
Jean-Luc Calligaro et Bruno Palisson (PO&PO) ont, à l’issue d’une rencontre fondatrice avec un maître d’ouvrage éclairé, entamé une véritable réflexion sur un concept d’habitat ni tout à fait collectif ni tout à fait individuel. Leurs projets en cours démontrent la richesse de cette nouvelle approche. Mais nombre d’obstacles demeurent. Explications.
«Il n’est pas totalement utopiste d’affirmer son désir de défendre l’idée d’un bonheur pouvant aussi être alimenté par la qualité des cadres de vie que nous concevons et que nous animons. Cela nous oblige à nous extraire de l’idée d’une simple production quantifiée et réglementée de la ville au profit d’une autre idée de l’urbain et du périurbain,» explique Olivier Barry, directeur général de FSM (Foyers de Seine et Marne), un maître d’ouvrage de logements sociaux qui aime à décrire son métier comme celui d’un «concepteur et animateur» du cadre de vie.
C’est lui qui, à l’issue d’une rencontre en 2003, a proposé à l’agence PO&PO (Jean-Luc Calligaro et Bruno Palisson) de concevoir les 19 logements sociaux de Vert-Saint-Denis (77) – une réussite fondatrice -, alors que l’agence n’avait encore à ce jour jamais construit de logements. En mars 2008, l’exposition de la Galerie de l’architecture à Paris consacrée à l’Atelier PO&PO est divisée en deux parties. La première présente une scénographie relative à la rue et à l’univers du chantier qui traite plus particulièrement des équipements publics.
La seconde permet de pénétrer dans l’autre univers de l’agence, qui a engagé une vaste réflexion sur la question de la densification des villes périurbaines et rurales «qui se développent sur des champs de blé». En effet, ce sont pas moins de sept projets en cours (des projets répartis dans le temps, ce n’est pas comme si l’agence était débordée. NdA), pour un total de presque 350 logements, sociaux en majorité, que présentent Jean-Luc Calligaro et Bruno Palisson. Particularité de ces projets, ils s’inscrivent tous dans le cadre du concept de «logement intermédiaire», ni tout à fait collectif, ni tout à fait individuel.

«Nous essayons de convaincre nos maîtres d’ouvrage un par un,» s’amuse Bruno Palisson. Tous en effet n’ont pas l’âme de pionnier et la culture architecturale d’Olivier Barry. PO&PO a ouvert un champ d’exploration sur l’habitat intermédiaire à partir de la question suivante : Comment assembler pour densifier en donnant l’impression d’un habitat individuel et comment proposer un habitat individuel tout en offrant un sentiment collectif ?
Jean-Luc Calligaro se souvient de la genèse de l’interrogation. «Nous étions appelés dans des coins reclus, de grande banlieue, et confrontés à des territoires délaissés, à de grands ensembles qui dégoulinaient sur de petits bourgs, à des zones industrielles et commerciales le long des nationales. Il n’y avait souvent rien pour se raccrocher. Alors nous nous sommes demandés comment retisser des liens, comment commencer à faire de la ville dans des champs de blé sans faire un pâté fermé sur lui-même ? Une réflexion qui s’est engagée par obligation car on nous impose ces lieux dans lesquels on doit se développer sans les étaler pour faire du lotissement,» explique-t-il.
Chaque contexte est bien entendu différent mais PO&PO s’appuie sur quelques idées fortes, la première étant que «l’esthétique peut et doit investir le champ du social». La seconde est de prévoir des espaces collectifs, souvent sous forme de jardin ou mail central. Cet espace vert commun, rendu possible par le rejet de la voiture à l’extérieur du lotissement, devient un espace intermédiaire entre l’espace public et l’espace privé, entre la rue et le lieu privé. La troisième est le refus des ‘frontières’ entre logement social et logement en accession.

Une autre encore est de diversifier les types d’habitat dans une même opération où des maisons côtoient des petits immeubles collectifs R+3 (avec ou sans parties communes) avec une large gamme de variantes entre les deux. Le tout avec la volonté affirmée de créer «un petit morceau de ville». Comme en témoigne l’opération de Vert-Saint-Denis, dans laquelle les résidents habitent depuis deux ans déjà, le concept est particulièrement bien accueilli. Ce qui n’étonne pas Jean-Luc Calligaro et Bruno Palisson. «Les élus ont l’impression que c’est nouveau alors que ça existe depuis trente ans à l’étranger,» soulignent-ils.
Les élus ne sont pas les seuls à être déboussolés. D’un département ou d’une ville à l’autre, les interprétations de la réglementation varient. Presque systématiquement, leurs demandes de permis de construire dans ce domaine sont classées dans une famille de logements qui n’est pas celle qu’ils avaient décidée. Et les malentendus avec les maîtres d’ouvrage, qui lisent le budget comme pour celui d’un collectif lambda, sont parfois décourageants («Les concours avec un oral permettent de lever toutes les incompréhensions,» note Jean-Luc Calligaro). Par ailleurs, les promoteurs ont été prompts à comprendre l’intérêt des politiques pour ce concept de logements intermédiaires et brouillent les cartes en rebaptisant ‘intermédiaire’ ce qui n’est que du collectif déguisé. «Même les services d’EDF par exemple, tellement habitués à l’alternative maison individuelle en diffus ou immeuble collectif ne savent pas répondre à nos propositions ; ils se demandent où ils vont faire passer les gaines,» remarquent Jean-Luc Calligaro et Bruno Palisson.

D’ailleurs les architectes de PO&PO soupçonnent que, à l’échelle du pays, un grand nombre de propositions originales de leurs confrères, comme nombre des leurs, ne voient jamais le jour, malgré la demande. De fait, combien de PLU en 2008 fonctionnent encore sur l’idée rue-garage-jardin-maison avec des parcelles de 500m², une maison de 150m² et des limites séparatives de 3m ? Combien de maîtres d’ouvrage figent les projets parce qu’eux-mêmes les inscrivent dans ces stéréotypes ? «Même une place de parking ouverte sous la maison est difficile à faire admettre,» notent-ils.
Pourtant «le défi de recréer les conditions de la maison individuelle dans un ensemble collectif», ainsi que l’avait énoncé David Trottin (Périphériques) lors de la livraison en 2004 des Villas Torpedo à Saint-Denis (93) et que confirme (ré-affirme) aujourd’hui PO&PO, est loin d’être insurmontable puisque les coûts sont largement maîtrisés, 1.150 € HT/m² habitable pour les 66 logements de Pringy par exemple. Plus important encore, le respect. «S’il y a un mot qui peut qualifier ce projet, c’est celui de respect,» déclarait ainsi Didier Paillard, maire de Saint-Denis, à la livraison des Villas Torpedo. «Les gens sont intéressés, il suffit de ne pas se moquer d’eux,» assurent aujourd’hui Jean-Luc Calligaro et Bruno Palisson. Et Olivier Barry, le maître d’ouvrage, ne dit pas autre chose.

Colin Sueur, maire de Colombelles, qui avec Annie Offret, directrice du Foyer Normand, un bailleur social, a confié à PO&PO 29 logements sociaux sur une parcelle dans une ZAC à Colombelles (14) est celui qui finalement résume le mieux les enjeux actuels et les perspectives du logement intermédiaire. «Jean-Luc Calligaro et Bruno Palisson ont attiré notre attention sur ce qu’il pouvait y avoir de nouveau et d’insolite dans la réflexion sur l’urbain et dans celle du logement. En tant que professionnel (il est lui-même architecte. NdA) j’ai été, la première fois, un peu interloqué par le projet de PO&PO. C’était un peu décoiffant, le sujet présenté m’apparaissant comme un catalogue de matériaux, d’idées nouvelles mises en place sans véritable cohérence. Après avoir écouté Bruno Palisson, j’ai bien compris qu’il y avait là une tentative de réinvention de la ville et du logement et si, même aujourd’hui, à la phase APD, ce projet n’a pas encore remporté 100% de ma conviction, c’est malgré tout avec enthousiasme et motivation que je défends et soutiens leur proposition car, bien que ce projet fasse débat, bien qu’il ne fasse pas l’unanimité, je crois vraiment qu’il y a là une nouvelle vision de ce que doit être la ville partagée,» explique-t-il.
Reste à PO&PO, et à nombre d’architectes, à reprendre leur bâton de pèlerin et, comme l’admet Colin Sueur, «convaincre les maîtres d’ouvrage un par un».
Christophe Leray

Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 19 mars 2008