Journée ordinaire en mars 2016 dans les Hauts-de-Seine à Clamart, près de Paris. Alors que n’est pas encore déposé le permis de construire d’un lieu commun, une «mini-cité-jardin» d’une centaine de logements (70% privés et 30% sociaux) sur le terrain d’une ancienne piscine, les associations de riverains sont déjà vent debout contre le projet. La gazette locale s’en fait abondamment l’écho. «S’il le faut, on ira devant la justice», affirme, péremptoire, le collectif ad hoc opposé au projet. Vous avez dit recours ?
Peut-être une réaction de rejet face à une architecture trop contemporaine ? Pas du tout. De fait ce nouveau mini-quartier s’inspire abondamment de l’ambiance Disneyland du Plessis-Robinson voisin. Pourtant un riverain peste parce qu’il ne pourra plus voir la tour Eiffel, une autre qu’on ne pourra plus se garer, un troisième qu’on va «bétonner le village».* Deux réunions publiques n’y ont rien fait. Une lettre ouverte au maire est déjà signée par plus de soixante habitants mécontents. Si un architecte avec une ambition contemporaine avait gagné ce programme, ils déclenchaient la guerre ces riverains ? Et on n’en est pas encore au permis de construire…
La guerre, ça y ressemble déjà parfois et les recours sont des batailles souvent saignantes quand un simple changement de titre peut valoir trois mois minimum de délai, sans sursis. Tous les architectes et maîtres d’ouvrage ont vu la réalisation d’au moins un de leurs projets repoussé de quelques mois ou quelques années par un recours. Tous ! La pratique en est devenue si systématique qu’il est question désormais «d’assassinat économique» ce qui, considérant le total de ces délais et l’immobilisation de ces flux financiers à l’échelle du pays, doit certes finir par coûter quelque chose au PIB français.
Cela écrit, s’ils aboutissent au même résultat – des délais et encore des délais (souvent imputés aux architectes d’ailleurs) – ces recours doivent cependant être distingués les uns des autres. Ils sont en effet de plusieurs types.
Le classique, celui sans doute le plus connu, est le recours écolo. Souvenons-nous par exemple, l’autoroute entre Angers et Saumur et ce scarabée rare. Ou alors ces recours contre des permis de construire accordés à telle ou telle célébrité malgré les lois littoral et montagne. Se souvenir aussi des «ayatollahs verts» qui sous prétexte d’un ou deux sapins, empêchent la construction intra-muros de logements sociaux.** Toujours est-il que vu ce qu’ont fait les écolos français de l’écologie politique, le moindre de leur recours, même justifié, est désormais perçu sous le sceau du soupçon arriviste.
Puis il y a le recours bourgeois, en anglais le recours NIMBY, pas dans mon jardin. Il s’agit là de ces quartiers dans lesquels il s’avère quasi impossible de construire car les habitants, riches et vieillissants, ne veulent ni d’une école ou d’un bar – trop de bruit -, ni d’un hôpital psychiatrique – ils ont leurs handicapés mais les envoient ailleurs -, ni de logements sociaux, surtout de logements sociaux, ou d’un centre d’accueil pour femmes battues – ça fait baisser le prix du m² -, ni d’architecture contemporaine – idem -, ni rien surtout qui puisse troubler leur tranquille jouissance des lieux. Le 15 mars 2016, Le Monde nous apprend d’ailleurs que les habitants du huppé XVIe arrondissement de Paris s’indignent de la construction d’un centre d’hébergement pour les sans-abri dans leur quartier. Journée ordinaire à Paris.
Il y a également le recours rançon. Il s’agit là de margoulins ayant les ressources – temps, argent, réseau – pour mener une guérilla judiciaire face à des promoteurs puissants, lesquels pour gagner du temps finissent par négocier la levée des recours. Sur un projet à 20M€, lâcher 300 000 € pour gagner deux ans peut apparaître comme un détour obligé. Sauf qu’avec les maîtres-chanteurs, une fois la rançon payée, rien ne dit que cesseront les demandes. Il ne faut pas se tromper, malgré le costume trois-pièces, le CV à rallonge et la bonne mine, il s’agit bien là de requins financiers, pas de défenseurs de la veuve et de l’orphelin à cause de l’ombre portée par une tour triangle. Ceux-là, puisqu’ils sont spécialisés, ne peuvent pas être sous-estimés.
Il y a encore le recours de confort, qui concerne tout un chacun, et qui, comme l’indique l’article du Parisien cité plus haut, peut concerner la vue sur la tour Eiffel et un peu des autres catégories : le bruit, le logement social, les jeunes, les étrangers, l’architecture contemporaine. Bref les grincheux, ce que nous sommes tous un peu.
Il y a aussi le recours des maîtrises d’ouvrages publiques qui peuvent s’attaquer entre elles, les intérêts contradictoires entre la commune, l’agglo, le département, la région, l’Etat, l’Europe étant une source infinie de confusion et d’insécurité juridique. Sans parler des ABF ! Quel pays ! A noter à ce sujet que nul recours n’empêcha la mairie de La Faute-sur-Mer en Vendée de viabiliser et vendre des terrains qui étaient autant de pièges mortels. C’est marrant non, quand il y aurait eu besoin de recours, il n’y en a pas eu, comme ces permis de construire de telle ou telle célébrité dont l’illégalité n’est découverte qu’a postériori.
Il y a enfin le recours de l’architecte, celui qui, déjà auteur d’un bâtiment sur le site, ne veut pas voir son ouvrage déclassé par celui d’un confrère et demeure persuadé de son bon droit. «Quoi ? Comment ? Mais votre terre-plein détruit l’unité de ma composition !» Ces recours sont rares, sans doute, mais ils font la Une des gazettes et de la presse quotidienne régionale.
Quels qu’ils soient, ces recours ont fini par épuiser la patience des constructeurs qui tentent désormais de se prémunir soit par la consultation en amont – sans garantie, à Clamart deux réunions publiques n’ont pas apaisé les tensions mais il ne faut pas désespérer de la consultitude – soit par la menace en retour de procès à un million de dollars «pour procédure abusive ayant retardé et renchéri le projet». De quoi décourager Astérix et Obélix, espèrent-ils.
Sauf que si ces recours sont si nombreux, c’est parce que justement la loi le permet. De plus, quelles que soient in fine les motivations – politiques, vénales ou de classe – des requérants, nul ne peut blâmer un citoyen d’avoir recours à la loi que nous sommes tous censés connaître. En démocratie, le droit est une garantie. Comme le droit est du domaine du législateur, c’est donc à lui d’intervenir. C’est possible. En octobre 2011 par exemple, les députés allemands ont voté une loi fédérale qui asserte que le bruit d’une cour de récréation ne saurait être, en tout état de cause, considéré comme une nuisance. Par conséquent, les riverains acariâtres ne peuvent plus à ce titre exercer recours contre la construction d’une école sous leurs fenêtres. Pas de nuisance, pas de préjudice, pas de recours. CQFD. En Allemagne, voilà au moins un problème de réglé. Sauf qu’au fond, déclarer illégale toute nuisance, n’est-ce pas là un biais dangereux ?
En attendant, ici, à l’heure où le pays s’étripe pour ou contre une réforme d’un Code du travail centenaire, et considérant le nombre de pages des codes de toute sorte qui régissent notre vie, c’est visiblement trop demander aux législateurs que de réfléchir à un nouveau paradigme pour clarifier les règles du jeu. Ceux-là préfèrent plutôt se cacher derrière la jurisprudence. Les recours ont donc de beaux jours devant eux.
La démocratie permet normalement d’élire, sur leur programme, des édiles représentatifs de la majorité des votants. Le travail des élus est alors de prendre, en notre nom, des décisions. Sauf que quand ils le font désormais, fussent-ils de bonne foi et qualifiés (on peut rêver), fût-ce pour créer un pastiche de Disney, des riverains peuvent contester ces décisions au nom d’intérêts qui, le plus souvent, n’ont rien de démocratique et encore moins à voir avec l’intérêt général. Bref, de principes poussiéreux en principe de précaution, la démocratie est légalement dévoyée par l’intérêt partisan et particulier de quelques-uns. A ce tarif, le malade n’a pas finir d’agonir.
Qu’en pense d’ailleurs Audrey Azoulay, nouvelle ministre de la Culture et des Architectes, ancienne conseillère de François Hollande, lequel avait fait vœux de simplification, voire de normalitude comme dirait son ex ?
Christophe Leray
*Le Parisien (92) le 11 mars 2016 Mobilisation contre le projet de logements à la place de l’ancienne piscine du bois
**Voir à ce sujet notre article 107 logements sociaux à Paris qui n’ont rien à envier à personne