Quand avez-vous pour la première fois… ? En tout cas, chacun s’en souvient toujours. Ici une auteure de Chroniques découvre le Pavillon Mies de Barcelone, petit et caché, bijou d’architecture moderne reconstitué en 1986. « C’est une des œuvres qui m’a le plus marquée dans mes déambulations architecturales », dit-elle. C’était il y a plus de 15 ans, elle était étudiante en histoire de l’art.
Le bas de la colline de Montjuic et de la place d’Espagne de Barcelone sont des reliquats de l’exposition internationale de Barcelone de 1929. De part et d’autre de l’avenue s’élèvent les pavillons du Centre des congrès remodelé. Les quatre colonnes symbolisant le drapeau catalan ont été reconstruites en 2010 à l’entrée de l’ensemble monumental constitué de fontaines magiques (un spectacle son et lumière y est offert tous les soirs à la tombée de la nuit) et des jardins arides de la capitale catalane.
Peu après les fontaines, en prenant à droite, l’avenue Francesc Ferrer i Guàrdia mène à la reconstitution offerte pour l’exposition universelle du Pueblo Español, cartons-pâtes des architectures régionales traditionnelles. En face de l’ancienne usine moderniste de Puig i Cadafalch, aujourd’hui espace d’exposition de la fondation de la Caixa, se trouve un petit pavillon timide, à peine perceptible à l’ombre de l’imposant Palais national de Monjuic qui abrite le très beau musée national d’art de Catalogne (MNAC)*, bâti dans le style renaissance espagnol pour l’exposition internationale.
Mies van der Rohe a été chargé de concevoir un pavillon de réception du gouvernement pour l’exposition de 1929, il réalise ce qui deviendra un des mythes de l’architecture du mouvement moderne. Un pavillon qui fut détruit en 1930 mais qui marqua l’époque et força l’admiration des jeunes architectes modernes espagnols qui font l’éloge de ce modeste pavillon face « au style pâtissier »** du Palais national.
En 1980, l’architecte Oriol Bohigas devient conseiller municipal en charge de l’urbanisme. Il demande alors la reconstruction du pavillon de Mies. L’homme est obstiné. En 1959, il avait déjà publiquement demandé la reconstruction et il avait même obtenu l’autorisation de Mies. En 1981, il est enfin temps de reconstruire le pavillon allemand. Ignaci de Solà-Morales, Cristian Cirici, et Fernando Ramos seront en charge du projet, qui sera inauguré pour le centenaire de la naissance de Mies van der Rohe en 1986.
Pour la foule qui descend depuis le MNAC, le pavillon est excentré. L’accès se fait par une volée d’une dizaine de marche qui permet d’atteindre l’esplanade de travertin et son bassin occupant les trois-quarts de l’espace, lui-même clôt par un mur de travertin également. Arriver dans ce lieu ceint mais ouvert, c’est déjà quitter la ville. Il faut traverser cette esplanade pour aller acheter son billet dans l’espace qui sert également de librairie. Une fois le sésame en poche, il faut traverser de nouveau l’esplanade dans l’autre sens, et revoir le bassin qui s’ouvre sur la ville en contrebas, pour que la véritable visite commence.
L’ensemble est petit, 50m sur 20m environ. En traversant l’esplanade vers les salles de réception, il est difficile d’en percevoir les espaces. Il faut suivre le mur d’onyx. Le toit est soutenu par huit piliers cruciformes en acier répartis de part et d’autre d’une fine paroi d’onyx et d’une paroi vitrée qui, ne portant rien, ouvre l’espace plus qu’il ne le ferme.
Ces parois obligent à la déambulation, elles mènent vers un bassin de marbre vert complément fermé à la ville et qui n’offre rien d’autre que le reflet du soleil et la tranquillité et le calme nécessaires à la contemplation de la sculpture de femme nue de Georg Kolbe, laquelle semble vouloir se cacher du soleil. L’espace fermé du bassin est le contrepoint des salles de réception ouvertes jusqu’au mur de travertin. En admirant le bassin, l’espace se referme mais sans sensation d’étroitesse, l’eau ajoute à l’infini en reflétant le ciel.
Depuis le bassin en se retournant, un mur de verre souligné d’aluminium ouvre vers l’espace de réception dans une sensation d’amplitude qui s’étire jusqu’à l’entrée. C’est une confrontation sensorielle qui se joue. L’espace est à la fois clos et à la fois ouvert. Le travertin, l’onyx, le marbre et le verre dans une composition géométrique rigide offrent une fluidité de l’espace, le sentiment d’un lieu léger et vaste. Les lignes de fuite par le contraste entre les parois de matériaux nobles et le verre dilatent l’ensemble.
Parcourir la salle de réception est se laisser happer par la sensation d’espace, il faut pourtant déjà de sortir. Reprendre le chemin du mur d’onyx pour repartir, revoir d’un autre œil la lumière et le soleil tomber sur le travertin et le bassin de l’entrée. C’est comme entrer à l’extérieur.
Remettre les pieds sur l’esplanade est retrouver la ville en contrebas, ne pas être sûre de vouloir y redescendre, rester un peu encore sur les bancs fixés dans le travertin pour se donner le courage de retrouver le brouhaha quotidien.
Visiter le pavillon de Mies van der Rohe est comprendre que l’espace n’est pas une question de dimension mais de conception et de matériaux. Mies a conçu une machine implacable, un lieu permettant de saisir l’espace. Inoubliable.
Julie Arnault