails», en est encore à chercher à boucler son financement à coups de «35 ou 40M€» par-ci par-là sur un projet à 1,4 MD€, c’est que pas grand-chose n’est encore bouclé. Et encore, il s’agit là de la valeur 2013, qu’en sera-t-il du coût des travaux au final ? L’augmentation sera financée comment ? Avec une hausse des tarifs de la dame pipi ? Cet autre express est censé être prêt en 2024 pour les J.O. aussi hypothétiques soient-ils à ce jour. Et si Paris n’obtient pas les J.O. ? C’est à quel horizon qu’il sera construit le Roissy Express ?
Le pire est qu’il est quand même étonnant qu’un tel projet dont la rentabilité est assurée – le métro est payé depuis longtemps – intéresse si peu les investisseurs privés que l’Etat en soit encore à quémander 35 ou 40 M€ ? Peut-être que si le projet était laissé en concession aux Chinois, non seulement il serait livré en deux ans mais en plus ils paieraient un loyer, à moins bien sûr que comme Apple en Irlande…
Parions en tous cas que, malgré les nouvelles ‘centralités’ de la ‘ville-archipel’, au rythme où vont les choses, ce n’est qu’une question de temps que Paris se retrouve à nouveau à l’étroit dans les limites du Grand Paris Express. Il sera alors toujours temps alors d’envisager un Super Grand Paris Express reliant Amiens à Amiens via une boucle passant par Rouen, Le Mans, Tours, Orléans, Troyes et Reims que les habitants du petit Paris puissent continuer à cultiver leur jardin.
Christophe Leray
* http://www.air-journal.fr/2016-08-26-taxe-cdg-express-en-2017-inacceptable-pour-air-france-klm-5168426.html