Jeudi 14 octobre 2021, afin de lancer les journées nationales de l’architecture et de clore la consultation sur le thème Habiter demain, la ministre du Logement a annoncé sa volonté de rendre la densité « désirable », expliquant que la « maison individuelle avec jardin n’était plus soutenable ». De tweeter cependant quelques heures plus tard qu’« il n’est pas question d’en finir avec la maison individuelle ». Ce va-et-vient à propos de la maison individuelle montre la faiblesse de la réflexion sur l’aménagement du territoire.
Le cycle ouvert par la ministre du logement en février 2021, « Habiter demain », ambitionnait de poser les jalons de l’habitat d’ici 2030 : consultation menée auprès de 4 000 Français, des ateliers citoyens, six tables rondes réunissant des professionnel(le)s… Sans compter moult rapports : le rapport Girometti-Leclercq* sur l’habitabilité, rapport Rebsamen sur la construction de logement, mais aussi le rapport Lagleize sur la maîtrise du foncier, le rapport Lemas** sur la qualité du logement social, et le rapport Figeat sur la mobilisation du foncier privé. Tant de rapports, ça cale des étagères !
Pour compléter le tour d’horizon de l’ensemble de son œuvre, voire du quinquennat, la ministre d’énoncer pour clore les débats d’une part que la maison individuelle est « [un] non-sens écologique, économique et social », malgré le fait que 75% des Français en rêve, et d’autre part qu’il fallait rendre la densité « désirable », et à cette fin, parler désormais d’« intensité heureuse » liant habitat, activités et services. Fini la frugalité, bienvenue à l’intensité !
Pour cela, rien de mieux qu’un AMI, Appel à Manifestation d’Intérêt « Engagés pour la qualité du logement de demain », bref un « réinventer la densité » où les maîtres d’ouvrage – publics ou privés – associés à une collectivité sont invités avec ou sans architectes à candidater pour « constituer un vivier d’opérations représentatif de l’excellence française en matière de qualité́ architecturale et d’usage, au service de la production du logement de demain pour tous ». Bref, il faut en finir avec la maison individuelle mais sans le dire clairement.
Reste que dans ce nouveau paradigme, la ministre oublie que l’Etat a cessé de planifier, que les acteurs privés ont pris le dessus et que l’économie de la construction repose sur un BTP avare de ses deniers. Les groupes du BTP se portent bien et ce malgré la crise sanitaire. Certes, le nombre des permis de construire est en baisse mais la cherté du logement, ils savent l’entretenir au détriment de la qualité. Leur marge n’est jamais entamée tant que les Français sont incités à s’endetter sur 20, 25, ou 30 ans pour accéder à la sacro-sainte propriété.
Et quitte à devenir propriétaire, bah…, nos concitoyens investissent ce que la banque veut bien leur prêter, quitte à déclencher une crise que l’on nommera « des gilets jaunes » et qui n’était qu’une réplique de la crise du logement. Que le pavillonnaire soit désirable ou pas, c’est surtout et avant tout pour son propriétaire une question de moyens et pour l’Etat un défaut de planification utile à des taxes bien fournies.
Pourtant l’Etat a déjà été planificateur, cela s’appelait le ministère de l’Équipement. Il était associé parfois à l’aménagement du territoire, parfois au logement, parfois aux transports, parfois au tourisme. Dans les années 50-70, les immeubles et les barres ont fleuri. Dans un pays ruiné, il a fallu reconstruire et construire vite, parfois trop, et les grands ensembles marquent encore le paysage. Le logement collectif était alors valorisé tandis que les maisons et petits collectifs devenaient désuets voire insalubres. Dans les années 70, face à la remise en cause du collectif, la maison individuelle devient le nouveau modèle. Après tout, les terres agricoles sont rentables avec la modernisation à marche forcée de l’agriculture. Bétonner n’est pas encore un gros mot et les taxes rapportent aux collectivités.
Les crises énergétiques en cours et à venir ne semblent pas freiner le processus, ni être même liées à une remise en cause de cet idéal de la maison individuelle. La « maison crise » versus « la maison rêverie » (pour paraphraser Bachelard et la poétique de l’espace), rien ne semble remiser cette idée que la maison est une promesse de jours meilleurs, de bonheur, de réussite, et la ministre de participer à cette rêverie de la maison « promesse de confort, d’espace et de tranquillité ».
Quand l’avenir ne tient pas ses promesses, que rien n’invite aux jours meilleurs, la maison reste un idéal (individuel) à atteindre, et peut-être le seul encore accessible, quitte à s’éloigner, loin, très loin et que les ménages soient rattrapés par les prix de l’essence, et que « les lotissements en périphérie des villes ne permettent pas toujours d’accéder à ces services et contribuent à un sentiment d’exclusion », et qu’étrangement, le week-end suivant l’allocution d’Emmanuelle Wargon, des ronds-points ont de nouveau été occupés face à la flambée des prix du pétrole. Habiter loin ce n’est pas « habiter demain », il va falloir un jour l’affirmer et contraindre, quitte à froisser la Fédération française des constructeurs de maisons individuelles.
Quand le travail s’éloigne, que les transports en commun n’existent plus ou pas, que le gouvernement réfléchit à un « chèque essence », Wargon Emmanuelle fait du « en même temps » sur la maison individuelle.
Par ailleurs, les nouveaux accédants sont moins bien lotis que les anciens. Les dépenses sont en hausse tandis que les revenus n’augmentent pas. Le logement et les dépenses précontraintes pèsent plus sur les nouveaux entrants, s’éloigner sera encore plus tentant à l’avenir, ce qu’il va falloir conjuguer avec l’urgence climatique. Alors plus que le ‘logement objet’, c’est ‘l’aménagement du territoire sujet’ qui doit être revu en profondeur.
Hélas, il est cependant tout à fait certain que l’habitat ne sera pas au centre de la campagne présidentielle tant le sujet est complexe et ne peut se résoudre à coups de petites phrases entre ennemis. D’ailleurs, la ministre aurait été bien inspirée d’appeler les candidats déclarés à se positionner sur ce sujet de l’habitat plutôt que de se laisser enfermer dans une gageure de professionnels.
Julie Arnault
*Voir notre article Rapport Leclercq – Girometti : le baromètre qui donne le temps d’hier
** Voir notre article Le logement social au rapport : caillou ou pavé dans la mare ?