Dans le cadre du programme de reconversion économique de la Base de sous-marins de Lorient, Jacques Ferrier vient de livrer la Cité de la Voile Eric Tabarly. L’architecte est parvenu à rendre hommage aux éléments – l’eau de mer, le soleil, le vent – du nautisme et de la course au large sans tomber dans les poncifs du vocabulaire marin. Découverte.
«Nous avons pris un risque.». Après avoir présenté aux journalistes les «quelques grandes idées» qui ont prévalu à la conception de la Cité de la Voile Eric Tabarly en rade de Lorient (56), Jacques Ferrier a expliqué que sa Tour des Vents, pourtant devenue d’ores et déjà le repère le plus éclatant de ce nouveau bâtiment, n’était pas prévue au programme.
L’équipement – surface de 6.700m² dans un budget de 18 millions d’euros (12 M hors scénographie, soit le coût maîtrise d’œuvre) – ne manque pourtant pas d’ambition puisqu’il s’agit de rien moins que d’en faire, selon le maître d’ouvrage (Cap l’Orient – Communauté d’Agglomération du Pays de Lorient) «le lieu de référence national en matière de culture scientifique et technique dans le domaine de la voile et l’outil fédérateur de la filière nautique de Bretagne Sud [devant] représenter le savoir-faire régional tant en matière d’industries que de services, de sports nautiques de haut niveau, de formation et de recherche.» Ou encore, selon la Sellor, société d’économie mixte amenée à la gérer, «de rendre cette culture accessible au plus grand nombre – 100.000 visiteurs attendus par an – à travers la thématique de l’océan et de la navigation, en dépassant le cercle des passionnés de la voile.» Le tout dans un contexte – la base de sous-marins – qui depuis 1997, date de la fermeture de la Base puis du port militaire avec la perte de milliers d’emplois, doit être entièrement reconverti et rendu ‘à la vie civile’.
Or, lors du concours, Jacques Ferrier s’est aperçu qu’après avoir, selon lui, répondu au mieux à ces contraintes, et sans mégoter pourtant ses efforts en termes de développement durable ou de matériaux, il pouvait encore (pour faire court), dans le budget alloué, transformer un simple ponton en évènement architectural. Ce qui en dit long sur la façon de l’architecte de travailler l’économie d’un projet. Et, un peu comme un photographe dont la dernière photo, imprévue, devient l’image emblématique de son reportage, l’architecte a imaginé, en sus, cette tour des vents qui, aujourd’hui que le bâtiment est construit en tous points conforme aux perspectives du concours et à l’esprit du projet, s’en révèle être le symbole le plus adéquat puisque c’est elle qui est visible de toute la rade, elle qui en sera le phare quand ses plates-formes abritées offrant à la vue un vaste panorama sans doute deviendront l’un des clous de la visite.
La preuve en est que c’est sur cette structure en profilés d’acier galvanisé et recouverte de métal déployé que seront annoncés par de grandes bâches les évènements et les expositions temporaires tandis qu’une animation lumineuse s’ajoutera au dispositif. «Le cliquetis de l’accastillage fixant les bâches imprimées, le bruit du vent dans les structures, le claquement de fanions ou de drapeaux constituent un fond sonore discret et amical, audible depuis le quai et la Cité de la Voile, qui renforcera l’atmosphère navale du site,» explique Jacques Ferrier. Cette tour enfin est le point d’ancrage – au sens propre et figuré – des pontons où seront amarrés les Pen Duick de feu Eric Tabarly.
C’est encore du sommet de cette tour qu’il est le plus aisé de comprendre la puissance du site et de ses trois bunkers construits par les Allemands (et qui valurent à la ville sa destruction par l’aviation alliée) et la justesse du gabarit conçu par Jacques Ferrier. «Comment rivaliser avec ces blocks, châteaux-forts du XXe siècle ?» s’inquiétait à juste titre Norbert Métairie, maire de Lorient (il était à l’époque premier adjoint), tout heureux aujourd’hui d’y trouver «la légitimité du projet de Jacques Ferrier.» Lequel décrit son bâtiment avec une remarquable simplicité. «En opposition à la lourdeur tellurique des masses de béton des trois bunkers, le projet, flottant au-dessus d’un rez-de-chaussée transparent, répond par une nef en métal brillant en suspension au-dessus du quai,» dit-il. Ou, dit autrement, «un parti architectural très simple puisqu’il s’agit d’un outil, d’un espace fonctionnel conçu comme un grand magasin tout vitré.»
En clair, le rez-de-chaussée est un vaste hall depuis lequel les visiteurs ont accès aux différentes activités du lieu : boutique, restaurant-bar, expositions… L’accueil à géométrie variable permet de contrôler l’entrée aux expositions et à l’auditorium, et offre une «promenade urbaine», soit un libre accès à «beaucoup d’activités hors-ticket». De grandes baies s’ouvrant sur la terrasse permettent à ces espaces, mais aussi à l’auditorium, de fonctionner en dehors des heures d’ouverture du musée. De la salle d’exposition temporaire de près de 450m², des vues sont ménagées sur le hangar d’entretien et de réparation des Pen Duick. «Je ne voulais pas d’un musée intimidant,» explique Jacques Ferrier. (A noter que les locaux techniques ainsi que les points de livraison sont rassemblés sur la façade nord du bâtiment. Cette partie du bâtiment ne sera accessible qu’aux véhicules autorisés et fonctionnera comme la cour de desserte de l’équipement).
Le premier étage est un vaste plateau – «un loft, espace disponible pour toute sorte de scénographie,» dit Ferrier – ouvert sur le Ter, rivière qui se jette dans la rade, où s’organiseront les espaces d’exposition dédiés à la voile et au nautisme. Les bureaux de l’équipement ainsi que le centre de ressources qui s’y trouvent ont un accès depuis le rez-de-chaussée et sont en contact direct avec le plateau d’exposition. Cette «nef» est recouverte de panneaux en aluminium irisés qui changent de couleur en fonction de la météo. Elle s’avance au dessus du quai pour former un auvent face au Ter. «La façade vitrée, ombrée et abritée par le porte-à-faux, donne à voir, de jour comme de nuit, l’animation du hall, du bar, du restaurant et de toutes les autres activités d’accueil qui prennent place au rez-de-chaussée,» explique l’architecte.
Les faces intérieures de cette coque sont revêtues de bois, en référence à l’architecture navale. C’est d’ailleurs l’une des rares références architecturales de cette réalisation au nautisme, l’architecte ayant pris soin de ne pas utiliser un vocabulaire marin, estimant qu’il n’y avait pas lieu de «faire comme un bateau». Il estime cependant, au travers des matériaux utilisés – métal, acier, aluminium – offrir une vision moderne du nautisme. Gérard Petitpas, ami d’Eric Tabarly et l’un des cadres de l’académie éponyme qui gère les Pen Duick, en convient. «Nous nous posions des questions mais en voyant ce bâtiment nous somme très heureux qu’il corresponde à ce que nous espérions, un ouvrage tourné vers l’avenir.»
Cela dit, au travers du développement durable abordé sous l’angle de la technologie – dont ces panneaux photovoltaïques implantés sur la façade sud-ouest du bâtiment qui, outre leur vertu première de produire de l’électricité servent également de brise-soleil pour les vitrages du premier étage – Jacques Ferrier a tenu à souligner, d’une part, la haute technologie des bateaux de course au large (nombre de skippers – dont Alain Gautier (Foncia), Franck Cammas (Groupama), Jean-Pierre Dick (Virbac-Paprec), Pascal Bidégorry (Banque populaire), Jérémie Beyou (Delta Dore), Yann Eliès (Generali), Samantha Davies (Roxy), Yvan Bourgnon (Brossard)…. – et leurs équipes ont fait de la Base de sous-marins leur port d’attache et près de 50 bateaux de tous types se préparent à la course sur le site) et, d’autre part, en utilisant l’eau de mer (PAC), le soleil (photovoltaïque) et le vent (éoliennes de la tour des vents), de rendre hommage «aux éléments de Tabarly qui était lui-même un grand innovateur.»
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 27 juin 2007