
Le 27 juin 2025 fut lancé, pour l’histoire, le concours international d’architecture pour la « création de nouveaux accès et espaces au sein du musée du Louvre et l’aménagement de ses abords » – PROJET GRANDE COLONNADE, pour être sûr ! La nouvelle a fait le tour du monde.
Principal enseignement de l’appel d’offres, la part de l’enveloppe financière prévisionnelle affectée à ces travaux est estimée précisément à 135 685 000,00 €HT, valeur avril 2025 décomposée en 132 000 000,00 €HT pour le périmètre Louvre et 3 685 000,00 € HT pour le périmètre ville de Paris.
Seulement 135 M€HT ? Pour un projet souterrain d’une complexité littéralement historique ? D’autant que, attention, cette somme inclut « tous les travaux nécessaires à la réalisation du projet et de la scénographie (scénographie d’exposition et espace polyvalent événementiel), hors taux de tolérance, et inclut tous les travaux et aménagements extérieurs nécessaires à la réalisation du projet ainsi que le mobilier » ! Le jardin biodivers dans la douve y compris donc !
De deux choses l’une. Soit, d’une part, nous sommes dans l’organisation typiquement française d’un grand concours public, avec un budget manifestement sous-évalué, comme le fut celui de la Philharmonie qui devait ne coûter que 199 M€ et fut finalement facturé plus du double ! Les exemples sous forme d’écrans de fumée de cette gestion aussi française que hasardeuse des grands projets ne manquent pas !
D’ailleurs, pour la maîtrise d’œuvre, nulle crainte à avoir à ce sujet puisque le concours précise que, « en application de l’article L. 2421-4 2° du code de la commande publique relatif aux opérations de construction neuve portant sur des ouvrages complexes, l’élaboration du programme et la fixation de l’enveloppe financière pourront se poursuivre pendant les études d’avant-projet. En outre, le maître d’ouvrage a également fixé une clause de réexamen définie à l’article 10.1.3 du Cahier des Clauses Administratives particulières (CCAP) au sens des dispositions de l’article R. 2194-1 du code de la Commande publique ». Bref, en attendant la revoyure, ces 135 M€ sont, au mieux, un calcul au doigt mouillé, au pire un calcul cynique pour ne pas effrayer le bon peuple déjà fiscalement essoré.
Autrement dit, si ce projet est annoncé à 135 M€, c’est qu’il en coûtera 400. Les contribuables apprécieront la vérité alternative ayant cours au Palais !
Ou alors, d’autre part, l’État en état de crise budgétaire est pour une fois sérieux dans ses assertions et propose en effet une nouvelle entrée du Louvre parfaitement bon marché, à 135 boules tout compris avec des mineurs polonais triés sur le volet et les matériaux en circuit court de chez Point P ! La classe ! En ce cas, il faut bien rendre grâce à l’esprit de responsabilité financière d’un maître d’ouvrage enfin frugal !
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Puisqu’il est question de budget, l’alternative beaucoup moins onéreuse d’une nouvelle entrée ouest pour le Louvre a d’évidence échappée au programmiste aussi bien intentionné qu’en cour qui a su d’emblée fermer le champ des hypothèses. Je n’y reviendrai pas plus ici (lire l’édito Entrée ouest du Louvre – Un contre-projet impératif) sinon pour indiquer qu’il suffisait, même au dernier moment – notre édito est paru trois jours avant la publication du concours – de conserver l’intitulé du concours « Concours international d’architecture pour la création de nouveaux accès et espaces au sein du musée du Louvre et l’aménagement de ses abords – PROJET LOUVRE – GRANDE COLONNADE » mais en enlevant les deux derniers mots. Là tout devenait possible et parfaitement captivant pour le monde entier. Imaginez, un concours ouvert, des fonctionnaires devant, sans autre intelligence que la leur, s’y retrouver parmi mille projets anonymes et prendre des décisions utiles…
J’ajouterai encore à ce sujet, que le projet d’une entrée ouest ne concerne que l’État alors que du côté Grande Colonnade, la Ville de Paris est impliquée. Certes, il est précisé dans le concours que « pour l’aménagement des espaces de la Ville de Paris, l’Établissement Public du Musée du Louvre (EPML) sera maître d’ouvrage unique temporaire en vertu d’une convention de transfert de maîtrise d’ouvrage (MOA) conclue en application de l’article L. 2422-12 du code de la commande publique. Par une délibération 2025 SG 15 en date du 6 juin 2025, le Conseil de Paris a validé le principe de ce transfert de maîtrise d’ouvrage de la Ville de Paris au bénéfice de l’EPML ». Cochon qui s’en dédit ! Nous verrons bien quand les difficultés, les polémiques et les coûts s’accumuleront.
Au fait, quand ils auront réglé le problème du Parc des Princes, autre monument parisien, qu’en pensent tous les prétendants mâles et femelles à la Mairie de Paris de cette nouvelle entrée du Louvre ? Alors même qu’ils connaissent dorénavant l’alternative, sinon plus prestigieuse au moins beaucoup moins onéreuse pour les finances publiques exsangues, c’est un sujet, non ? Ils sont pour ? Contre ? Sans opinion ? Qu’en pensent d’ailleurs les Parisiens ? Je n’ai pas ouï dire d’une quelconque enquête publique à ce sujet mais peut-être suis-je sourd.
Enfin, pour clore le chapitre d’une nouvelle entrée ouest au Louvre, sachez que les résultats de notre sondage indiquent que 70 % des votants ont estimé que ce projet était, sinon LA solution, à tout le moins une bonne idée ! Convenons que ce n’est habituellement pas Madame Michu, poissonnière rue d’Auteuil à Paris, qui vient voter sur Chroniques d’architecture… Apparemment 30 % de non sachants pensent encore que le projet GRANDE COLONNADE est adéquat.
Qui plus est, au vu de l’état des finances du pays, un quelconque entêtement vers du nouveau à l’est du Louvre ouvrirait la porte à tous les recours malveillants possibles. Il suffirait d’une pétition et d’une commission parlementaire had hoc, ou la Cour des comptes en amont plutôt qu’en aval pour une fois, pour lancer, dans les fossés du quadrilatère Sully, un imbroglio juridique dont le pays a le secret. Retards à désespérer un EPR, surcoûts à défier l’incompétence administrative, qualité de réalisation à l’emporte-pièce… scénario connu !
Mais bon. Les pouvoirs en place, sauf à découvrir bientôt un président du jury audacieux, ont fait valoir leur décision. Dont acte !
Pourquoi en ce cas, pour ce projet mondialement prodigieux, les mêmes se montrent-ils si timorés ? Quoi , un concours restreint ? Qu’est-ce que cela signifie ? En vertu de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 [abrogée] « une procédure est restreinte lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice invite un certain nombre de candidats choisis sur la base de critères objectifs et non discriminatoires à participer à la procédure ». Autrement dit, l’entité adjudicatrice choisit qui elle veut en fonction de ses propres critères forcément objectifs et, évidemment, non discriminatoires. Par exemple : avez-vous déjà construit une nouvelle entrée au Louvre dans les trois derniers mois ?
Quitte à se retrouver avec le fait du prince, pourquoi la sauce molle ? Y a-t-il un chef dans l’avion ? Pourquoi ne pas tout simplement, à l’issue d’un séminaire savant au ministère de la Culture, se mettre d’accord d’avance sur le nom des cinq prétendants souhaités par l’Elysée et l’annoncer au public ? Le public, économisant temps et argent, serait ravi d’assister en direct à la compétition et à l’évolution des projets, jusqu’au choix final, et aurait ainsi l’impression, au-delà de la gabegie institutionnelle, d’être concerné par le devenir de son musée symbole de lumières dans le monde entier, lequel s’attache dernièrement, y compris ici en France, à les éteindre !
De fait, les premiers échos de ce concours restreint indiquent que les pouvoirs en place ont eu cette idée formidable d’associer en Duo agences étrangères et agences françaises. Devinez laquelle est mandataire ! Des duos comme les tours de Jean Nouvel à Paris, de guingois, tant chacun sait que les mariages forcés deviennent vite coûteux en acrimonie ?
Comment le savons-nous ? C’est facile ! Elles furent heureusement surprises les agences françaises d’un peu de tenue du coup de fil de telle agence internationale pour faire équipe sur ce concours, même les stars mondiales ayant besoin de petites mains locales qui parlent la langue vernaculaire. D’autres agences, pourtant notables, furent malheureusement surprises de n’être pas attendues puisque l’élite des bureaux d’études (B.E.) français, ayant analysé le marché, mise sur un « grand nom » étranger. Celles-là ne sont donc pas attendues ?
Ou faut-il – ce ne serait pas le moindre des paradoxes – pour une agence française pour cette compétition aller chercher des B.E. étrangers pour faire duet ?
Concours restreint et serré comme un corset donc. Ce n’est pas comme si au ministère de la Culture, à l’issue d’un séminaire savant, personne n’avait de préférence à soumettre au prince, qu’elle soit architecturale ou politique ! Ce qui serait intéressant, il faut l’admettre, est que dans le duo ainsi composé, ce soit l‘agence française qui soit par principe mandataire, et que l’agence connue internationalement se cogne le chantier à la française, avec toutes ses injonctions de matériaux de récup et biosourcés, de pourcentage en bois et en terre, et de contraintes patrimoniales et le PLU bioclimatique de la ville de Paris et la main-d’œuvre mal payée et peu concernée… Nous verrions bien alors comment elle s’en sort l’agence exogène ! Cela ne vaut pas bien sûr pour Renzo Piano qui parle français et a son agence dans le Marais et aussi bien, pas loin, Beaubourg et une maison des avocats. Mais bon, il a déjà gagné l’hôpital nord…
Toujours est-il qu’apparemment, grâce à ses élites empressées, la France si elle ne rayonne plus, au moins se fait rayonner ; en l’occurrence, pour ce qui concerne le Louvre, par-derrière plutôt que par-devant ! Et pas qu’à prix coûtant, d’évidence ! D’ailleurs, que les pouvoirs en place ne s’émeuvent pas, à moins de 500 M€ le ticket, nombre de grands noms de l’architecture mondiale ne décrochent pas le téléphone. Certes, Daniel Libeskind est moins cher.
Heureusement, il ne s’agit là certainement que de rumeurs mal intentionnées. En effet, l’idée même que les pouvoirs en place ne réservent pas à des agences françaises l’exclusivité de ce concours qui plonge au cœur même de l’histoire du pays pourrait apparaître en soi comme une forfaiture, sinon une trahison. Pire, une abdication ! Rien à craindre donc…
Ou alors le Prince prend une grande respiration et choisit Léonard de Vinci sans autres simagrées ! Et ce qui est fait ne sera plus à faire…
Christophe Leray
* Lire l’édito Entrée ouest du Louvre – Un contre-projet impératif