La fondation Anticipations des Galeries Lafayette située en plein cœur du Marais (Paris IVe) a été inaugurée le 18 mars 2018. Si OMA / Rem Koolhaas en est le maître d’œuvre, il a pu compter sur le soutien de DATA, l’agence d’architecture française associée, laquelle est par ailleurs aussi coordinateur de la restructuration du patrimoine immobilier du groupe dans le quartier. Entretien.
Contexte
L’histoire commence en 2012 lorsqu’OMA choisit pour l’assister à Paris une jeune agence, DATA, tout juste fondée en 2010 par Léonard Lassagne et Colin Reynier. L’architecte néerlandais fut peut-être séduit par l’acronyme, DATA signifiant ‘Department of Advanced Typologies for Architecture’. Au moins se dit-il que ces architectes français devaient parler anglais.
A moins que ce ne soit pour l’acuité projectuelle de cette jeune agence qui s’est illustrée par des réalisations ambitieuses, bien que de taille réduite, comme l’insertion d’une structure cylindrique suspendue dans une petite maison de l’usine Sudac à Paris Rive Gauche ou la construction d’une déchetterie en briques de verres structurelles sous le périphérique Porte de Pantin.
Chroniques : La fondation Lafayette Anticipations a été inaugurée le 18 mars dernier. Vous êtes architectes associés. Comment a débuté votre collaboration avec OMA ?
DATA (Colin Reynier) : C’est l’histoire du stylo. Lorsque nous étions chez [Christian] Hauvette, nous avons travaillé avec un bureau d’études dont le fondateur a rencontré lors d’une conférence Ellen Van Loon, partner chez OMA. En échangeant leur contact, Ellen embarque son stylo. Puis, en affaires à Rotterdam, les deux se rencontrent à nouveau pour que l’ingénieur puisse récupérer son stylo favori.
Au même moment, OMA cherche une jeune agence parisienne pour travailler sur la fondation des Galeries Lafayette. Le bureau d’études nous recommande, alors même que l’agence venait à peine d’être fondée. Un vendredi, OMA nous appelle : «Nous aimerions vous rencontrer, lundi matin, 9h à Rotterdam. Etes-vous prêts ?», nous demande-on. Panique à bord !
Nous avons présenté trois projets lors de l’entretien, et nous nous sommes mis à travailler ensemble sans attendre. Pourquoi ils nous ont choisis ? Nous n’en avons aucune idée. Ils disent qu’ils ont rencontré plusieurs agences françaises mais nous n’en sommes pas certains. En tout cas, ce fut un pari de leur part, tout comme de la part de Citynove, foncière du groupe Galeries Lafayette. Je prends souvent l’exemple d’une pièce posée sur la tranche. Elle peut tomber d’un côté comme de l’autre. Pour nous, elle est tombée du bon côté, alors nous y sommes allés.
Comment s’est déroulée la conception du projet ?
OMA a utilisé plusieurs approches. La première était programmatique et consistait à dire : «vous êtes à côté du Centre Pompidou, en plein cœur du marais à proximité des grandes galeries d’arts, vous n’allez pas injecter un milliard dans votre fondation, alors comment allez vous exister dans le paysage mondial ultra-concurrentiel des fondations ?» C’est ainsi qu’a émergé l’idée de l’atelier de production. La fondation va accueillir des artistes qui vont produire des œuvres in situ et les diffuser dans les étages.
La deuxième stratégie fut de définir une cartographie des possibles. Que pourrait-on construire au 9 rue du Plâtre? Le résultat est avant tout celui d’un processus intellectuel et d’une multitude d’avant-projets. Le dernier projet, celui qui a été construit, est celui qui rassemble toutes ces idées autour de ce qui est essentiel. Finalement le bâti sera «une machine» pour mettre les œuvres en scène.
Vous évoquez une machine, non pas une architecture ?
Pour moi, il n’y a quasiment pas d’architecture. C’est une réhabilitation d’un bâtiment patrimonial dans lequel est insérée cette grande tour qui installe la question de la mobilité. Ce qui est vraiment fort est justement d’apporter la mobilité dans l’immobilité (le sens premier d’immobilier). Ce n’est pas rien d’amener de la mobilité dans un monde où tout est immobile.
Je me souviens d’une discussion durant laquelle il m’était demandé comment j’allais garantir la résistance d’une cheville pendant dix ans. Et bien, je ne la garantis pas. Tous les tests sont faits pour que les choses ne bougent pas. Quand tu passes de la partie immobile à la partie mobile, il y a une multitude de questions auxquelles il faut répondre, ne serait-ce que pour que chaque plancher se positionne à niveau alors que les hauteurs du bâtiment existant ne sont jamais les mêmes.
L’architecture ici n’est pas vraiment un élément. Certes les espaces sont dessinés mais la question des bâtiments proprement dits est extrêmement simple : c’est une structure qui tient des planchers mobiles. Il est d’ailleurs assez incroyable de voir combien ce bâtiment est changeant en fonction de la position des planchers. En caricaturant, c’est une forme de machine, qui se remodèle sans cesse.
C’est aussi le premier rouage d’une mécanique bien plus complexe, puisque le Groupe Lafayette ne s’arrête pas là. Qu’en est-il des futurs développements de ce projet ?
Le projet de Koolhaas est le point de départ ou d’arrivée d’un parcours culturel, commercial et, surtout, urbain, que Citynove développe dans le quartier du Marais. Il s’agit d’ouvrir des passages, des cours, de rendre public une partie de tous ces cœurs d’îlots qui sont bien souvent fermés et cachés. Aujourd’hui, il est possible de passer de la rue du Plâtre à la rue Sainte Croix de la Bretonnerie. Bientôt, en traversant les îlots, il sera possible de rejoindre jusqu’à la rue de Rivoli.
Ce qu’il est important de comprendre est la stratégie développée par Citynove envers son propre patrimoine immobilier. Posséder un ensemble bâti a permis de réfléchir à une autre échelle. Le maître d’ouvrage n’essaye pas de faire rentrer un programme dans une parcelle ou un existant mais réfléchit à l’usage qui peut en être fait dans le cadre de ses objectifs.
De la rue, les projets restent assez modestes et ne bouleversent pas le paysage parisien. Mais à l’intérieur des cours, le visiteur découvre tour à tour : une tour de planchers mobiles, assimilable à une scène mouvante ; une grande halle investie par la chaîne Eataly qui permettra de déjeuner sous la verrière ; des passages à l’air libre, certains minéraux, d’autres en bois, etc.
De plus, toutes ces cours proposent des ambiances totalement différentes. C’est une réécriture qui se fait discrètement, en sous-sol, en rez-de-chaussée, à R+1, voire R+2. En travaillant avec plusieurs architectes, le maître d’ouvrage a su éviter la monotonie du mono projet. Bien sûr il y a le BHV, mais ce projet des Galeries Lafayette, c’est un peu l’anti-Samaritaine.
Quel a été votre apport dans ce projet ?
Un projet comme celui de la Fondation est extrêmement risqué. Citynove a pris beaucoup de risques et a fait le choix de la complexité. De tels clients sont assez rares pour être signalés. De nombreuses fois, le projet aurait pu s’arrêter. Je crois que notre apport fut notre ténacité. Notre travail a été de faire en sorte que la réflexion initiale ne s’appauvrisse pas sous la pression des réglementations françaises et autres «ce n’est pas possible».
Pour ce qui est de la restructuration des îlots, nous avons accompagné Citynove pour comprendre ce qui était possible et comment cet ensemble pouvait être transformé. En tout cas, je retiens la citation de Koolhaas : «challenge versus confort». Il faut toujours être dans le challenge car c’est la seule façon d’avancer. Je crois que c’est pour cela que notre collaboration a bien fonctionné car nous avons su répondre à cette ambition.
Que retenez-vous de cette expérience ?
Quand tu es une jeune agence d’architecture, travailler sur un tel projet est assez incroyable. C’est le genre de programme auquel on ne peut avoir, en principe, accès que tardivement. En plus, avec une agence, OMA, qui considère que tout est toujours possible. Il n’y a pas de frein et quand on se prend une «claque», cela signifie seulement qu’il faut réfléchir encore pour aller plus loin. Ce projet peut être abordé sous l’angle de la contrainte, ce à quoi je réponds qu’il ne pouvait se faire qu’ici.
Une des questions qui nous ont été posées fut de savoir pourquoi on nous autoriserait, nous, à faire ce projet, ici. Je me souviens avoir répondu : «parce qu’ici, on peut le faire, parce qu’ici la surface mobile est modeste, parce qu’ici la configuration des bâtis est en U, parce qu’en termes de sécurité incendie, même s’il y a 49 configurations spatiales possibles, il n’y a pas besoin de plan d’évacuation».
Quand je suis au milieu des planchers mobiles, je vois tout de suite où sont les escaliers, et je peux sortir. Mais de nombreuses décisions ne tenaient qu’à un fil. De nombreuses fois, le projet aurait pu être stoppé. Economiquement, c’est plutôt une catastrophe pour nous mais tu ne peux pas regarder le projet de cette façon. Ce projet nous a apporté beaucoup et DATA a gagné en crédibilité.
Propos recueillis par Amélie Luquain