Malgré le lyrisme du candidat quand il parlait d’architecture, la loi ELAN a montré à quel point le président Macron avançait masqué. Si encore elle marchait ! Sauf qu’il y a aujourd’hui en octobre 2020 encore moins qu’avant de logements construits par an. Une chute « historique » !
Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, le nombre de permis de construire est tombé en 2020 sous la barre des 400 000 logements par an, contre près de 500 000 délivrés en 2017 – un fléchissement constant – et chaque architecte admettra qu’il n’a jamais été dans l’histoire aussi compliqué de construire du neuf de qualité ! La loi Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite ELAN), adoptée en novembre 2018, promettait pourtant un choc de l’offre ! Une baisse de 20% de l’offre en deux ans, si ce n’est pas un choc de dingue !
Ce n’est pas comme si les gouvernements Macron, et le président lui-même, n’étaient pas au courant. Dès juin 2019 au moins, dûment rapportée à l’époque par Le Figaro* et Le Monde**, la chute drastique du nombre de logements en chantier et construits était avérée. Le Monde a d’ailleurs, pour les mal entendants, mis les points sur les i avec une longue analyse publiée le 22 septembre 2020 ***. Quelle aurait été l’ampleur de cette diminution « historique » en 2020 ? Et en 2021 ? Le nombre de logements neufs construits diminués par deux ? Certainement que la COVID aura bon dos !
La crise du logement, quelle crise ? Une crise de la politique surtout. Il est en effet permis de penser que la stratégie d’Emmanuel Macron dans le domaine du logement – donner la clef du camion aux promoteurs et aux entreprises, « plus vite et moins cher », souvenez-vous – non seulement signe la défaite du politique face aux intérêts particuliers mais son coût économique, social et environnemental va se faire sentir encore longtemps.
Voyons. Il est de notoriété publique désormais que le gouvernement a pillé les bailleurs sociaux – à hauteur de 7Md€ entre 2017 et 2022*** – les privant de leurs capacités d’investissement. En effet, le raisonnement d’un bébé Bush est simple : si les bailleurs sociaux ne peuvent plus investir, ou moins, la nature ayant horreur du vide, le privé va compenser – plus vite, moins cher – et roule ma poule.
Et voilà qu’après le hold-up, le même de nous expliquer lors de son discours « sur les séparatismes » du 2 octobre 2020, « qu’au cours de l’automne » un texte doit porter une « réforme profonde de notre organisation en matière de logement, en particulier de logement social ». Logement social ??? Il faudra au moins dix ans, dans le meilleur des cas, pour que les bailleurs sociaux rétablissent leurs capacités d’investissement telles qu’elles étaient en 2017, car ce n’est pas comme si l’Etat, constatant s’être trompé, allait leur rendre les milliards passés par pertes et profits d’un budget de toute façon en déficit. La loi ELAN n’était pas assez profonde comme réforme ? Il vient d’avoir une idée le président ?
Tiens les 5€ sur les APL, c’était déjà une autre bonne idée pour dépouiller les bailleurs sociaux. Et, dès janvier 2020, c’est la contemporanéisation des APL votée dans la loi de finances pour 2019 qui prendra effet. Contemporanéisation ? Un néologisme imprononçable qui signifie en langage de fonctionnaire que le versement se fera « en temps réel », c’est-à-dire que leur montant sera révisé tous les trois mois, « afin d’être au plus près des revenus ». C’est sûr que l’intérimaire qui tombe, enfin, sur une belle mission de trois ou quatre mois touchera presque immédiatement moins d’APL mais s’il se retrouve sans mission les six mois suivants, bonjour les dossiers interminables. Jusqu’au découragement ? Trop de social contemponanéisé tue le social !
Noter encore dans ce discours sur les séparatismes le parallèle que fait le président entre crise du logement et « les quartiers ». Mais la crise du logement est ailleurs, notamment dans l’impossibilité des agents des services publics de se loger correctement près de leur lieu de travail. Pourquoi les hôpitaux, puisque crise sanitaire il y a, ont-ils tant de mal à recruter ? Parce que quand le salaire des fonctionnaires de Catégorie C ou B ne couvrent même pas le loyer d’un logement dans le parc privé des grandes villes, sans même parler de Paris, et que le parc public est livré, faute de capacité d’investissement justement, à la déshérence, cela devient compliqué de se dévouer au service de la nation.
Se souvenir enfin que le même, lors de son allocution le 29 juin 2020 devant les 150 conventionnels de la Convention sur le climat, indiquait déjà vouloir s’appuyer sur le dispositif « Action Cœur de ville » qui « vise à redonner vie aux villes moyennes, aux places de villages en rénovant les logements, souvent les commerces ». Or Cœur de ville ne fonctionne pas non plus****. Ne parlons même pas de la rénovation énergétique*****.
Maintenant que les statistiques sont si mauvaises et que cela commence à se voir – même le logement individuel semble en panne – le président annonce donc, dans le même discours sur les séparatismes, « une grande loi sur le logement avec une refonte de l’ANRU ». A deux ans de la fin du quinquennat, voilà qui ne mange pas de pain. Emmanuel Macron peut aujourd’hui passer de la pommade sur le dos de Jean-Louis Borloo, lequel lui a pourtant remis son rapport en… 2018, avant même que Le Figaro et Le Monde ne tirent la sonnette d’alarme. De fait, pour la loi ELAN, personne ne lui a demandé son avis à Jean-Louis. D’ailleurs, l’ambition du président est toute mesurée puisqu’il annonce la création de « 300 maisons France Service supplémentaires qui ouvriront dans les prochaines semaines ». Trois cents ! Un observateur étranger qui viendrait en France tous les six mois en perdrait son persan. Trop de discours tuent le discours !
La réalité est que, comme les énarques, les promoteurs manquent d’imagination. Très bien, ils sont aux manettes, que font-ils ? La seule chose qu’ils connaissent : les premiers, ne sachant rien d’une politique, administrent la France comme des patrons de stations-services, les seconds, ayant tout compris de la politique, rentabilisent sans état d’âme jusqu’au dernier m². Ah oui, les séparatismes !
Moins de logements construits qu’avant donc, les chiffres sont cruels. En l’occurrence, l’administrateur en chef de la France aurait donc fait une erreur de jugement ? D’autant plus que ce n’est pas comme si le libéralisme professé par le professeur Macron, qui n’est pas lui un Amish né de la dernière 5G, avait fait la démonstration de son efficacité. Cinquante ans de recul devraient pourtant donner à réfléchir aux esprits brillants.
Et ce n’est pas comme si la population de la France allait diminuer, au contraire, et la Covid n’y changera rien. Entre la pression de plus en plus prégnante des réfugiés économiques, celle des réfugiés climatiques du monde entier, y compris les nôtres, les futurs réfugiés politiques américains après la réélection contestée de Donald Trump, etc., ce n’est vraiment pas le moment, à l’aune d’une politique datée de Mathusalem, de construire moins de logements qu’on ne faisait il y a deux ans à peine.
Enfin, chacun sait que le logement n’est pas une question de conjoncture mais un projet politique en soi. Ce gouvernement et ce président feraient bien de ne plus en déléguer la conduite à des promoteurs et des gérants d’enseigne de bricolage, au risque sinon que la France bientôt ne construise plus rien du tout
Christophe Leray
PS. Au rayon bonne nouvelle, le 6 octobre 2020, juste avant publication, cette information officielle : Pierre-René Lemas, ex-secrétaire général de l’Élysée et directeur général de la Caisse des dépôts, qui pilote aujourd’hui le groupe de réflexion lancé en octobre dernier par l’exécutif pour « faire émerger de nouveaux modes de faire entre maîtres d’ouvrage et architectes », « espère » remettre son rapport sur la qualité du logement d’ici à la fin octobre 2020. Au menu, a-t-il expliqué mardi 6 octobre lors de la présentation de la quatrième édition du baromètre Qualitel-Ipsos : des solutions concrètes partant des « priorités réelles » des habitants dans leur environnement, et sans, promet-il, de proposition d’économies.
* Le Figaro (28/08/2019) La France n’a jamais aussi peu construit de logements depuis 3 ans
** Le Monde (29/06/2019) La construction de logements neufs en berne
*** Le Monde (22/09/2020) Logement : le « choc de l’offre » promis par le candidat Macron n’a pas eu lieu
****Lire notre article Le dispositif « Action Coeur de Ville » à bout de souffle ?
***** Lire notre article Rénovateurs énergétiques : Roselyne et Jean sont dans un vaisseau