Le BIM a renouvelé le débat quant à la professionnalisation ou non des écoles d’architecture. En effet, le BIM, si nouveau pourtant à l’échelle de l’histoire de l’art savant, s’invite déjà dans la pédagogie. Il y a d’un côté le discours de ceux qui estiment que la formation des architectes doit être plus technique. De l’autre ceux qui estiment qu’il y a de la place pour l’artisan architecte généraliste et que l’école doit d’abord proposer une pensée. Un débat qui ose une question : BIM ou pas BIM à l’école ? Et qu’est-ce que cela signifie pour les agences d’architecture que la question soit posée ?
Les tenants de l’architecte-technicien en veulent pour preuve la capacité des agences anglo-saxonnes, évidemment mieux structurées – c’est la City coco -, à s’accaparer des marchés dans le monde entier. Une capacité qui force l’admiration et heurte l’ego des Français qui, à l’instar des majors du bâtiment, se rêvent en champions du monde.
En France, le discours politique actuel, chômage oblige, est le suivant : il faut pouvoir travailler en sortant de l’école. Du coup, le risque est grand que, sous la pression du marché, les écoles s’adaptent aux entreprises et deviennent des écoles professionnalisantes. Qui plus est, le risque est grand que ces étudiants trop techniques ne soient à leur tour dépassés dans dix ans par les nouvelles nouvelles technologies et nouveaux besoins du marché. Voyons, pour cet étudiant en 2016, le BIM c’est l’avenir, il mise tout et se forme à donf. En 2026, il a dix ans d’expérience. En 2016, ils sont où les experts en disquettes des années 2000 ?
D’un autre côté, il y a donc le discours de ceux qui estiment que l’école doit former une pensée et non des gens qui vont répondre aux exigences du patron. Ceux-là ont l’histoire pour eux et considèrent que le BIM, puisqu’il en est question, n’est rien d’autre qu’un autre outil de l’architecte et non la condition sine qua non d’un projet. De fait, il y a des architectes qui ne peuvent se passer de la maquette, d’autres qui se projettent très bien dans les univers 3D, d’autres qui dessinent au fusain, d’autres qui écrivent. Chacun, et pas seulement les architectes, travaille donc en toute légitimité avec ses propres outils, qui sont généralement bien entendu ceux de son temps. Si la machine à écrire s’est imposée aux écrivains, ce n’est pas parce qu’elle fut rendue obligatoire.
Sauf que le BIM est désormais peu ou prou devenu une obligation et doit bientôt s’imposer à tous.
C’est cette obligation qui suscite un nouveau débat dans les écoles. En effet, puisque le gouvernement a décrété le BIM obligatoire, comme une norme PMR par exemple, n’est-ce pas le rôle de l’école, dont le président est nommé en conseil des ministres, de préparer les étudiants à cette nouvelle réalité ? Personne ne tolérerait que l’éducation aux normes handicapées ne fasse pas partie du cursus de l’étudiant architecte. Le BIM, une autre sorte de norme à mobilité réduite ?
Ce qui pose problème n’est pas le BIM en tant qu’outil que les architectes ont tout loisir d’utiliser – qui se souvient que les logements de Béthune de Frédéric Borel, livrés il y a plus de cinq ans, furent réalisés en BIM ? L’expérience, aux frais de l’entreprise, fut une réussite sans que Frédéric Borel ait eu besoin de révolutionner les méthodes de son agence. Pourquoi diable le gouvernement a-t-il pris sur lui quelques années plus tard d’en imposer par voie réglementaire l’usage à toutes les agences d’architecture ? Ha oui, en 2014, le Conseil national de l’ordre des architectes (CNOA), indiquait que «c’est à cette condition [la maquette numérique et le BIM] que le plan du gouvernement ‘Objectif 500 000’ pourra être atteint». Si le CNOA le dit…
Au fait, cela vaut-il aussi pour les îles ? Nouvelle-Calédonie ? Mayotte ? Saint-Barthélemy ? Tous égaux devant le BIM ?
Face à la domination, du moins perçue comme telle, des agences anglo-saxonnes, le gouvernement français croit donc utile de changer les règles actuelles d’attribution des marchés avec l’introduction du BIM obligatoire dans l’espoir de créer des agences françaises plus aptes à résister. Son raisonnement est le suivant ; le BIM implique d’une part a minima un renouvellement du parc informatique de l’agence, ce qui soit-dit en passant, doit être bon pour l’emploi quelque part – multipliez par le nombre d’agences d’architecture en France, faites le calcul, sans oublier le nouveau serveur. En fait, le BIM ne serait-il pas d’abord un marché fructueux ? Ce débat vaut d’ailleurs également pour l’éducation nationale qui fait des deals avec Microsoft.
Surtout, d’autre part, il permet à bon compte un écrémage des agences artisanales et des artisans tout court qui n’ont ni les moyens d’investir ni le désir de changer d’outils. Cela fait 20 ans qu’ils livrent sans souci des bâtiments de bonne facture avec les outils qu’ils préfèrent. Pourquoi devraient-ils en changer ?
Ha mais le BIM concourt au regroupement d’agences afin, c’est le sens de cette politique, de constituer des groupes suffisamment forts pour résister aux féroces Anglo-Saxons. En réalité, ces agences de nouvelle génération, si elles restent de taille moyenne pour la plupart, n’en ont pas moins atteint une taille critique suffisante non pour vaincre les armadas bardées de dollars mais pour exercer une nouvelle prédation sur le savoir-faire des petites sociétés d’architecture autour d’elles. A la fin du Monopoly, il n’y a jamais qu’un vainqueur. Un champion du monde. CQFD.
Idem pour les entreprises. Le même écrémage pour l’artisan plombier. Vous savez, comme dirait Martine, ces maires qui insistent pour que les entreprises locales puissent participer au chantier, parce que quand même c’est un gros investissement cette piscine pour la commune, et que les entreprises locales, pour un chantier de cette taille, ne sont pas mauvaises. Là, désormais, si l’artisan plombier local n’est pas BIM, il n’aura plus ce chantier et le maître d’ouvrage devra faire venir de loin des entreprises spécialisées. C’est marrant, mais on admire Wang Shu qui en Chine récupère les matériaux issus des destructions urbaines ou ces architectes français qui, à l’instar de Francis Kéré, construisent en Afrique en faisant travailler la brique par la population locale, et tout le monde d’applaudir.
Mais ici en France, on élimine d’un décret la capacité de nombre d’indépendants d’exercer la maîtrise d’oeuvre. Cauchemar ? A peine. Aujourd’hui, pour être retenu sur 20 logements ou un gymnase, il faut être BIM. Si ce n’est aujourd’hui, demain. C’est marrant, j’en connais plein des architectes qui sans le BIM ont construit et construisent encore des logements sociaux, des gymnases, des équipements, avec de petites agences indépendantes, souvent artisanales, souvent engagées pour une architecture vivante.
Que l’âge ne soit plus aux disquettes, ils en conviennent. Mais quel est l’intérêt d’imposer un outil en particulier, au point que, dans nombre de cas, la maîtrise d’ouvrage ne sait même plus trop ce qu’est le BIM mais puisque c’est à la mode : «allez vas-y coco, mets le BIM dans les critères, ça ne mange pas de pain» ? Haro sur les architectes et artisans sous-équipés. C’est la modernité, le progrès coco !
Une fois encore, l’intention n’est pas de remettre ici en cause l’intérêt du BIM. Les maîtres d’ouvrage et les majors s’extasient d’ailleurs et expliquent à quel point cela va faciliter leur travail pour la construction et la maintenance. Si le BIM est dans leur intérêt, tant mieux pour eux, rien ne les empêche d’investir et de former leurs équipes, les architectes, quel que soit l’outil qu’ils utilisent, seront toujours prêts à leur livrer les plans. Et que des architectes s’approprient le BIM et fassent avancer la recherche et la construction, tant mieux.
Mais imposer le BIM comme une obligation est aller à l’encontre même de la capacité de réflexion de l’architecte. Nulle loi n’a imposé la disquette dans les agences. Toutes, les petites et les grandes, évoluent avec leur temps. Une agence fondée il y a vingt ans aura donc vu passer le magnétoscope, le beeper, le dvd, Internet, le smartphone, la 3D, la 4G, l’hologramme et Star Wars qui n’en finit jamais. Pas besoin de loi ou de de décret.
C’est comme la dématérialisation des documents, elle aussi est désormais obligatoire. Ah bon, parce que la vie est moins compliquée qu’avant, dans les rapports à l’administration par exemple ? Et si on n’est pas BIM, on peut quand même payer ses impôts ? Bref, pourquoi soudain cette obligation pour le BIM ? Souvenez-vous, ce médicament, le médiator, a eu toutes les autorisations nécessaires et plus si affinités.
Le BIM, c’est peut-être finalement la façon qu’a trouvée le gouvernement pour contrer le plombier polonais. Le BIM, il ne l’a quand même pas déjà le plombier polonais ? Si ? Là où d’aucuns voient en lui un cheval de Troie libéral, une espèce invasive en somme, le BIM est peut-être perçu par l’administration française comme un outil de protection, voire protectionniste ; souvenez-vous, ces méchantes agences anglo-saxonnes.
Chacun sait hélas que la loi ne pourra jamais suivre le rythme des technologies, c’était déjà le cas hier, ce sera encore le cas demain. Le voleur – le marché – aura toujours un coup d’avance sur la police, sinon il n’y aurait pas de voleur. Le danger des législations hâtives est qu’elles sont toujours en retard, sinon elles n’auraient pas besoin d’être hâtives. A l’échelle du temps des nouvelles technologies, imposer le BIM si rapidement à toutes les agences – on ne discute pas, il n’y a rien à voir – est décision hâtive, sinon inconsidérée.
Certes l’architecture est une profession réglementée, raison de plus pour laisser aux architectes le choix, sinon des armes, au moins de leurs outils.
Christophe Leray