
Ethel Hazel, psychanalyste rue Labrouste à Paris, suit depuis cinq ans en thérapie l’architecte D. Elle a identifié chez ce tueur en série de blondes aux yeux bleus, comme elle, un syndrome inédit lié à son métier qu’elle entend être la première à décrire dans un article scientifique : le syndrome de la belle au bois dormant de l’architecte D, chaste polygame. (3/4)
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« Comme une journée bien remplie nous donne un bon sommeil, une vie bien vécue nous mène à une mort paisible ».
Léonard de Vinci
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Nota. L’intention de cet article est de décrire précisément un nouveau syndrome identifié au travers de la personnalité de D. l’architecte, un méticuleux, audacieux – et, disons-le, élégant – tueur en série. Ce texte est issu de séances plus ou moins espacées au fil de plusieurs saisons de thérapie. La plupart des informations ci-dessous, écrites sous le sceau du secret professionnel, peuvent le cas échéant être corroborées par l’inspecteur Nutello (dit Dr. Nut), du service national des disparitions inquiétantes.
Les belles et la bête ?
Récapitulons. J’ai expliqué pourquoi cet article est nécessaire, j’ai présenté D. l’architecte, évoqué ses victimes, l’importance chez lui du regard, le modus operandi des meurtres, ces femmes devenues natures mortes, le vertige de l’architecte démiurge. Il s’agit ici de déterminer en quoi le syndrome de D. se distingue de celui déjà abondamment commenté de la Belle au bois dormant.
Le conte originel, bien cruel et anthropophage – la belle-mère est une ogresse – a été revu par Perrault puis par les frères Grimm puis par Disney en 1959, à chaque fois un peu plus édulcoré. En 2024, de bonnes âmes se poseraient sans doute des questions sur la culture du viol du Prince charmant qui embrasse la Belle sans lui demander son avis, tout ça pendant qu’elle dort, plus sûrement inconsciente. Une culture de l’emprise masculine qui a d’évidence traversé les âges comme en témoigne abondamment chaque jour l’actualité des faits divers.
Pour autant, le conte est le plus souvent interprété comme un passage de l’adolescence à la vie adulte, la princesse se piquant au fuseau signifiant l’arrivée des règles et le repli sur soi jusqu’à ce que le Prince sauve l’affaire, la princesse devenue femme fertile, puis ils se marièrent et eurent deux enfants Aurore et Jour. C’est cette lecture de l’Autrichien Bruno Bettelheim, explicitée dans sa Psychanalyse des contes de fées publiée en 1976 qui prévaut désormais dans les cercles académiques.
Il y a certes des points de convergence entre l’affection dont est atteint l’architecte D. et le conte. Comme le Prince, D. est amoureux d’elles mais en l’occurrence, c’est lui l’ogre qui mets les Belles en sommeil, lesquelles ont rencontré le Prince charmant AVANT de s’endormir et d’évidence, D. n’a aucune intention de les réveiller. Mais, comme dans le conte, leur sépulture, ou tombeau, est cachée et difficile à trouver. D’ailleurs Dr. Nut le policier n’y est toujours pas parvenu…. Cependant, comme dans le conte également, D. semble penser à ce long sommeil comme celui du passage d’un état à un autre. Il m’a un jour parlé du film Alien en ces termes :
– Citation : « Cela me fait penser au film Alien, où l’on voit ces cosmonautes s’éveiller d’un long sommeil artificiel, avec Sigourney Weaver dans le rôle de la Belle, laquelle n‘a d’ailleurs pas fini de rencontrer des tueurs en série. Mais l’idée de ce long sommeil, duquel on se réveille comme si de rien n’était, aussi facilement qu’un ours qui sort d’hibernation, je trouve cela vraiment fascinant ».
C’est ce qui me fait écrire que D. ne pense pas à ses victimes en tant qu’elles sont mortes – alors même qu’il les a tuées – mais en tant que princesses ensommeillées, dans l’attente d’une opportunité de renaître. Elles se seraient pas libres pour autant puisque toujours sous la coupe du grand ordonnateur de leur vie, ou plus exactement de leur mort.
Ce qui ramène à la question du pourquoi il les tue. En effet si, comme avec moi, il obtient ce qu’il cherche, pourquoi ne pas s’arrêter avant l’instant fatidique et mettre cela sur le compte d’une sexualité singulière ? À la vérité, une fois qu’elles auraient repris conscience, ces femmes s’enfuiraient à toutes jambes, et même si elles ne le dénoncent pas, D. les aurait perdues à jamais.
Il me faut ici introduire le concept de chaste polygamie. Polygamie au sens où D. multiplie ses « belles » qu’il garde ensemble, dans un temple ou mausolée à l’instar d’un harem macabre, et chaste car si je suis persuadé qu’il tue ses victimes dans une extase sexuelle, il ne les outrage plus après leur décès. Sans doute se contente-il de les regarder et de les aimer et de les posséder ainsi. Il a abordé avec moi cette notion de polygamie.
– Citation : « Savez-vous que les Mormons sont polygames ? En plein cœur des États-Unis ? Comme les « sauvages » qui les ont précédés ? C’est moins le cas aujourd’hui mais comme ce sont encore les Mormons qui contrôlent l’Utah, la pratique demeure tolérée. Les Américains vont sur la lune, les Mormons épousent leurs sœurs !!! Mais à Salt Lake City, la capitale des Mormons, leur temple, d’un point de vue architectural, n’est pas loin de la Sagrada Familia de Barcelone. Une architecture exceptionnelle pour une étonnante vision du monde au milieu du désert… »
Je me souviens bien de cette séance. Il avait alors évoqué les notions de réincarnation et de renaissance et je lui avais demandé pourquoi il faisait une distinction entre les deux ? Il m’avait répondu que la renaissance proprement dite est le retour du même, « je meurs et je renais, c’est encore moi tout pareil ». Surtout, à ce moment-là, il avait ajouté à mon attention : « N’est-ce pas ce que vous avez éprouvé dernièrement ? ». Il faisait écho à ma première expérience avec lui. Ai-je eu l’impression de renaître ? Non, pas exactement. J’ai eu le sentiment d’être passée tout près de la mort et je ne me suis pas réveillée re-née.
Enfin, si pour D. l’architecte la mort/sommeil n’est qu’un passage et s’il demande à ses belles d’être patientes, la mort n’en est pas moins pour lui un passage obligé. Voilà pourquoi son ambition va au-delà de sa propre satisfaction sexuelle, rare certes mais d’une extraordinaire intensité. Une fois de plus c’est en parlant d’architecture qu’il nous éclaire sur ses motivations profondes.
– Citation : « la réincarnation est un processus, voire un cycle, qui peut passer par la réincarnation dans un animal ou une plante. Si je fais un temple pour des adeptes de la renaissance, je construis une volière à angelots, si je fais un temple pour les adeptes de la réincarnation, je fais un bâtiment organique pour ouvrir tous les champs du possible. Pour autant, je me dis que peut-être la meilleure façon d’atteindre l’immortalité, car c’est bien de cela qu’il s’agit pour l’humain peureux, est de conserver au frais son corps dans la pleine puissance de ses moyens en attendant un jour de se réveiller comme d’un long sommeil mais en ayant muté, la sortie de la chrysalide étant destinée à donner naissance à un être transformé, adulte, omniscient peut-être. Sinon, à quoi servirait de renaître déjà tout décati ? »
Là il indique parfaitement qu’il construit ou a construit un lieu où conserver au frais son/ses corps dans la pleine puissance de ses moyens, une réalisation qui est sans doute à la portée d’un architecte d’expérience.
Surtout il évoque ici, émergeant d’une chrysalide, un être transformé, ce qui justifie donc, en regard de l’interprétation habituelle du conte, le syndrome décrit ici : le syndrome de la Belle au bois dormant.
18 nuances de bleu
Les victimes de l’architecte D., du moins celles qu’il conserve, sont toutes blondes aux yeux bleus. Pourquoi ? Ce n’est qu’au fil de nombreuses séances, s’étalant sur plusieurs années, que j’ai découvert qu’il affectionnait ce type de femme, ce qui me fut confirmé par Dr. Nut. S’est alors posée pour moi la question de savoir si, avant la thérapeute, il m’avait choisie comme victime, ce qui a failli d’ailleurs être le cas.
Au début, quand il était encore marié, j’ai fini par savoir que sa femme Madeleine était blonde aux yeux bleus et que, d’une certaine façon, je lui ressemblais. Cependant, de lui-même, D. a rarement évoqué la similitude physique de ses « victimes ». Une fois, tôt dans la thérapie, il m’annonça avoir engagé une nouvelle architecte, une Italienne, avec de l’expérience. Je ne prêtais alors guère attention à ses affres d’employeur. C’est rétrospectivement, en relisant mes notes, que j’ai compris la signification de cette phrase.
– Citation : [à propos de cette nouvelle embauche] Anna elle s’appelle. Et jolie avec ça. Savez-vous qu’elles ne sont pas si rares les blondes italiennes ? Il n’y a pas que des Gina. Cela vaut aussi pour les Grecques d’ailleurs… C’est pour dire qu’Anna je ne l’ai pas trouvée dans les petites annonces du Chasseur français. Je ne sais pas encore pourquoi elle est venue seule à Paris, à son âge, elle a une belle quarantaine je pense, mais ce n’est pas mon problème. Elle m’a dit qu’elle ne savait pas combien de temps elle allait rester. Elle s’est engagée pour six mois, ce qui est parfait pour l’agence. Elle s’est mise au travail dès le premier jour et c’est parti comme sur des roulettes. Et ça tombait bien puisque Hilda est partie ».
Je n’avais alors jamais entendu parler de Gina Rossi et je pensais qu’il évoquait ce nom juste comme une façon de parler ; quelle erreur ! De fait, il me faut ici préciser que Gina, Anna, et Hilda font partie de ses victimes, toutes ayant fini par disparaître sans laisser de trace. Les voici toutes les trois dans une même phrase – voir le chapitre Polygamie – mais ici l’architecte D. exprime sans équivoque ses préférences.
Pourquoi de telles femmes et pas d’autres ? Il m’a fallu reprendre mes notes et relire tout ce qu’il me racontait de son métier et de son agence, discussions apparemment ennuyeuses mais dont je sais aujourd’hui que là se trouve la clef pour décrypter ses intentions. Il est le tueur en série qu’il est devenu parce qu’il est architecte : il n’y a pas un docteur Jekill et un Mister Hide en lui, son métier et sa collection de Belles sont entremêlés et ne font plus aujourd’hui qu’un seul projet ; il tue comme il construit : patiemment, avec goût et imagination, professionnellement en somme.
Pour autant, il ne m’a jamais indiqué pourquoi il m‘a choisie. Je m’en doute, je le sais, je le sens. Mais être blonde aux yeux bleus n’est à ses yeux pas suffisant. Nous sommes des milliers, des millions, toutes différentes, ne serait-ce que le blond de nos cheveux… Nous savons qu’il les aime architectes, comme si elles devaient comprendre sa conception du monde. Je ne le suis pas. Est-ce grâce à ça que j’ai survécu ? Géraldine ne l’était pas non plus et nul ne l’a plus jamais revue… En tout cas, après notre première expérience ensemble, D. s’est une autre fois épanché sur ses préférences, sur le ton de la confidence.
– Citation : « …car c’est ainsi que j’ai rencontré ma première vraie petite amie, comme on disait alors. Claire, elle s’appelait Claire… »
– Question (même si je me doutais alors de la réponse) : « Comment était-elle ? Vous pouvez me la décrire ? »
– Citation : « Bien sûr, volontiers. Voyons, elle était blonde, aux yeux bleus. Tiens savez-vous combien de teintes de blondes et de couleurs bleues dans les yeux, ils ont en Suède ? »
– Question : « Non, combien ? »
– Citation : « Dix-huit nuances de blond qui vont avec dix-huit nuances de bleu. C’est facile à comprendre. Dans un pays où il n’y a que des blondes aux yeux bleus, il faut de la nuance. D’ailleurs, une femme brune aux yeux marron, ils l’appellent une panthère en Suède. Sinon, vous imaginez les types : « Elle est comment ta copine Monica ? ». « Blonde aux yeux bleus ». Ils seraient bien avancés les Suédois, alors ils ont inventé tout un tas de nuances de blonds et de bleus pour pouvoir décrire leur copine ou leur copain et s’y retrouver ».
– Question : « Et donc, Claire… »
– Citation : « Hélas je ne parle pas suédois et je n’en sais pas plus alors disons qu’elle était un peu dans votre genre mais plus grande que vous, 1,69 m. Très belle, très intelligente, très douée. Elle n’était pas parisienne et aussi timide et déterminée que je pouvais l’être moi-même à l’époque ».
Nous pouvons donc affirmer que D. l’architecte est parfaitement conscient de ses choix, il sait exactement ce qu’il cherche. Mais sait-il lui-même pourquoi c’est ce type de femmes qui l’attire, du moins celles qu’il tue ? La vérité est que je n’ai jamais réussi à savoir si D., depuis son divorce, voire avant, avait des relations sexuelles avec un autre type de femmes. Si oui, ces relations-là étaient-elles/sont-elles « normales » ? Les femmes brunes ou noires ou asiatiques n’auraient-elles donc rien à craindre de lui ? J’en ai la conviction mais aucune preuve et D. n’a jamais évoqué des relations avec des femmes autres que celles qu’il finit par faire disparaître.
Quant à sa mère, qui l’a élevé seule, il ne me l’a jamais décrite et n’a quasiment jamais abordé le sujet, même au fil de mes relances. Je lui demande comment va sa mère et il me décrit les bons et mauvais côtés de l’architecture de sa résidence de retraite. Je sais donc juste qu’elle est encore vivante, sans doute très âgée, dans une institution sur la côte pour les gens atteints d’Alzheimer. Elle était prof de Lettres, cela, je l’ai appris. Mais à quoi ressemblait-elle ? Était-elle stricte ? Joyeuse ? Angoissée ? Larmoyante ? Courageuse ? Folle ? Coincée ou vivant de multiples aventures ?
Fils unique, D. l’architecte semble l’aimer ; en tout cas, il la respecte assurément mais il est désormais seul à se souvenir de ce qu’elle fut. Est-ce cette vision de sa mère, sereine, aimante, belle, qu’il essaye de retrouver et conserver au fil de ses crimes, ses victimes vieillissant non pas avec lui, comme nous le croyions Dr. Nut et moi, mais avec les différentes étapes de la vie de sa mère ? Sa mère était-elle blonde aux yeux bleus ?
Sinon quoi ?
Droit d’auteur
Nous savons désormais que D. est parfaitement conscient de ses choix et sans doute sait-il lui-même – même s’il ne les a jamais partagées avec moi – les motivations profondes qui le poussent à choisir ce type de femme, exclusivement blonde aux yeux bleus. Mais il serait faux de penser que pour D. elles se ressemblent toutes. Au contraire, si elles vivent toutes le même climax et meurent de plaisir dans une effrayante ambiguïté, D. a certainement pour elles, avant et après, des attentions qui n’appartiennent qu’à chacune. Je suis certaine qu’il ne les garde pas à l’égaillé ou en tas, rangées n’importe comment sur une étagère sale – on parle quand même peut-être d’une dizaine de corps et il faut parfois des années avant qu’elles disparaissent ce qui lui laisse largement le temps de « préparer » leur arrivée. Je suis certaine qu’elles ont chacune « un lit » à leur nom dans lequel reposer pour l’éternité mais à chaque fois différent et signé.
Lors d’une séance, comme j’apprenais qu’il embauchait une nouvelle personne, déjà méfiante, je lui demandais ce qu’il était advenu d’une stagiaire, Hilda, dont il me disait pourtant le plus grand bien et qui semblait avoir disparu de ses pensées. « Hilda n‘aura donc pas laissé de traces à l’agence, rien pour signer son passage ? », lui demandais-je. Comme d’habitude, il a répondu à côté de la question en me parlant de son travail mais je sais aujourd’hui que ses réponses valent explication de ses meurtres.
– Question : « Hilda n‘aura donc pas laissé de traces à l’agence, rien pour signer son passage ? »
– Citation : « Il faut croire que non. Malgré la nouvelle loi, tiens, quand j’y pense ».
– Question : « Que voulez-vous dire ? De quelle loi parlez-vous ? »
– Citation : « Il s’agit d’une loi liée à l’architecture, qui date de 2016 je crois (ici je transcris mes notes, je ne sais rien de cette loi), et qui autorise les architectes à signer leurs bâtiments, voire leur enjoint de le faire. C’est sûr que parfois, c’est vrai, le crime est signé… Hahaha »
– Question : « Parce que vous ne signez pas les vôtres ? »
– Citation : « C’est moi qui signe le dossier de demande de permis de construire, il y a le nom de l’agence sur tous les plans, mais je ne visse pas de plaque à mon nom sur mes bâtiments ».
– Question : « Vous ne laissez donc pas de traces non plus… »
– Citation : « Je n’ai pas dit ça. En fait, je trouve toujours un moyen d’inscrire mon nom quelque part, comme un tatouage, même si c’est caché, recouvert de placo par exemple. Qui sait si dans 100 ans quelqu’un ne va pas démolir le bazar et retrouver ma signature ? On trouve tellement de choses coincées entre deux murs, des gens qui disparaissent à jamais dans ces interstices et que l’on retrouve complètement momifiés quand un nouveau propriétaire veut refaire sa cuisine. Et puis D., c’est un nom passe-muraille et c’est parfait pour un architecte comme moi, plutôt discret quant à mes hobbies ».
Ici, il faut donc comprendre que si ses œuvres – ses bâtiments et ses « hobbies » – ne sont pas formellement signées, ce qui pourrait être une preuve de modestie, ce n’est qu’apparence. Il signe bien son travail mais sa signature est dissimulée, ce qui s’accorde parfaitement à son caractère.
La dissimulation donc. Il n’est pas question de la dissimulation freudienne pour D. – encore que, aurait-il agressé des petites filles ? Aurait-il débuté tôt dans la carrière, dès la maternelle et, en ce cas, le retour du refoulé freudien aurait du sens mais, en cinq ans de thérapie, il n’a jamais évoqué une quelconque tendance à la pédophilie, il ne s’agit donc pas de la dissimulation freudienne. La dissimulation de Jean-Jacques Rousseau quand il évoque le « triomphe de l’éthique de la sincérité, de la transparence des sentiments, qui appréhende spontanément la dissimulation comme un défaut psychologique, sinon comme une faute morale », comme l’explique le professeur en sciences sociales Jean-Pierre Cavaillé, ne me semble pas plus pertinente. Qui plus est, D. ne veut pas laisser autrui se tromper quant à l’identité de l’auteur des œuvres. C’est ce qu’il a fini par m’expliquer :
– Citation : « plutôt qu’une plaque pompeuse comme au XIXe siècle, ce qui ne nous rajeunit pas, je préfère inscrire mon nom dans quelque endroit discret. « D. était là » en somme, et ce sera aux exégètes de se débrouiller… »
Les exégètes ? Il n’est donc pas question pour D. de modestie, au contraire, ni d’une véritable volonté de dissimuler puisqu’il espère bien qu’un jour un œil averti saura le reconnaître.
Il est donc parfaitement clair que les femmes que garde D. ne sont pas rangées n’importe comment, je suis certaine qu’elles ont chacune leur propre « couche », peut-être même avec son nom, son décor et sans doute quelque attention pour chacune. Je ne les ai jamais rencontrées, je n’ai vu que les photos que Dr. Nut a bien voulu me montrer et si elles semblent toutes du même genre, blonde aux yeux bleus, je suis certaine que D., à la suédoise, sait les différencier.
D’ailleurs, il signe sans doute la mise en scène de son harem silencieux tant il l’aborde sans doute comme un travail d’architecte.
Je suis d’ailleurs allée me renseigner sur le droit d’auteur en architecture pour tenter de faire la part des choses. J’ai appris que chaque architecte a droit au respect de l’esprit et de l’intégrité physique de l’œuvre. « Ce droit permet, je cite, d’une part, à l’auteur de faire condamner un tiers qui altérerait son œuvre. En matière d’architecture, la plupart du temps l’altération doit être substantielle, du fait du caractère utilitaire de la plupart des bâtiments. D’autre part l’auteur peut interdire toute utilisation ‘dégradante’ de son œuvre, comme l’apparition de cette dernière dans une publicité jugée ‘dégradante’ ».
Et si Dr. Nut retrouve son mausolée, et que les corps des Belles, jusque-là préservés avec attention – avec amour ? – sont finalement récupérés et dûment enterrés ou incinérés, sans doute D. y verra-t-il une utilisation dégradante de son œuvre et, à bien y réfléchir, pour ce qui concerne les corps et l’image de ces femmes, il aurait peut-être raison.
(À suivre)
Ethel Hazel
Retrouvez tous les épisodes :
– Le syndrome de l’architecte D. – Fondation (1/4)
– Le syndrome de l’architecte D. – Psychose (2/4)
– Le syndrome de l’architecte D. – Chaste polygamie (3/4)
– Le syndrome de l’architecte D. – Conclusion (4/4)